Bioéconomie : un nouveau mot pour accompagner les synthèses des Assises de l’agriculture (plus que de l’alimentation). La bioéconomie serait une économie plus verte puisque censée reposer sur le vivant. Comme tout nouveau concept utile aux nouvelles communications, à prendre avec prudence.
par Dominique Martin Ferrari
Ainsi, un des dossiers phares du salon de l’Agriculture est celui de la méthanisation et par ricochet de l’usage de la biomasse. Si tous s’accordent sur la nécessité de revenir à une gestion plus responsable du secteur des terres et de se diriger vers une diversification de l’utilisation de la biomasse, l’objectif de Zéro Émissions Nettes change la donne. Cet objectif met en lumière de potentiels choix, ou arbitrages, à effectuer entre les différents usages de la biomasse. Et en effet, alors que les sols nourrissent le monde, pourrons-nous tout à la fois mobiliser des matériaux biosourcés, brûler des biodiesels dans nos moteurs, se chauffer au biogaz et faire de la chimie au carbone biogénique ? (question posée par le Shift project)
Il est clair que d’ores et déjà ce dossier complexe va faire rêver au delà des possibles.
Dans le N°2 de notre revue L’outremer en métamorphose sous le titre « la complexité à la manoeuvre : rendre forêt et agriculture compatibles », Jean-Christophe Roggy, chercheur à l’INRA et directeur adjoint d’ECOFOG, analyse le réservoir biomasse utile guyanais. Un vrai projet de valorisation en énergie des déchets verts reposant sur un plan de gestion compatible des sols et de l’agroforestrie. Une des rares approches sérieuses de la question, une approche par l’économie circulaire.
Une page se tourne
Des milliers d’hectares devraient selon les derniers accords nationaux (2017) être rétrocédés par l’Etat aux communes du nord et du sud du pays pour répondre aux besoins induits par une démographie en augmentation permanente. Jusqu’à présent cette région ne pouvait disposer à sa guise de ses ressources forestières protégées. Mais l’impératif de développement durable conduit à reconsidérer le statut et les usages des ressources naturelles et la Guyane revendique son autonomie de gestion.
Elle cherche donc d’autres voies pour valoriser sa forêt par des politiques de développement endogène, en rupture avec les politiques nationales. Une vision en expérimentation qui contient ses propres contradictions.
Près d’Iracoubo, en lien avec le programme RITA (qui vise à accompagner le passage à une agriculture organique), et l’EPAG (établissement public guyanais), J-C Roggy co-conduit un gros dispositif expérimental d’économie circulaire : installation d’agriculteurs, alternative de productions, développement énergétique. 4000 ha sont en cours d’aménagement pour être déforestés et pour alimenter un projet de biomasse (5 M de tonnes avec 50.000 t/an), tout en permettant l’installation d’un projet agro-écologique. « C’est une expérience de défrichement à faible impact, de compensation écologique grâce à des arbres multi-espèces ( 5 ou 6 espèces de tachigali commercialisables) replantés pour une jachère active, une réhabilitation des sols, et in fine pour la biomasse. Puis nous allons y expérimenter sur les 150 ha d’abattis limitrophes, du patûrage, du maraîchage en vue d’un système sylvo-pastoral avec des gens qui ont une vision agro-forestière. Mais l’idée principale est le test sur des zones dégradées des plantes de services ou de couverture, des légumineuses fixatrices d’azote accompagnés d’amendements organiques. Une fois les sols régénérés, ils devraient permettre la culture des fruitiers, du café, du cacao. »
Le plan biomasse
J-C Roggy suit sérieusement le projet. Rappelons qu’il était inscrit dans le plan priorité énergie signé par Ségolène Royal en avril 2017, et a été confirmé par Emmanuel Macron lors de son récent voyage, proposant le « développement des filières bois et biomasse, la création autour de l’université de «clusters de compétences» pour le développement des activités liées aux énergies renouvelables et à la biodiversité de la forêt amazonienne. »
A la lecture des projets, le milliard promis sera versé. La volonté politique étant désormais affichée, les services de l’Etat se donnent des outils de fiscalisation avec une délimitation des zones d’intérêt prioritaires que l’on retrouve affichées sur le site de l’EPAG (devenu EPFA).
Le partenaire industriel privilégié des projets est Voltalia, né en 2005.
Déjà à Kourou en 2009, a été mise en service une centrale biomasse dont les toits sont équipés de 2 000 m2 de modules photovoltaïques d’une puissance totale de 185 kWc. Cette centrale « multi-énergies » valorise plus de 30 000 tonnes de déchets de bois, issus des principales scieries de Guyane, et produit l’équivalent de la consommation d’environ 9800 personnes.
Prés de Cacao, là où se trouve une des principales scieries de Guyane, on travaille à une centrale de 5,1 MW. La diversité de gisements en Guyane fait de la filière biomasse « une filière d’avenir pour le territoire, créatrice d’emplois présentant un débouché pour le traitement des déchets issus des scieries et des défriches agricoles et à des fins de constructions », martèle la région. Effectivement, de tous les territoires ultramarins répertoriés par l’ADEME, la Guyane est peut être le seul à proposer une voie crédible pour la biomasse. De gros gisements ont été identifiés : défriches à des fins de constructions immobilières, déchets d’exploitation forestière (ouverture de pistes), déchets de scieries, exploitation forestière de bois-énergie en complément du bois d’œuvre, exploitation de forêts à vocation énergétique.
Restent à concilier protection et usage !
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Cet article a été publié sur le site Métamorphoses outremers.
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