La conférence de presse du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, samedi 14 avril 2018 à Alger, a permis, incidemment, à travers le jeu traditionnel de questions-réponses, de situer la place de l’écologie dans l’actualité algérienne.
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par M’hamed Rebah
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La protection de l’environnement n’a pas du tout été citée dans les questions des journalistes et, apparemment, le Premier ministre n’avait pas de raison de prendre l’initiative d’en parler. Au même poste, il y a à peu près 22 ans (mars 1996), c’était devant le Conseil du gouvernement, Ahmed Ouyahia avait tenu des propos assez fermes qui correspondaient à la situation à l’époque : « l’Etat mettra en œuvre tous les moyens nécessaires pour, d’une part, appliquer les règles juridiques en vigueur et prendre en charge dans le cadre des nouveaux investissements l’aspect anti-pollution, et, d’autre part, élaborer et appliquer un programme de lutte contre les pollutions industrielles générées par les activités déjà en production ».
Cette fermeté ne serait pas exagérée, aujourd’hui encore, face à des problèmes d’environnement dont beaucoup découlent de la politique de « libéralisation » commencée il y a près de quatre décennies, en rupture avec la période précédente, post indépendance, qualifiée de socialiste. Le désengagement quasi-total de l’Etat, particulièrement durant les années 1980 et 1990, de nombre de ses tâches de contrôle des activités économiques et, dans le même temps, le délaissement évident par les autorités locales de leurs attributions touchant aux services publics de base, au profit de ce qui paraissait plus lucratif, comme le foncier, ont eu pour conséquence une grave sous-estimation de la protection de l’environnement relevée dans les deux (seuls, à ce jour) rapports sur l’état de l’environnement établis en 2000 et en 2005.
Le « recadrage » opéré difficilement ces dernières années, s’est traduit, en matière d’environnement, par l’introduction dans la nouvelle Constitution (mars 2016) de dispositions directement inspirées du concept de développement durable. L’article 19 (nouveau) stipule que « l’Etat garantit l’utilisation rationnelle des ressources naturelles ainsi que leur préservation au profit des générations futures. L’Etat protège les terres agricoles. L’Etat protège également le domaine public hydraulique. » Cette disposition est venue en complément de l’article 18 (de l’ancienne Constitution et maintenu) qui énonce que « la propriété publique est un bien de la collectivité nationale ». « Elle comprend, précise le même article, le sous-sol, les mines et les carrières, les sources naturelles d’énergie, les richesses minérales, naturelles et vivantes des différentes zones du domaine maritime national, les eaux et les forêts», qui sont, autrement dit, le patrimoine du peuple algérien. Le rajout de l’article 19 n’est pas fortuit. Il est parti sans doute du constat qu’une tendance à l’exploitation non durable des ressources naturelles en Algérie se dessinait et que le risque de leur dégradation, voire leur épuisement rapide, n’était pas à écarter. Les pressions multiples, internes et externes, pour, prétendument, « améliorer le climat des affaires », peuvent, en effet, conduire à faire l’impasse sur le critère de protection de l’environnement s’il est présenté comme un obstacle à l’investissement.
Ce n’est donc pas un hasard si le Préambule de la Constitution précise qu’il s’agit de « bâtir l’économie productive et compétitive dans le cadre d’un développement durable et de la préservation de l’environnement ». Le fait que les ressources naturelles ne soient pas la propriété privée de particuliers mais la propriété de l’Etat facilite la mise en œuvre de l’article 19, pour leur protection. Le comble, évidemment, serait que l’Etat, lui-même, livre au secteur privé, par le biais de la concession, des ressources naturelles (terres agricoles, eau, forêts, notamment), déjà vulnérables, sans lui un mode d’exploitation dans une perspective de durabilité. A titre d’exemple, une course à l’aménagement et l’équipement de forêts ouvertes aux investisseurs « y compris du secteur privé », a été lancée sur plusieurs sites, faussement justifiée par la recherche urgente de nouvelles sources pour le budget de l’Etat suite à la panique créée par le discours alarmiste sur les finances du pays. Dans le cas des espaces forestiers, le cadre juridique existe pour éviter toute dérive qui aboutirait « insensiblement » à la destruction progressive des forêts périurbaines. Celles-ci sont proposées aux investisseurs pour y installer des activités économiques sous prétexte de générer le financement nécessaire à leur gestion.
D’une façon plus générale, l’arsenal juridique qui constitue le droit environnemental en Algérie est assez fourni pour permettre de protéger les ressources naturelles et les écosystèmes face à une exploitation non écologique motivée par le profit visé par l’investisseur. Pour rappel, l’article 68 qui a été introduit dans la Constitution par la révision adoptée en mars 2016, proclame que « la préservation de l’environnement est une tâche de l’Etat ». Sont concernés, les sols fertiles ou à mettre en valeur (particulièrement dans le sud du pays), le littoral et ses plages, les forêts proches des agglomérations urbaines, etc.
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Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du mardi 17 avril 2018.
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