Sauvage vient du latin silvaticus, qui signifie la forêt. Rien d’étonnant puisque la forêt a longtemps été considérée comme le refuge des animaux sauvages ou des bêtes fauves mais aussi des humains vivant en dehors des lois et des règlements, donc qui appartiennent au monde sauvage.
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par Jean-Claude Génot *
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Le terme sauvage désigne ce qui n’est pas domestique ou ce qui n’est pas apprivoisé. Il caractérise un animal ou une plante qui vit ou pousse librement dans la nature. Mais un animal domestique ou une plante de jardin peut se mettre à vivre en pleine nature. Dans ce cas, on dit que l’animal ou la plante s’ensauvage. Un espace sauvage est aussi un lieu qui n’est pas transformé par l’homme, mais qui a très bien pu l’être dans le passé ou qui le sera dans le futur. La nature étant ce qui se développe en dehors de notre volonté à un moment donné, nul besoin de la qualifier de sauvage. Mais face à la perception générale de la nature qui ne se conçoit plus que « améliorée » par l’homme, l’expression nature sauvage rappelle que la nature est un monde non contrôlé par l’homme et peuplé d’espèces sauvages.
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Dans l’Amérique anglaise du XVIIe siècle, l’expression Wild Woods signifiait « profondeur des bois » alors que la forêt à cette époque était suffisamment sauvage pour ne pas l’évoquer en lui ajoutant cet adjectif. Mais dans ce cas, il s’agissait sans doute de souligner l’éloignement de ces territoires autochtones non colonisés, livrés à la nature sauvage, et peuplés d’Indiens. Pour le philosophe de la nature Paul Shepard, l’homme porte en lui les racines du monde sauvage des origines, celles du Pléistocène : « le contexte de notre être dans le passé est de toute évidence la nature sauvage ». La sauvagerie caractérise la nature sauvage mais aussi ceux qui y vivent, humains et non humains. Elle peut traduire autant le caractère indépendant du monde des hommes que la violence du comportement, qu’il s’agisse d’un humain ou d’un non humain. Pour Shepard : « la sauvagerie est un état génétique » et la dimension sauvage de l’homme est nourrie par la nature sauvage. La nature sauvage n’est pas seulement le lieu peuplé de créatures sauvages mais elle existe dans nos gènes : « Le « retour » vers la nature sauvage est un voyage que nous effectuons sans cesse, puisque nous en sommes imprégnés ».
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Lors de la colonisation de l’Amérique du Nord, les Européens voyaient les Indiens comme des sauvages. L’image fantasmée du « Sauvage » était la suivante : « nu, chasseur, nomade, païen, polygame, superstitieux, oisif, insubordonné, sans Etat, licencieux, instable maritalement, gourmand et festif ». A cette époque, les coureurs de bois qui étaient en contact avec les Indiens étaient également assimilés au « Sauvage » américain : sans loi, sans roi, sans foi, sans police, sans magistrat.
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Il y a souvent une confusion entre nature sauvage et nature vierge ou primitive. Cela peut être le cas, mais le sauvage peut exister au sein du monde des hommes. C’est la nature en ville, la friche en zone agricole, la forêt délaissée par son propriétaire, le paysage contaminé de la zone d’exclusion de Tchernobyl ou encore le loup qui se joue des frontières pour parcourir l’Europe urbanisée. Alors que la biodiversité semblait triompher, signant la fin de la nature devenue insupportable, le Journal Officiel (JO) du 15 janvier 2017 vient d’entériner un néologisme pour le moins inattendu : la sauvageté ! La sauvageté est définie comme « le caractère d’un espace naturel que l’homme laisse évoluer sans intervenir ; par extension, cet espace lui-même ». Est-ce que ce nouveau terme (pas si nouveau que cela puisqu’il vient du vieux français et correspond aux termes anglais wildness et allemand Wildnis) sert enfin à reconnaître la nature réelle et la nécessaire existence de son caractère spontané, de sa libre évolution et de son autonomie dans un paysage que nous dominons de façon despotique ? Ou bien n’est-ce qu’une nouvelle façon de socialiser la nature comme le laisse entendre le philosophe Julien Delord qui voit dans la sauvageté la part civilisée du sauvage ? La définition du JO semble pencher vers un lâcher prise puisqu’il est question « que l’homme laisse évoluer sans intervenir ». Souhaitons que dans le gradient des actions de conservation, depuis la gestion interventionniste très dominante jusqu’à la non intervention, la libre évolution soit plus mise à l’honneur.
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* Ecologue
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Références
Delord J. 2005. La « sauvageté » : un principe de réconciliation entre l’homme et la biosphère. NSS 13 : 316-320.
Havard G. 2016. Histoire des coureurs de bois. Amérique du Nord 1600-1840. Rivage des Xantons. 885 p.
Shepard P. 2013. Retour aux sources du Pléistocène. Editions Dehors. 251 p.
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