Suffirait-il de visiter un espace naturel préservé pour faire de l’écotourisme ?
par Jean-Pierre Lamic
Cette notion, à laquelle beaucoup commencent à s’intéresser est plus complexe qu’il n’y paraît : voici un décryptage du concept pour une meilleure compréhension des divers enjeux, notamment au niveau des territoires.
L’écotourisme est la forme la plus ancienne de tourisme responsable, basé sur des visites effectuées dans des territoires protégés : Parcs nationaux, Parcs naturels régionaux, réserves, zones vierges.
Il concerne aujourd’hui un nombre important de territoires.
Cependant cette notion reste floue et est parfois galvaudée pour en donner une forme que l’on peut qualifier de frelatée. Un décryptage du concept et des enjeux s’avère par conséquent indispensable.
L’écotourisme attire de plus en plus de voyageurs potentiels, mais il existe dans ce domaine un déficit de communication, et une difficulté à identifier les opérateurs du secteur.
Les 3 500 accompagnateurs en montagne, répartis sur l’ensemble des massifs constituent l’un des principaux réseaux de terrain, y compris pour les offres en « tout compris ».
Écotourisme : Comment le définir ?
Ils se sont penchés sur la question et, de manière consensuelle, ont déterminé une nouvelle définition du terme écotourisme :
l’écotourisme englobe les principes du tourisme durable en ce qui concerne les impacts de cette activité sur l’économie, la société et l’environnement, et comprend les éléments particuliers suivants qui le distinguent de la notion plus large de tourisme durable :
Il contribue activement à la protection du patrimoine naturel et culturel,
Il inclut les communautés locales et indigènes dans sa planification, son développement et son exploitation, contribue à leur bien-être, et encourage leur participation,
Il propose aux visiteurs une interprétation du patrimoine naturel et culturel,
Et il se prête à la pratique du voyage en individuel ainsi qu’aux voyages organisés pour de « petits groupes ».
L’ensemble des experts s’accorde sur le fait que le caractère différenciant de l’écotourisme face aux autres formes de tourisme durable est la « composante éducative » et « la médiation à l’environnement ».
Toutefois, l’écotourisme ne contribue pas seulement au bien-être ou à la participation des communautés locales, mais se doit de considérer l’ensemble des implications sociales qui découlent de la mise en tourisme des territoires, notamment en fonction des intérêts souvent divergents des différents groupes ou corporations qui constituent les communautés.
Enfin, il est à noter le lien indissociable entre écotourisme et territoires.
Quels intérêts pour le voyageur ?
Pour le voyageur l’intérêt principal réside dans la compréhension d’un territoire.
S’il choisit le ou les bons médiateurs, il pourra véritablement profiter des divers éléments qui en constituent l’attractivité : les plus beaux paysages, les lieux conviviaux, les produits du terroir, la richesse patrimoniale, la faune et la flore à côté desquelles il aurait pu passer sans les apercevoir, la population locale imprégnée de ses traditions…
Autant d’éléments qui enrichissent le voyage lorsqu’on prend le temps de les découvrir.
Ce qui implique une certaine lenteur, donc la réduction des déplacements, source d’économies : pour le voyageur (prix du voyage) et pour la planète (émissions de CO2).
Quels intérêts pour l’hôte ?
L’hôte quant à lui, ne pourra retirer un quelconque intérêt à la venue du voyageur que s’il y a véritablement un échange, pas uniquement basé sur le seul acte d’achat. Les échanges peuvent être de toute nature : ceux qui permettent une meilleure connaissance mutuelle favorisant le respect, un simple sourire, un apport de connaissances, l’intérêt porté par le visiteur au visité qui permet la prise de conscience de la richesse du patrimoine, tant matériel qu’humain, etc.
Quels intérêts pour la nature ?
La « composante éducative » et « la médiation à l’environnement » engendrent l’acquisition de connaissances de la part des publics, ce qui favorise un meilleur respect et une meilleure protection de la nature.
Par exemple, un public de randonneurs, qui ne savent pas que des oiseaux nichent au sol, peut être très destructeur pour les espèces concernées, tout en n’ayant aucune conscience des dégâts occasionnés.
Le même public, s’il est averti, ne causera pas de destructions, et transmettra autour de lui les valeurs inhérentes à leur protection.
Certaines espèces, tels le vautour fauve ou le bouquetin, ont pu être réintroduites en partie grâce à cette connaissance dispensée par les Parcs nationaux, auprès des visiteurs, mais aussi et surtout auprès des habitants, des agriculteurs et des chasseurs.
Parfois, le simple fait qu’un public s’intéresse à une espèce, et fait le déplacement pour l’observer, permet sa protection (comme pour les éléphants au Kenya), en la justifiant, notamment d’un point de vue économique.
Quels sont les inconvénients de l’écotourisme ?
Par définition, l’écotourisme concerne plutôt les espaces préservés, soit parce qu’ils ont été oubliés, protégés, qu’ils étaient trop éloignés de tout accès ou situés en zone militaire ou de conflits.
Un accès facilité, une législation plus permissive, une gare ou un aéroport, construits à proximité, l’arrêt d’hostilités, une mention dans un guide touristique, un article dans un magazine, génèrent souvent un afflux massif vers ces zones pas ou peu préparées à recevoir des flux touristiques.
L’écotourisme est, par conséquent, totalement tributaire d’une bonne gestion territoriale qui se doit d’inclure le calcul préalable de la capacité de charge d’un territoire avant toute mise en tourisme.
Ce qui implique une gestion planifiée des territoires, déconnectée des intérêts particuliers et privés.
Et pas comme on le voit un peu partout, un développement opéré par des opérateurs privés sur des territoires ne disposant d’aucun levier permettant d’agir sur le volume de touristes envisagé. Vaste débat…
Existe-t-il des limites à l’écotourisme ?
Les limites de l’écotourisme sont donc liées à la fréquentation des territoires.
Est-elle acceptable, et par voie de conséquence, non nuisible aux espèces et populations qui les composent ?
La fréquentation est-elle trop importante ? Engendre-t-elle une surproduction de déchets que l’on ne peut retraiter ? Une demande accrue en eau ou ressources déjà rares pour les habitants ? Des nuisances à la faune ou la flore locales ? Demande-t-elle l’importation de denrées non produites sur place ?
Ces questions, pourtant cruciales sont rarement posées !
Quels sont les critères à retenir, les pièges à éviter ?
Beaucoup d’écotouristes s’auto-organisent, oubliant souvent au passage que les émanations de CO2 émises par l’activité touristique sont largement dues au tourisme individuel et au transport (75 % des émissions dans les stations de montagne).
Et que par conséquent, ils y contribuent très largement tout en préservant leur bonne conscience. Une certaine forme d’ « écotourisme » routier continue de se développer chaque été un peu plus.
Voyager de manière individuelle dans des zones protégées, ne transforme pas de facto tout visiteur en écotouriste. Il suffit d’additionner la quantité de matières fécales et de déchets laissés par l’ensemble des « écotouristes » individuels dans certains endroits pour s’en convaincre.
Les principaux critères à retenir sont donc relatifs à la capacité des territoires et des populations locales à accueillir un certain nombre de visiteurs, sans jamais dépasser la capacité de charge, et la limitation volontaire par tout un chacun de ses propres consommations d’eau, de ressources, sa production de déchets, et ses émissions de gaz à effet de serre.
Pour l’écotouriste, le principal piège à éviter est celui lié à l’information reçue, qui l’incite à visiter des sites qu’il faut avoir vus. Il ne faut jamais oublier qu’au-delà d’un certain seuil, toute personne supplémentaire participe à l’incrémentation de la sur-fréquentation.
Les différents types de vacances éco-responsables
Il existe diverses formes d’écotourisme ou de tourisme responsable :
• la villégiature (les déplacements sont rares),
• la découverte en étoile (les déplacements doivent être programmés de manière rationnelle),
• l’itinérance (les déplacements constituent les étapes et doivent être effectués en utilisant un moyen de transport non polluant).
La villégiature sur le mode éco-responsable revient à combiner un séjour en immersion – idéalement chez l’habitant, en gîte ou chambre d’hôte ou encore en hôtellerie de plein air -, avec un mode de vie simple, et la pratique d’activités douces telles que la randonnée, l’observation des paysages, de la faune, de la flore, etc.
La découverte en étoile éco-responsable reprend ces ingrédients, mais s’effectue à partir de différents points de départ. Dans ce cas le voyage d’une base à l’autre devra privilégier les moyens de transport collectifs, quand ils existent.
Pour l’itinérance, ce qui compte avant tout est le mode de déplacement utilisé : pédestre (dans ce cas on parlera de trekking), équestre, à vélo (cyclotourisme), etc.
Un portage des bagages peut être envisagé. L’animal de bât remplacera alors avantageusement les véhicules spécialement affectés à cette tâche. Parfois il m’est arrivé d’utiliser aussi les transports en commun pour ce service.
Mais il convient de ne pas oublier que les vacances commencent au moment où l’on sort de chez soi, et que par conséquent, le moyen utilisé pour se rendre sur place et la distance parcourue sont les principaux éléments à prendre en compte lorsqu’on décide ses vacances.
Les différents labels existants
S’il est assez aisé d’établir un label prenant en compte l’ensemble des ingrédients qui constituent la conception d’un centre d’hébergement, il en va tout autrement des produits touristiques en « tout compris ».
Comment dans ce cas évaluer les retombées sociales, l’impact réel sur l’environnement, les perturbations occasionnées à la faune, ou les conséquences des chocs en retour occasionnés par certaines rencontres interculturelles (notamment sur le long terme), etc. ?
Seule une évaluation in situ pourrait le permettre. Or à ce jour, personne d’autre que l’Association des Voyageurs et Voyagistes Éco-responsables (V.V.E) ne s’est lancé dans ce type d’évaluations pour la simple raison que cela coûte cher.
De plus, un label onéreux est discriminant pour les acteurs n’ayant pas les moyens de se l’offrir.
C’est pourquoi V.V.E réfute la plupart des labels et pseudo-labels existants, et a travaillé depuis 10 ans à établir deux systèmes d’évaluation permettant de déterminer les engagements de chacun sur un territoire donné. Ils demeurent actuellement en cours d’expérimentations in situ.
Leur lancement officiel aura lieu lors du prochain Salon Sol & Écotourismo en décembre prochain.
En outre, gardons en mémoire le fait que pour l’écotourisme, le territoire constitue le cadre de référence, ce qui complique l’élaboration d’un label qui se voudrait universel.
V.V.E n’évalue donc pas un opérateur ou une gamme, ce qui à ses yeux n’a aucun sens, mais un établissement ou un voyage établis sur un territoire déterminé.
Concernant les « tout compris », il existe cependant un label « tourisme responsable » de l’association ATR, mise en œuvre par Ecocert. L’organisme certificateur valide le fait que les critères, établis par l’association elle-même, sont respectés, s’appuyant non pas sur des évaluations, mais sur les retours des clients, sans qu’aucune connaissance préalable du territoire ne soit requise !
V.V.E a toujours dit, et expliqué pourquoi, les critères d’ATR sont peu restrictifs, et assez flous pour ne contraindre à rien d’autre qu’à l’existant.
Station Verte (partenaire officiel de Sol & Écotourismo) est un label touristique national né en 1964 et dédié dès sa création au tourisme de nature ; la station verte doit obligatoirement présenter un attrait naturel pour des séjours à la campagne : rivière, lac, plan d’eau, espaces naturels.
L’ATES (Association pour le tourisme équitable et solidaire) a effectué des recherches sur cette question complexe de la labellisation. Pour elle, la question des évaluations, reste la problématique principale.
Concernant les hébergements, il existe plusieurs labels :
• L’écolabel européen garantit une prise de conscience environnementale dans la conception de l’hébergement. Son caractère international, et le fait qu’il ne soit pas lié à un groupement de structures commerciales, constituent ses principales particularités.
• Les écogîtes garantissent également une prise en compte de l’environnement : matériaux utilisés, énergies renouvelables, tri des déchets, etc. Ils s’appliquent aux gîtes de France qui répondent aux critères établis.
• Les gîtes Panda, comme ils se décrivent eux-mêmes sont « sont des hébergements gîtes de France, situés hors cas exceptionnels, dans un Parc naturel régional, auxquels le WWF accorde son label ».
Il existe également le groupement des Hôtels au Naturel, implantés sur des territoires naturels d’exception.
Pour tout label, quel qu’il soit, l’important n’est pas tant le label en lui-même, mais la teneur des critères. S’informer sur ces derniers transforme le consommateur naïf en consomm’acteur.
Pour bien préparer ses vacances éco-responsables, il convient donc principalement de vérifier si l’offre participe à la vie locale, est reliée à un territoire qui ne soit pas totalement saturé à la période envisagée, et si les labels affichés imposent de réels engagements au moyen de critères vérifiables. Le reste dépend pour une large part du comportement écocitoyen de chacun.
* Auteur de Écotourisme et tourisme solidaire : 35 ans à la rencontre de l’Autre, Éditions Kalo Taxidi – mai 2018 ; président de l’Association des Voyageurs et Voyagistes Éco-responsables et organisateur du Salon de l’écotourisme, du voyage solidaire et participatif – Grenoble 30 novembre – 2 décembre 2018.
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