L’archipel de Malte : une histoire humaine hors du commun dans une nature en bien mauvais état

Situé entre le géant sicilien et l’éperon tunisien, l’archipel maltais (7 îles, dont les trois principales sont Malte, Gozo et Comino) ne comprend qu’une surface globale bien modeste (316 km² en tout, 250 km² et 27 km de long pour la plus grande île de Malte) en mer Méditerranée. Il correspond à la partie émergée d’un plateau d’origine sédimentaire tertiaire, qui relie cet archipel à la Sicile, située à 80 km.

par Annik Schnitzler

La position de l’archipel entre Orient et Occident, Europe et Afrique (plus précisément à 284 km de la pointe Est de la Tunisie) explique son rôle majeur pour les navigateurs de la préhistoire et de l’antiquité. Cet archipel semble toutefois n’avoir été habité par l’homme que depuis le Néolithique. Ces premiers habitants, venus probablement d’Anatolie, occupent des grottes. L’une des plus célèbres d’entre elles est celle de Ghar Damal, dont les traces d’habitation remontent au 6000 et 5000 avant J.C. Ces premières populations d’agriculteurs éleveurs échangent activement avec les îles voisines de Lipari et Pantelléria. Ces échanges entre îles font la richesse de l’archipel maltais, et permettent sans aucun doute l’érection de temples. Les premiers d’entre eux sont modestes, mais ils prennent de l’ampleur dès 3600 avant J.C., période à laquelle sont édifiés des édifices aux dimensions titanesques, s’étendant sur plus de 3000 m² pour certains. L’effort considérable pour leur édification a nécessité des dizaines de milliers de tonnes de matériaux qu’il a fallu transporter et assembler. On estime que des équipes de 300 à 500 ouvriers ont dû se relayer durant des siècles. Ces constructions d’architecture monumentale sont bien antérieures à l’édification des pyramides d’Egypte, et sont considérées comme les premiers grands édifices de pierre de l’humanité.

En raison de sa situation stratégique, l’archipel maltais a été occupé par de nombreuses sociétés : Phéniciens, Grecs (un millénaire avant J.C., l’île aurait accueilli le plus célèbre des navigateurs de l’Odyssée, Ulysse, retenu par les charmes de Calypso sur l’île de Gozo), Romains, Barbares, Byzantins, Arabes Aghlabides d’Ifriqiya, Normands, Angevins, Aragonais. Malte a été profondément marqué par l’influence de l’Ordre Souverain de Malte, fondé à Jérusalem en 1048, et établi à Malte au XVIe siècle. Les riches et prestigieux chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem ont couvert l’archipel d’une quantité d’églises et de monuments fortifiés au cours des siècles de leur présence. Plus tardivement, entre les deux guerres mondiales, Britanniques et Français s’y sont installés.

L’archipel réunit d’autres originalités : il s’agit du plus petit Etat de l’Union européenne depuis son entrée en 2004, Quarante ans après son indépendance du Royaume Uni ; sa densité y est une des plus élevées au monde ; ses habitants y parlent une langue sémitique d’origine berbère et arabe, mais qui est la seule ici à être écrite en alphabet latin.

De tels déferlements humains sur des surfaces aussi réduites ont eu des impacts considérables sur la nature maltaise. Actuellement, on ne peut qu’être un peu déçu par les paysages terrestres, particulièrement abîmés sur la grande île de Malte par l’expansion des villes et le dense réseau routier. Les forêts y ont disparu depuis longtemps, bien avant l’ère chrétienne, autour de 2340 avant J.C. Une recherche sur Google prétend qu’il reste quelques reliquats de ces chênaies à Quercus ilex, avec quelques exemplaires vieux de 9 siècles, dans un lieu protégé dénommé Il-Ballut Tal-Wardija dans la baie Saint Paul, qu’il nous a été impossible de trouver. Sans doute la surface modeste (200 m sur 40 seulement) la rend-elle presque invisible.

Le cyprès de l’Atlas (Tetraclinis articulata), a trouvé refuge à Malte. Considéré en grand danger d’extinction par l’UICN, il est le symbole de l’île – photo Annik Schnitzler

A défaut de vraies forêts, l’archipel comporte quelques espèces arborescentes, comme le pin d’Alep, largement répandu dans la Méditerranée de l’ouest. Le cyprès de l’Atlas (Tetraclinis articulata), un conifère de la famille des Cupressacées, y a trouvé refuge entre Afrique du nord et sud de l’Espagne, qui constitue son aire de distribution.

Cette espèce est considérée en grand danger d’extinction par l’UICN, en raison de sa rareté naturelle et surtout des multiples usages qu’en ont fait les hommes depuis l’Antiquité comme arbre pour la construction, pour des usages médicinaux. Devenu symbole de l’île, présent sur les pierres tombales des chevaliers de l’Ordre de Malte, il est abondamment planté le long des chemins, routes et jardins, notamment dans le seul grand jardin boisé, un peu sauvage, à Busket Garden. Peut-être subsiste-t-il quelques individus à l’état sauvage. Certains sites sont cités sur Internet: Mellieha au nord, il-Maqluba au sud-sud ouest de Malte, dans le centre Est (aire de Mosta) et Iċ-Ċagħak au nord ouest de Malte.

Une autre plante m’a intriguée : le lierre. Il survit sur les murs, n’ayant presque plus de supports arborescents qui lui conviennent. Il pourrait venir de la même population que celle de l’Afrique du nord, ou alors de Sicile. Toutefois, on prétend qu’il aurait été importé par les Anglais. Peut-être les deux théories sont exactes : il aurait colonisé Malte naturellement, comme partout dans les îles méditerranéennes et atlantiques, mais se serait métissé avec des lierres importés d’Europe.

Le glaïeul des moissons (Gladiolus italicus), également connu sous le nom de glaïeul d’Italie, est une fleur sauvage commune à Malte – photo Annik Schnitzler

Ces îles dévastées par l’homme conservent encore quelques paysages magnifiques dans les champs en friche et dans les maquis au printemps. Les fleurs sauvages (crocus et glaieul sauvages, coquelicot, linaire) y sont de toute beauté. Parmi les nombreuses espèces endémiques de l’île, la curieuse plante nommée en forme de champignon, le cynomorium écarlate (en maltais Għerq tal-Ġeneral, racine du Général), une plante vivace parasite aux vertus diverses (aphrodisiaque, anti hémorragique, anti dermatoses..) ne vit que sur un rocher à l’Ouest de Gozo. On peut en voir une représentation dans un musée à Malte.

Qu’en est-il des animaux ? Ceux qui dominent naturellement sont les oiseaux, et les micromammifères, du moins depuis la fin des temps glaciaires. Mais il faut se plonger bien plus loin dans le passé, aux temps pléistocènes, pour que l’histoire naturelle de l’archipel maltais devienne réellement fascinante. On peut en avoir une idée en visitant le petit musée de Ghar Darham à l’est de Malte, où sont exposés les restes fossiles d’une faune extraordinaire qui a peuplé l’ile en vagues successives, durant des centaines de milliers d’années. La grotte de Ghar Darham adjacente à ce musée a livré toute une chronologie de l’histoire de cette faune.

Des mammifères des temps glaciaires, hippopotames et éléphants notamment, ont colonisé la Sicile et Malte. La parenté des espèces de deux îles est liée au fait qu’il y a eu plusieurs périodes au cours desquelles les deux îles ont été connectées : 155 mètres d’abaissement du niveau des mers au plus fort de la dernière glaciation, certes insuffisant pour un pont terrestre sauf s’il y a eu sédimentation ou/et mouvements tectoniques. Les connexions Sicile continent, et Sicile Malte ont été sans doute temporaires, mais présentes dans le passé lointain. L’une d’entre elles a eu lieu entre Pléistocène inférieur et moyen (autour de 690 000 BP), permettant l’immigration d’éléphants et d’hippopotames d’Italie en Sicile et à Malte. D’autres immigrations ont été possibles lors d’épisodes glaciaires ultérieurs, avec parfois de meilleures connexions avec la Sicile (autour de 90 000 ans). Dans ce cas, les écosystèmes maltais étaient davantage équilibrés, permettant une meilleure survie aux espèces. L’éléphant de Malte et de Sicile Elephas falconieri, issu de l’éléphant antique Elephas (Palaeoxodon) antiquus comme tous les autres éléphants des îles de la mer Egée et autres îles méditerranéennes, y a vécu. Cet éléphant a eu une histoire particulière : il est devenu le plus petit éléphant au monde (90 cm au garrot).

Plus récemment autour de 22 000-18000 ans, ont été trouvés des restes d’un cerf élaphe, ours et loup, ainsi qu’un cheval. Tous ont disparu bien avant l’apparition des premiers humains autour de 7000 ans. Malte peut donc être considéré comme un laboratoire naturel pour l’étude des réponses des animaux terrestres aux changements particulièrement stressants de l’environnement au cours du Quaternaire. En particulier, on remarque que le nanisme n’a pas permis la survie des mammifères. Stress climatiques, montée des mers (qui diminue la surface des îles et supprime les ponts avec le continent) ont joué ici dans la dépression génétique et l’extinction, sans intervention humaine.

Depuis l’isolement de l’archipel, seuls les petits mammifères ont survécu. A cela s’est ajoutée l’impressionnante liste des animaux apportés par l’homme, dont les plus anciens sont le rat et le lapin, arrivés avec les Phéniciens il y a 2700 ans. La chair du lapin est d’ailleurs fort appréciée sur l’île.

Le célèbre faucon maltais ne se trouve plus qu’au musée – photo Annik Schnitzler

Quant aux oiseaux migrateurs, ils croient trouver sur ces îles un refuge lors des grandes migrations printanières et automnales. Malte, grâce à sa position géographique entre l’Italie et la Tunisie, est en effet un lieu de halte essentiel pour ces oiseaux franchissant la Méditerranée. C’est l’un des trois principaux couloirs de migration entre l’Europe et l’Afrique avec Gibraltar et le Bosphore. Mais sur Google on peut lire de nombreux articles témoignant que ce pays devient un enfer pour les oiseaux de passage. En effet, il existe des « traditions » scandaleuses de chasse aux oiseaux, qui n’ont pas été totalement remises en cause avec l’entrée de ce pays dans l’Union européenne. Il s’agit selon certains auteurs d’un véritable massacre organisé d’une partie des oiseaux migrateurs européens qui ont la malchance de migrer au-dessus de ce pays dans leur route vers l’Afrique. En 2015, un référendum a indiqué que la population dans son ensemble est très favorable à ces chasses, malgré qu’elles soient en violation avec les lois européennes. Certains oiseaux, tels que le faucon pèlerin, de la même famille que le célèbre faucon maltais, ont disparu de l’île depuis 1980, rapporte le quotidien britannique The Independent.

Estimation du nombre d’individus tués annuellement réalisée par l’International Council for Bird Preservation

Bondrée apivore (500-1.000), Faucon crécerelle (1.000-1.750), Busard des roseaux (400-800), Faucon hobereau (500-1.000), Héron cendré (500-1.000), Bihoreau gris (1.000-2.500), Aigrette garzette (1.000), Héron pourpré (400-800), Pluvier doré (1.000-1.500), Tourterelle des bois (100.000-200.000), Coucou gris (500-1.000), Petit-duc et Hiboux des marais (500-1.000), Grive musicienne (200.000-300.000), Rouge-gorge (20.000-50.000), Huppe fasciée (1.500-2.500), Engoulevent d’Europe (2.000-3.000), Alouette des champs (50.000-100.000), Pie-grièche à tête rousse (100-300), Loriot (4.000-7.000), etc. Plus de 250.000 Moineaux espagnols, 30.000 Hirondelles rustiques et de fenêtre et 15.000 Martinets noirs servent également chaque année de cibles d’entraînement, le corps des victimes mortes ou blessées jonchant les rochers. En outre, il faut également constater le tir de Chevaliers aboyeurs, Traquets motteux, Guêpiers d’Europe, Avocettes élégantes, Echasses blanches, Oedicnèmes criards, Busards cendrés, Balbuzards pêcheurs, Circaètes Jean-le-blanc, Percnoptères d’Egypte, Faucons kobez, Cigognes, Flamants, Grues cendrées… En résumé, tout ce qui passe !

Il reste les oiseaux sédentaires commensaux, comme les moineaux, qui semblent pour la plupart atteints de dépression génétique, ainsi qu’en témoignent les formes albinos partielles ou totales qu’on peut voir un peu partout.

Un séjour très enrichissant, mais qui laisse finalement une impression de profonde destruction des milieux naturels, sans apparente remise en question de la part de ses habitants.

.

Bibliographie

Hunt, C.O. & Schembri, P.J. 1999 Quaternary environments and biogeography of the Maltese Islands. In: Mifsud, A. & Savona Ventura, C. [eds] Facets of Maltese prehistory. pp. 41-75; Malta : The Prehistoric Society of Malta; vii + 243pp.

Guilaine J. 2001 Malte et la préhistoire de la Méditerranée dans Malte du Néolithique à la conquête normande, Dossier d’archéologie, 267, p. 18-19.

Palombo M.R. 2001 The World of Elephants – knowledge, problems and perspectives. International Congress, Rome 2001.

Stevens D. 2000. The Maltese national tree – the araar tree.

.

.