Les « cent soleils » de Takashi Arai ne sont pas les étoiles que nous connaissons : ni celle qui éclaire puissamment nos jours, ni les étoiles plus quelconques de nos nuits. Ils rappellent en beauté les méfaits de l’industrie nucléaire au Japon. Né au Japon en 1978, le photographe fait émerger la mémoire nucléaire des événements de Fukushima (2011), Hiroshima et Nagasaki (1945).
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par Jane Hervé
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Une angoisse bleuie
Montrer la postérité angoissante de ces événements est une prouesse permise par le daguerréotype dont l’image (reproduite sur une surface de cuivre recouverte d’argent) possède en soi une réelle étrangeté. Celle-ci est accentuée par les traces bleuies (courbe bleue traversant le soleil, minuscule soleil apparaissant dans l’image, taches étales) parfois diffuses, parfois éthérées, parfois nettes, parfois floues. Celles-ci se sont installées « par hasard », selon Arai, sur un camaïeu dérivant du noir au blanc.
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Son principe d’artiste est d’intégrer souvent dans un cercle solaire les diverses horreurs, quelles soient dans la nature ou dans la civilisation, tout en glissant parfois – en rappel un vrai soleil du même bleu électrique. L’un de ces « soleils » occupe sur une photo l’endroit exact de l’explosion à Hiroshima. Dans la nature dévastée d’abord, les arbres de Miharu (2011), les pissenlits décharnés de Nagasaki avec le Soleil au loin (2014), les tournesols d’Hiroshima, les pins d’Inawashiro (2015) sont autant de témoins défaillants mais enracinés dans le sol.
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Dans les œuvres des hommes également endommagées ensuite, tel le paquebot d’Onahama (2011), la ville d’Hiroshima avec le Soleil bleu (2014) et surtout l’immense centrale de Fukushima. Cette dernière, décomposée en 296 mini-daguerréotypes, exprime les brisures, les décompositions, en bref le chaos causé par l’atome en une mer tsunamique aux vagues encore rageuses.
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Chez les êtres humains enfin : le moine de Fukushima pose dans toute sa « colère ». On comprend vite pourquoi. Il est entouré des innombrables containers de déchets nucléaires qu’il a rapporté lui-même en camion jusque dans son jardin (2013). Il y a enfin cette journaliste-auteure coréenne – nation dédaignée par les Japonais – qui s’est installée avec son fils à Fukushima pour interviewer les habitants qui y vivent. Leurs deux regards fixes et las, braqués sur le photographe, rappellent que les hommes sont pris dans la nasse de ce destin nucléaire. Un regard aussi las que le nôtre devant notre impuissance française à sortir du nucléaire !
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En 2016, le photographe a reçu deux prix : celui du Kimura Ihei et celui de la Photographic Society of Japan.
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Cent soleils
Photographies de Takashi Arai
Galerie Camera Obscura
268 boulevard Raspail, 75006 Paris
Exposition du 7 avril au 27 mai 2017, mardi – vendredi 12 h – 19 h / samedi 11 – 19 h
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