Monde ancien, restez serein, il se dissout de plus en plus vite et vos souvenirs ne sont déjà plus que mélancolique nostalgie.


par Richard Varrault, président des JNE

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Cette année, vous avez décidé de passer une semaine de vacances sur une île lointaine de l’hémisphère sud avec votre famille. Le jour J, un taxi, précommandé auprès d’une société spécialisée, vient vous prendre dans votre quartier parisien pour rejoindre Roissy, votre aéroport de départ. Il fait chaud, presque trop chaud, mais heureusement la clim fonctionne dans le véhicule. Vous percevez pourtant un chuintement sur la chaussée. Un regard interrogateur vers le chauffeur, il vous explique que la chaleur fait fondre le bitume et les pneumatiques des véhicules récupèrent une partie du revêtement routier. Vous passez du véhicule climatisé à l’environnement de l’aérogare rafraîchi. Mais là, surprise, des panneaux affichent partout que le personnel au sol est en grève, il réclame de meilleures conditions de travail, notamment le rafraîchissement des hangars où ils travaillent. L’activité est ralentie mais vous accédez cependant à votre avion gros porteur.

L’avion décolle, vous êtes côté hublot et vous appréciez de voir défiler la campagne. Dans votre souvenir, elle n’avait pas cette forme et cette couleur. Beaucoup de lieux, verts dans votre esprit, sont d’une couleur marron et vous soupçonnez des vents au sol au vu des tornades qui semblent marcher toutes seules. Plus tard, l’appareil survole la Mer Noire, des flammes surgissent au-dessus de la surface de l’eau. Après réflexion, vous estimez que ce sont des hydrates de méthane qui remontent en grande quantité des fonds marins vers l’atmosphère. Voilà qui ne va pas arranger le réchauffement de la planète.

Encore quelques heures et vous voilà à destination. La température est plus clémente qu’à Paris. Vous montez dans un taxi à destination de votre hôtel en bord de mer, mais un spectacle étrange vous surprend. Dans le lointain des cheminées crachent une fumée noirâtre depuis un ensemble de structures qui ressemblent à des usines. Après échanges avec le chauffeur, il vous explique que de récents forages ont été réalisés sur le plateau continental pour extraire pétrole et gaz du sous-sol. Surpris, mais vous acceptez l’idée, ces petits pays essaient de s’en sortir « par le haut »… Confort et vue sur le large vous réconcilient avec l’environnement local.

Le lendemain, toute la famille se retrouve sur la plage qui vous paraît bien étroite et différente de la présentation du site internet qui vantait ces îles. Elle est moins large, l’océan est tout de suite là. Un panneau informatif sur l’accès à la plage à destination des visiteurs présente la montée continuelle de l’océan et la disparition progressive des vastes plages. Informé mais pas inquiet, vous invitez votre famille à parcourir cette bande de sable clair, quand vous constatez de nombreux déchets plastiques apportés par les marées. Des ouvriers locaux sont actuellement en phase de ramassage et vous expliquent qu’une gyre (continent de plastiques flottant entre deux eaux) se trouve à moins de 200 km de l’île et qu’elle envoie une bonne partie des détritus plastiques sur les plages. Votre penchant pour l’écologie pratique vous incite à demander à votre famille d’aider ces travailleurs dans leur ramassage, image du mythe de Sisyphe ramené à une plage.

Le soir, vous décidez de prendre au menu un bon repas de fruits de mer. Surprise, la carte précise pour les fruits de mer « en fonction des arrivages ». Nous questionnons le garçon de salle qui explique que l’acidification de l’océan ne permet plus aux élevages locaux d’huîtres et de moules de se développer normalement et un effet semblable affecte les animaux marins à carapace, de même que les coraux de la région qui ont tous blanchi. « Ce sont d’autres îles qui nous approvisionnent, mais nous sommes en rupture actuellement. »

Les belles vacances se déroulent à leur rythme et le moment du retour arrive. Pendant le vol, vous réfléchissez à ce que sera le prochain hiver et vous supputez qu’une bombe cyclonique puisse toucher l’Europe avec des froids de moins quarante à moins cinquante degrés centigrades comme il n’y a pas si longtemps en Amérique du Nord…

Je laisse mon héros temporaire à ses pensées, pour revenir en 2018 et à ce genre littéraire « nouveau », vieux de quelques années tout de même et qui se nomme « cli-fi », pour climate-fiction. Son but consiste à faire évoluer les personnages d’une histoire, ou d’un roman, dans un monde transformé par le changement et les dérèglements climatiques, notamment le réchauffement planétaire. Son objectif est de faciliter la prise de conscience des lecteurs sur les enjeux du réchauffement climatique et de lutter contre les climato-sceptiques et autres partisans favorables aux fossiles.

Notre association a la chance d’avoir un adhérent renommé dans ce genre fictionnel (1), Pierre-Yves Touzot qui a déjà publié le roman Terre Lointaine (éditions du Caillou) et dont le dernier Old Forest figure dans la liste présentée dans l’annuaire JNE 2018.

Puissent les romanciers de la « cli-fi » devenir aussi célèbres que ceux de la « sci-fi » ou science-fiction qui a fait rêver des millions de lecteurs. De plus, au fil du temps, ils passeront de la fiction à la réalité contemporaine et les amoureux de ce genre les remercieront peut-être de leur avoir suggéré des solutions pragmatiques face aux dangers de ces bouleversements.

Président des JNE, Richard Varrault est directeur de publication de Waternunc.

(1) Voir l’article de The Conversation : http://theconversationfrance.cmail19.com/t/r-l-jrddaht-huijuyudlt-i/

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