Au Costa Rica, 25 % du territoire est protégé au travers de 26 parcs nationaux, 9 réserves écologiques, 30 réserves nationales de faune, 12 réserves forestières et de nombreuses réserves privées. L’écotourisme est devenu la première ressource du pays.
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par Jean-Claude Génot *
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La diversité biologique du Costa Rica donne toute sa démesure à travers les chiffres suivants : 10 000 espèces de plantes, 1 600 espèces d’orchidées, 15 000 espèces de papillons, 915 espèces d’oiseaux dont 3 endémiques du Costa Rica et 93 endémiques du Costa Rica et du Panama, 231 espèces de mammifères, 220 espèces de reptiles, 160 espèces d’amphibiens, 34 000 espèces d’insectes et 1 600 espèces de poissons. Chaque année, 160 nouvelles espèces sont découvertes, souvent des orchidées et bien sûr des insectes. En matière de protection de la nature, les chiffres sont également éloquents avec 25 % du territoire protégé au travers de vingt-six parcs nationaux, neuf réserves écologiques, trente réserves nationales de faune, douze réserves forestières et de nombreuses réserves privées. L’écotourisme est d’ailleurs devenu la première ressource du pays.
Le parc national du volcan Irazu couvre deux mille hectares dans la province de Cartago (deuxième ville du pays) qui inclue deux réserves forestières. Ce volcan situé à 3 400 m d’altitude fait partie comme les autres stratovolcans du pays de la ceinture de feu du Pacifique, nés de la subduction de la plaque de Cocos sous la plaque Caraïbe d’où leur forme conique avec des pentes prononcées. Le cratère principal contenait un lac qui s’est effondré et n’est plus visible. Un second cratère inactif se trouve à côté du cratère principal et il est rempli de cendre volcanique que le vent fait tourbillonner en cette belle matinée de mars. Le paysage est lunaire sous un ciel bleu et nous sommes au-dessus des nuages.
Pour y accéder il y a un péage puis un parking et une boutique. Là un coati, mammifère de la famille des ratons laveurs à pelage sombre avec un nez blanc et une longue queue, est à la recherche de nourriture dans les poubelles au milieu des visiteurs. La végétation des bords de cratères est dominée par une plante du genre Gunnera, aux feuilles larges comme des parasols, couvertes de poussière. Ici il ne neige pas à cette altitude, mais il est tombé des flocons en 2016, un évènement exceptionnel lié peut-être au changement climatique.
Parmi la végétation, un colibri des volcans, endémique des milieux volcaniques, et un autour de Cooper, rapace migrateur en route vers l’Amérique du Nord.
Le parc national Manuel Antonio se situe sur la côte Pacifique dans la province de Puntarenas. Créé en 1972, il a une superficie de près de deux mille hectares pour la partie terrestre et cinquante-cinq mille hectares pour la partie marine. Il est composé d’îles, d’une baie, de mangroves et de forêts pluviales ainsi que de milieux marins. Il est adossé au village de Manuel Antonio qui est une station balnéaire avec une grande plage de sable très fréquentée par les touristes, majoritairement des Américains, et les Costaricains. Les loisirs de la société de consommation y sont proposés comme le jet ski et le para-nautisme, sans oublier tous les services indispensables à ceux qui penseraient encore à aller à la plage sans dépenser d’argent, vendeurs ambulants et loueurs de parasols et de fauteuils de plage. Le site est le théâtre d’une grande agitation avec les restaurants, les bars et les magasins. Seules les premières heures de la matinée offrent une plage vide et une faible circulation routière. Les hôtels ont été construits en lisière de forêt, ce qui explique les cris des singes hurleurs le matin au réveil.
C’est en empruntant une rue bordée d’hôtels et de « marchands du temple » avec bibelots, vêtements made in « India » et boissons locales pour touristes qu’on arrive à la porte du parc national. Près de l’entrée, des guides nature proposent leurs services pour quelques heures dans le parc. Une foule se presse à l’entrée qui est payante, là un préposé fouille votre sac. Tout cela fait penser à un parc zoologique. A peine entrés, des groupes se forment autour des guides équipés de longue vue. Sur à peine cent mètres, nous voyons une femelle et un jeune cerf de Virginie, un paresseux à trois doigts perché tout en haut d’un arbre, un iguane caméléon contre un tronc, une grenouille vénéneuse verte à taches noires immobile au sol dans les feuilles sèches. Il y a tout ce qu’il faut pour donner aux visiteurs l’impression qu’ils ne sont pas dans la nature : sentier en béton, passerelle en bois, escaliers bétonnés avec des caniveaux et panneaux dits pédagogiques qui sollicitent la raison mais aucunement l’émotion.
A la décharge des gestionnaires de ce parc accueillant des dizaines de milliers de visiteurs par an, la forêt est sous l’eau une grande partie de l’année, d’où la réponse technique du parc qui se veut définitive : le béton. On comprend mieux pourquoi ce parc attire tant de monde en arrivant sur une plage sans vague, située dans une baie magnifique, d’ordinaire fermée aux visiteurs car le parc n’est pas ouvert tous les jours. Là, au milieu d’un attroupement incroyable, des singes, les capucins à face blanche, descendent de leurs arbres et viennent au sol, parmi des gens affolés et d’autres tentant de les prendre en photo, pour voler une bouteille de soda qu’ils s’empressent d’aller boire sur leurs branches. Deux ratons laveurs reniflent les sacs des touristes sur la plage, l’un d’entre eux les chasse avec un bâton. Aucun garde du parc n’est présent pour tenter de rappeler un peu les touristes à des comportements plus respectueux de la faune.
Mais que peut-on faire dans un tel cirque ? Le parc national monnaie sa plage sans vague qui attire la plus grande part des visiteurs du parc, les gens avec serviettes de bain étant majoritaires. Il semblerait que le parc limite le nombre de visiteurs à trois cents, mais par jour ou par heure ? Ce que j’ai vu me fait opter plutôt pour la seconde option car à partir d’une certaine heure on ne laisse entrer les gens que lorsque d’autres visiteurs ressortent. Quoi qu’il en soit, cela correspond à un tourisme de masse dont l’impact sur le milieu et la faune en particulier n’est certainement pas négligeable. Les parcs nationaux du Costa Rica ont peu de moyens financiers et il semblerait que Manuel Antonio soit le plus rentable avec son entrée payante et que cet argent profite à l’ensemble du réseau. En sortant du parc, on croise des familles entières venues pour se baigner qui ne voient ni les paresseux dans les arbres ni les frégates dans le ciel. S’il y a un intérêt à observer le fonctionnement d’une telle aire protégée à titre de curiosité professionnelle, le naturaliste à la recherche d’ambiance sauvage, de calme et de solitude n’y trouve absolument pas son compte. De même, malgré certains grands arbres, la forêt visitable est assurément une forêt secondaire.
Le parc national de Carara n’est pas très loin de Manuel Antonio dans la partie centrale de la côte Pacifique. Ce fut d’abord une réserve biologique en 1978, puis elle est devenue parc national en 1998. Le parc a une superficie modeste de cinq mille deux cent hectares et protège une partie du bassin versant de la rivière Tarcolès. Il accueille la plus grande population d’aras rouges sauvages du pays grâce à ses forêts pluviales qui ont un haut degré de naturalité. Il abrite également certains vestiges archéologiques de la période pré-colombienne de 300 ans avant J.C. à 1 500 ans après J.C. L’entrée est payante et donne accès à certains circuits pédestres. Celui que nous empruntons est bétonné comme à Manuel Antonio et sponsorisé par des multinationales américaines comme Coca Cola ou Walmart, dont les noms sont inscrits à même le sol sur le sentier. Le parc est bordé au sud par la route longeant la côte vers le Nicaragua. Le panneau d’information avec le plan du parc est sponsorisé par une entreprise privée comme celui de Manuel Antonio. Certains arbres sont monumentaux et mesurent plus de cinquante mètres de hauteur et trois mètres de diamètre avec des contreforts gigantesques dont l’écorce ressemble à la peau d’un éléphant. Des figuiers étrangleurs recouvrent les troncs d’arbres, des lianes pendent depuis les hautes frondaisons, l’atmosphère est moite, la profusion végétale est totale. On ne peut que ressentir de l’admiration devant une telle nature intégrale. On comprend mieux qu’une nature d’une telle vitalité soit difficile à contenir par l’homme et qu’une clairière sera très vite reconquise par la forêt. La seule manière que l’homme ait trouvé de contenir cette forêt magistrale est définitive, c’est la destruction pure et simple. Pourtant, cette forêt est une merveille de soutenabilité, de recyclage parfait et de fonctionnement circulaire alliant beauté et complexité.
Une plante ressemblant au caféier est omniprésente en sous-bois. Il est bien difficile de voir ou de photographier un oiseau dans ces « gratte ciel » végétaux. Nous avons pu observer des singes écureuils grâce aux mouvements des branches lors de leurs déplacements, une grenouille verte et noire et parmi les oiseaux une pie-grièche mangeuse de fourmis entièrement barrée de noir et blanc sur tout le corps et des ibis blancs au bord d’un ruisseau forestier. Plus loin, une inscription sur le sentier montre qu’une université américaine a des liens avec ce parc. Les universités du pays fréquentent également le parc comme le montre un groupe d’étudiants accompagnés de leur professeur.
Le parc national de Palo Verde, créé en 1978, est situé dans la partie la plus sèche du pays, sur les rives de l’embouchure du Rio Tempisque à l’extrémité du golfe de Nicoya. Il couvre près de dix-neuf mille hectares et fait partie de la province de Guanacaste. Il abrite des forêts sèches, des mangroves, des reliefs calcaires et des marais situés dans la plaine alluviale avec une vaste zone humide classée zone Ramsar qui accueille la plus grande concentration d’oiseaux d’eau d’Amérique centrale. Le parc doit son nom à un arbuste, le palo verde du genre Parkinsonia, au feuillage persistant. Contrairement à Carara et Manuel Antonio, Palo Verde est plus éloigné des grands axes. Il faut emprunter une piste praticable mais poussiéreuse en saison sèche d’une trentaine de kilomètres pour arriver à l’entrée du parc. La région est dominée par l’élevage sur de grandes propriétés où l’herbe est rabougrie et sèche. Les gens pratiquent l’écobuage, mais cela brûle également des haies en totalité et même des piquets de parc. Certains paysages font penser au bush africain. Un canal d’irrigation apporte de l’eau des montagnes pour cultiver du riz et de la canne à sucre. A l’entrée du parc, comme un symbole de sécheresse un cactus pousse au pied d’un arbre sans feuille au milieu d’une zone d’herbe rase entièrement desséchée. Un gros iguane vert, tel un petit dinosaure, semble supporter le soleil brûlant alors qu’il est à l’aise dans les forêts tropicales humides. Un oedicnème local marche tranquillement. Le vaste marais classé en zone Ramsar dans la vallée du Rio Tempisque est accessible en partie grâce à un ponton en très mauvais état, ce qui ne fait que confirmer les faibles moyens dont disposent les parcs nationaux. Face à nous, des milliers d’oiseaux sur fond de montagnes boisées. De très nombreuses espèces d’échassiers sont présentes comme le jabiru, l’ibis satiné et la cigogne des bois dont plusieurs centaines d’individus se répartissent entre les herbiers et les zones inondées. Parmi les oiseaux d’eau : des jacanas, des poules d’eau, des dendrocygnes au poitrail roux et au bec rouge très élégants. Un faucon pèlerin a piqué sur les canards, mais a raté son attaque. Dans le ciel, un ballet de cigognes et de vautours dans un ciel bleu limpide. Il fait si chaud que l’horizon se brouille dans les jumelles. En se réfugiant sous un arbre, le cri de la chevêchette ferrugineuse attire notre attention. Elle est perchée au milieu des branchages, petite mais impériale. Un coati traverse la piste et se dirige vers la forêt, des capucins font le chemin inverse et se dirigent vers les arbres qui bordent le marais.
Nous faisons un arrêt près d’un embarcadère sur le Rio Tempisque, fleuve brun qui charrie les limons des montagnes, encadré par des mangroves verdoyantes. Sur la terre craquelée, un ctenosaur, ou iguane noir, est posé sur un arbre mort, il est reconnaissable à sa queue formée d’anneaux recouverts d’épines. Une termitière est perchée dans un arbre et ressemble de loin à un essaim d’abeilles. Des zones de pâturage clôturées existent dans le parc national car il s’agit de terrains privés. Mais le parc utilise également le pâturage pour empêcher le développement de plantes indésirables dans les marais. Cela révèle l’invariable volonté de maîtriser la nature au profit d’une seule de ses composantes, les oiseaux. Car laisser faire la nature favoriserait d’autres espèces ou les mêmes qu’actuellement, mais en nombre plus restreint. Et qu’en est-il des risques de piétinement des plantes et des nichées par les bovins utilisés pour ce pâturage dit « écologique » ? L’Organisation des Etudes Tropicales (OET) est une organisation à but non lucratif réunissant des universités et des organismes de recherche publics et privés des Etats-Unis, du Costa Rica, du Pérou, du Mexique, d’Afrique du Sud et d’Australie. L’OET possède une station biologique dans le parc où nous sommes allés déjeuner d’un repas végétarien succulent à base de lentilles, de riz, de légumes cuits et crus, de bananes et de mûres fondantes avec un thé vert et du jus d’ananas dans une salle avec ventilateur et fenêtres ouvertes sur la forêt. Un groupe d’une trentaine de coatis est passé à côté de la salle à manger. Un pécari à collier, ressemblant à notre sanglier, est venu très près d’une fenêtre puis s’est enfui dans la forêt. Il fait trente sept degrés et seul le bureau climatisé de la responsable de l’OET offre un refuge contre la chaleur écrasante. Cette dernière nous explique que les forêts du parc abritent des jaguars, des ocelots et des pumas, mais que ces animaux ne sont visibles que sur des pièges photographiques. Une balade dans la forêt sèche permet de voir des acacias, des figuiers étrangleurs, des kapokiers du genre Ceiba, le gommier rouge du genre Bursera, un arbre au tronc cuivré, le guanacaste (Enterolobium cyclocarpum), l’arbre national du Costa Rica aux feuilles de mimosa et le Parkinsonia au feuillage bien vert qui a donné son nom au parc. A cela s’ajoutent des cactus et des vignes du genre Bauhinia et Combretum.
Le degré de naturalité et de conservation augmente avec l’altitude, notamment en ce qui concerne les forêts pluviales et de nuage. La plupart des aires protégées couvrent des zones en altitude sur les cordillères avec des pentes fortes trop pentues pour être exploitées. Certes, il existe des aires protégées à basse altitude, mais les forêts tropicales humides des basses terres du Pacifique sont menacées. C’est également le cas des forêts sèches qui ne représentent aujourd’hui plus que 0,1 % de leur superficie originelle.
Pour prendre la mesure de la déforestation, 75 % du pays était recouvert de forêts en 1950, contre 25 % aujourd’hui. Mais il semblerait que le Costa Rica ait fait des efforts pour freiner la déforestation ou favoriser le retour de la forêt depuis les années 1990. Malgré une communication très optimiste sur la protection de la nature du pays, à l’évidence il n’y a pas assez de moyens pour la conservation de la nature au regard des enjeux extraordinaires de biodiversité de ce petit pays. Ainsi il n’y a pas assez de gardes pour certaines aires protégées et peu de moyens matériels publics pour assurer un accueil de qualité. Les réserves marines font l’objet d’actes de braconnages des requins pour le trafic des ailerons achetés illégalement par des négociants taïwanais. En 2013, un jeune défenseur des tortues a été tué par des braconniers. Pourtant, ce pays a pris des décisions courageuses comme l’interdiction de la chasse et la protection de la nature réglementaire représentant actuellement le quart de sa superficie. Mais malgré l’existence d’inégalités sociales et de maux des temps modernes comme le trafic de drogue, ce pays fait figure d’exception en Amérique centrale et son action en faveur de la nature mérite d’être soutenue et encouragée au niveau international.
- Ecologue
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