Sorti dans les salles le 15 octobre 2016, L’Odyssée, film de Jérôme Salle consacré à Jacques-Yves Cousteau, se laisse voir sans déplaisir, grâce à une réalisation efficace et aux interprétations impeccables de Lambert Wilson (le Commandant), Audrey Tautou (sa première épouse Simone) et Pierre Niney (son fils Philippe). Ce long-métrage de fiction a aussi le mérite de ne pas tomber dans l’hagiographie, et de montrer certains « mauvais » côtés de « JYC », comme par exemple son indifférence au sort de deux otaries mises en cage à bord de la Calypso.
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par Laurent Samuel
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Pourtant, tout en faisant mine de déconstruire le « mythe » Cousteau, L’Odyssée nous en bâtit un autre. Car ce film monte en épingle une brouille survenue au milieu des années 1960 entre JYC et son fils Philippe, ce dernier reprochant à son père de se soucier comme d’une guigne des problèmes d’écologie et de condition animale et d’être uniquement motivé par l’argent, via notamment ses contrats avec la chaîne américaine ABC dont les documentaires font du « Captain Cousteau » une célébrité internationale. Si l’on en croit le film, cette rupture aurait été suivie d’une réconciliation dans les années 1970, Philippe acceptant de travailler avec son père sur une nouvelle série de documentaires, plus « écolos » que les précédents, consacrés à l’Antarctique. Au cours du tournage, le Commandant aurait vu la lumière, et le salaud, indifférent même au décès de son propre père, serait devenu un héros, un capitaine courageux dévoué au sauvetage de la planète en danger. Une rédemption que la mort accidentelle de Philippe en 1979 aurait parachevé, faisant du « Captain Planet » une figure quasi-christique.
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Comme on s’en doute, la réalité est plus nuancée. « JYC » n’a jamais été ni ce méchant intégral dépeint dans la première partie du film, ni ce héros exemplaire loué dans sa deuxième partie. Ainsi que le rappelait notre confrère JNE Yves Paccalet, longtemps membre de l’équipe Cousteau, dans une émission de la Tête au Carré sur France Inter consacrée à la sortie du film, le Commandant s’était ému de la pollution de la Méditerranée dès ses premiers films dans les années 1940, avait participé à une manifestation contre les armes nucléaires au tout début des années 1960, et avait dénoncé dès cette époque les déversements en mer de déchets radioactifs. Il est donc faux de dater des années 70, comme le fait le film, sa « conversion » à l’écologie. Au cours de la dernière partie de sa vie (entre la mort de Philippe en 1979 et la sienne en 1997), sur laquelle L’Odyssée a choisi de faire l’impasse, Cousteau a d’ailleurs continué à concilier son engagement écologiste avec la poursuite d’opérations commerciales pas toujours profitables, ainsi que l’a illustré le gouffre financier retentissant de son Centre océanique dans le Forum des Halles à Paris.
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On regrette aussi qu’à se focaliser sur le conflit avec Philippe, L’Odyssée occulte celui, bien plus documenté (voir le livre de notre confrère JNE Roger Cans, Cousteau : Captain Planet, aux éditions Sang de la Terre) du Commandant avec son autre fils, Jean-Michel. De même, sont rayés du paysage le frère maudit collabo, Pierre-Antoine Cousteau, ancien de Je Suis Partout, mort en 1959, ainsi que sa seconde femme, Francine Triplet, épousée en 1991 après le décès de Simone en 1990, mais avec qui il avait fondé une seconde famille dès 1979, avec la naissance de deux enfants, Diane en 1979 et Pierre-Yves en 1981. La présence dans le film de ces deux personnages controversés aurait-elle risqué de faire tache ?
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En sortant de la salle, on a pensé à la célèbre phrase du film de John Ford, L’homme qui tua Liberty Valance : « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende ». La légende de Cousteau telle que nous la raconte Jérôme Salle est sans conteste plus séduisante que la réalité du personnage, bourré (comme chacun de nous…) de contradictions et capable du pire ou du meilleur. Alors, ne boudons pas notre plaisir, à condition de ne pas oublier que tout ceci n’est qu’une belle histoire…
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