Il fallait aller à La Haye pour voir l’inimaginable : le début du jugement de l’entreprise américaine Monsanto jaugée, examinée, évaluée.
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par Jane Hervé
Les dégâts de ses produits sur les hommes, les animaux, les plantes, le sol et l’eau sont désormais évoqués entendus, enregistrés, sans être pour autant reconnus par ceux qui les ont causés. Du 14 au 16 octobre 2016, un formidable tribunal citoyen s’est tenu à La Haye avec de vraies victimes et de vrais experts jugés par de vrais juges. Un tribunal pédagogique pour faciliter la prise de conscience de tous. Une étape fondamentale. L’organisation en elle-même était déjà un défi international : Corinne Lepage, Vandana Shiva, Hans Herren, Arnaud Apoteker, Marie-Monique Robin et bien d’autres s’y étaient attelés avec force et succès. Ils conjuguaient leur volonté de lutter ensemble contre ce monstre Monstranto ( !) dont le lobby fonctionne à l’échelon mondial en infiltrant gouvernements, entreprises et groupes scientifiques ou en poussant à des procès onéreux les victimes empoisonnées par les produits utilisés (dont l’herbicide Round Up, le plus utilisé dans le monde et contenant du glyphosate).
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Lutter comment ? Par quel bout commencer dans un tel champ de désespoir et de rébellion ? En écoutant la parole des victimes. Elles viennent de diverses nations – du Burkina-Faso au Sri Lanka, de l’Argentine au Canada – mais se sont rassemblées pour exprimer les faits et leur vécu. Elles ont révélé à quel point les produits commercialisés depuis des années par l’entreprise Monsanto – herbicides, pesticides, fongicides, OGM – vendus au nom de la croissance et de la rentabilité agricole, étaient dangereux. Toutes ont témoigné de leur douleur avec une grande dignité. Hommes et femmes ont payé dans leur chair la présence ou la respiration de ces produits engendrant des malformations des enfants (en cas de grossesse), des troubles autistiques (en augmentation depuis l’utilisation des OGM en 1996), des maladies de reins, de l’œsophage et des cancers multiples. Ces victimes ont lutté avec courage contre la maladie ou la perte d’emploi : des cultivateurs accusés à tort d’usage de semences OGM ou épuisés par la lutte qui s’ajoute à leur travail quotidien pour survivre et vivre de leur travail, des apiculteurs mayas (1500 familles touchées) qui ne peuvent vendre leur miel bio contaminé par les OGM des champs voisins, des scientifiques aussi évincés des programmes de recherches pour avoir osé informer sur les substances réelles contenues dans le Round Up.
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Observer les plantes dont la « croissance est déformée » et qui deviennent plus résistantes. Constater que de nouvelles herbes sauvages apparaissent « dont les racines ne stockent plus rien » (c’est-à-dire plus d’eau) alors qu’elles servaient jadis d’engrais naturel. Observer les bêtes aussi. Certains animaux dont le fourrage contient du glyphosate souffrent de troubles de l’estomac. Constater que l’eau et les nappes phréatiques sont également touchées.
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Ecouter la parole des avocats et des experts, ensuite. Ils ont rassemblé les témoignages des victimes et parfois des études. En Argentine, 35 études ont été menées par des universitaires, révélant que les eaux de pluies étaient affectées, que 4 000 km de rivières étaient empoisonnées, bien que bues par les animaux, les hommes et les plantes. Pas moins de 21 travaux scientifiques font état de l’apparition de malformations (reins, œsophage, etc.). Tous ont mesuré à quel point les preuves d’atteinte par le glyphosate/OGM étaient difficiles à donner pour deux raisons : tout d’abord les « éléments techniques » étaient aux mains de Monsanto, ensuite les victimes avaient peu de moyens financiers.
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Comprendre que les avocats de Monsanto trouvent toujours une faille : infiltration de membres du lobby auprès de certains ministères (en tant que consultants en Australie) et de certains gouvernements, contestations tous azimuts des expertises scientifiques avec infiltration de scientifiques qui leur sont dévoués, procès incroyablement onéreux qui détruisent la force mentale et les finances des victimes. Les méfaits de Monsanto sont déjà extrêmement difficiles à prouver. D’abord invisibles et méconnus, ils se développent « dans le temps » jusqu’à la compréhension de la vérité. Ils touchent des lieux géographiquement très éloignés (Australie, Canada, Mexique, Brésil, etc.), rendant difficile la conjonction des colères et des revendications légitimes. Le rachat récent de Monsanto par Bayer conjugue de surcroît les forces de destruction de la santé, en facilitant le contrôle de toute la chaîne agricole et rendant encore plus écrasant le combat des victimes.
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Cinq juges venus d’Argentine, du Canada, du Sénégal, du Mexique et de Belgique rendront leur verdict. Ils répondront aux questions suivantes : la firme Monsanto viole-t-elle le droit à un environnement sain, propre et durable ? Viole-t-elle le droit de se nourrir ? Porte-t-elle atteinte aux normes de santé ou au droits des enfants à jouir de la santé ? Viole-t-elle la liberté indispensable de la recherche scientifique ? Est-elle complice de crime de guerre en fournissant des produits utilisés en 1962 au Vietnam ? Est-elle coupable d’un crime d’écocide en détruisant l’environnement ? Un combat juridique à mener car si ce crime est reconnu il est aussi un « crime contre l’humanité ».
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Qui possède la vie quand toute la Nature est en train d’être tuée, quand la biodiversité disparaît ? Telle est la question qui se pose. Cette Assemblée des Peuples révèle que le plus grave est à venir. Si la destruction de la nature se généralise irrémédiablement, elle touchera les générations futures, enfants et petits enfants. Pourront-ils survivre sur une terre dévastée, avec une eau polluée, des plantes et des animaux déformés ? « La seule chose est de s’unir » aujourd’hui, nous qui sommes en pleine force, éblouis par les combats individuels de tous ceux que nous avons entendus.
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