L’Odyssée, le récent film sur Cousteau, souligne une vérité du personnage : il n’est devenu protecteur de la planète que sur le tard, à 62 ans, après une expédition en Antarctique en 1972 qui l’a positivement fasciné.
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par Roger Cans
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Son fils Philippe, c’est vrai, avait essayé de le tirer plus tôt vers la protection de la nature, quitte à sacrifier les goûts du grand public pour l’anecdotique, mais en vain. Cousteau savait ce que demandait la télévision américaine, et il n’hésitait pas à privilégier des montages très personnels pour satisfaire la demande générale, plutôt que de prêcher pour la protection des requins ou des baleines. En outre, il faut l’avouer, Philippe avait surtout le goût de l’aviation, comme son père à l’origine, ce qui n’est pas en soi une démarche écologique.
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C’est donc bien l’Antarctique, où il était avec ses deux fils, qui a converti Cousteau à la croisade écologique. Le film L’Odyssée, centré sur la mort de Philippe, le fils préféré, s’ouvre et s’achève sur l’accident d’avion qui lui a coûté la vie lors d’un survol de l’estuaire du Tage, au Portugal. Du coup, le film occulte le fils aîné Jean-Michel, réduit à une très pâle figuration. C’est un parti pris du réalisateur, parfaitement légitime, mais il faut quand même rappeler que les deux fils ont joué un rôle important dans la plupart des expéditions Cousteau, le remplaçant même souvent en son absence sur le bateau.
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Lors d’une grande expédition aux antipodes en 1968, via la Mer Rouge, Madagascar et l’Afrique du Sud, c’est Jean-Michel qui mène la barque. Le commandant est resté à terre, toujours à la recherche de nouveaux contrats, de nouvelles opportunités et de nouvelles trouvailles techniques. Philippe est en Californie avec l’Américaine qu’il vient d’épouser. Et Jean-Michel, chargé de la logistique, prépare les escales de la Calypso. C’est alors lui qui pousse l’équipe de tournage à aller filmer dans les mines de diamant. C’est donc à son fils aîné que Cousteau le marin doit l’idée de filmer aussi à terre, et donc de se lancer plus tard dans l’exploration des grands fleuves.
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Après la mort de Philippe, Jean-Michel ne quitte plus son père, et ils feront un tandem très performant. Sur tous les documents, affiches et couvertures de livres, le père et le fils apparaissent ensemble, duo emblème de l’écologie planétaire. Pour couronner cette démarche commune, Jean-Michel, architecte, est chargé de concevoir le « Parc océanique Cousteau » du Forum des Halles à Paris, inauguré en grande pompe en 1989 par le Président Mitterrand et le Premier ministre Michel Rocard. Mais le parc fait un flop, imputable à la fois au père et au fils : le père, qui ne voulait pas d’animaux vivants, conformément aux nouveaux canons de l’écologie, et le fils qui a accepté de concevoir un lieu de curiosité océanographique dans un souterrain minuscule, où l’on ne trouve que des écrans de télévision montrant le commandant avec son bonnet rouge et des boutiques souvenirs où l’on vend des peluches.
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Après le sommet de la Terre de Rio, en 1992, qui consacre Cousteau « Captain Planet », Jean-Michel rompt avec son père, remarié avec une ancienne hôtesse de l’air. Installé aux Etats-Unis, il prend la tête de la « Cousteau Society » et multiplie interventions et conférences, au nom de son père. Cela a le don d’irriter le commandant et sa nouvelle femme Francine, qui s’estiment les seuls à représenter les « Equipes Cousteau », le nom de la fondation en France. Mais les Américains ne font pas la différence entre les deux institutions et continuent à vouer un culte à Jean-Michel, qui vit chez eux.
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La rupture définitive entre le père et le fils intervient lorsque Jean-Michel crée un « Cousteau Resort » aux îles Fidji. Le commandant ne supporte pas que l’on utilise son nom pour une opération touristique et commerciale où il n’a aucune part. Il ne pourra pas s’opposer à un « Jean-Michel Cousteau Resort », qui ne fait référence qu’à son fils, libre d’utiliser son nom comme il l’entend. Depuis la mort de son père en 1997, Jean-Michel exploite à fond l’aura planétaire et surtout américaine du commandant, en plaidant pour la bonne cause : la sauvegarde de la planète, comme naguère son frère Philippe. Il a été nommé en octobre 2016 Chairman de l’ONG Green Cross International, succédant à ce poste à Mikhail Gorbatchev.
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Sur le film L’Odyssée, voir aussi la critique de Laurent Samuel.
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