Ile de Flores en Indonésie : du dragon au Hobbit

L’île de Flores, en Indonésie, est célèbre pour son dragon, qui est en fait un varan géant, et pour la découverte récente par les anthropologues d’ossements humains appartenant au tout petit Homo floresiensis, surnommé familièrement le « hobbit ».

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par Annik Schnitzler

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L’île volcanique de Flores est située au cœur des petites îles de la Sonde, en Indonésie. Elle n’a jamais été reliée aux petites îles voisines de Bali, Lombok ou Timor, et encore moins aux grandes îles plus lointaines comme Sulawesi ou la Papouasie, même aux temps glaciaires durant lesquels le niveau de la mer s’était considérablement abaissé. C’est dire à quel point cette île est isolée naturellement. Elle l’est également par les puissants courants marins qui l’entourent.

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On ne s’étonnera donc pas de l’extrême pauvreté de sa faune. Autre caractéristique de cette ile peu ordinaire, elle se situe à l’ouest immédiat de la ligne de Wallace qui sépare deux énormes masses continentales, l’Indo-Malaisie et Australie-Bornéo depuis des millions d’années. Les faunes des deux côtés de cette ligne y sont très différentes. Ainsi, le tigre s’est arrêté à Bali à l’Ouest de la ligne, et les marsupiaux à l’Est.

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Dragon de Komodo -photo Sophie Schnitzler

Cette île modeste en taille (360 km de long) est célèbre dans le monde entier pour son « dragon », qui est en fait un varan géant (Varanus komodoensis) connu avec ses 3 mètres de long pour être le plus gigantesque lézard du monde actuel. Autre curiosité, la découverte récente par les anthropologues d’ossements humains appartenant à une humanité minuscule, Homo floresiensis, surnommé familièrement le « hobbit ».

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Gigantisme et nanisme sont deux adaptations bien connues des petites îles isolées durant de très longues périodes. Ces deux processus s’expliquent, pour les petites espèces devenues géantes, par l’absence de prédation, et pour les grandes espèces devenues naines, par le fait que de grands animaux ne peuvent vivre des millénaires sur des espaces trop restreints sans disparaître en quelques générations, par manque de place.

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Gigantisme et nanisme se sont bien produits sur l’île, mais pas pour le dragon et sans doute pas non plus pour le hobbit. En revanche, deux éléphants devenus nains, du genre Stegodon, se sont succédé dans le temps jusqu’à la fin du Quaternaire ; et il existe toujours deux espèces de rats géants sur l’île. D’autres espèces géantes ont fréquenté ou fréquentent toujours l’île : un oiseau (un marabout de 1 m 80), une tortue géante, tous deux disparus, et une chauve-souris frugivore qui d’ailleurs peut s’observer dans différentes îles indonésiennes.

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Quant au « dragon » et à l’homme de Flores, comme cela a été dit, l’histoire est différente. Le dragon de Komodo est, on s’en doute, un fossile vivant. Ce carnassier redoutable, à la morsure toxique et mangeur de grands mammifères, est arrivé d’Australie (où sa présence date de 3,8 millions d’années), il y a 900 000 ans. Déjà géant sur ce continent, il n’a donc guère changé de taille depuis. Cette découverte est récente : un grand scientifique américain, Jared Diamond, n’avait-il pas suggéré auparavant qu’il avait grandi pour dévorer les petits mammouths ? Comme quoi il ne faut pas croire tout ce qu’on écrit, même par des auteurs fameux. Je continue toutefois d’avoir une immense admiration pour cet ornithologue philosophe.

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Deux mille cinq cent dragons vivent sur les deux îles, Komodo et Rinca, ainsi que sur certains rivages de Flores. Sa distribution est donc réduite par rapport à son aire passée : en fait, il est en déclin déjà depuis 2000 ans ! Nous avons rencontré ce gigantesque reptile à plusieurs reprises sur l’île de Rinca, moins touristique que celle de Komodo, mais plus riche en varans géants. Certains font la star à proximité de l’entrée du parc, d’autres sont plus discrets et parcourent la savane.

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La rencontre d’un varan dandinant sur un sentier dans les collines sèches de l’île vaut vraiment le détour. Nous y avons aussi vu des nids, dont en général un seul est fonctionnel. Les autres sont des leurres pour éviter la prédation des œufs par un oiseau aptère de grande taille, le mégapode ou l’aigle de mer qui prédatent tous deux les petits. Autres ennemis des jeunes dragons : leurs congénères adultes qui les dévorent volontiers. Aussi vivent-ils sur les arbres le temps d’atteindre une taille suffisante.

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Le plus populaire des dragons est un gros individu étendu passivement à proximité des égouts d’une maison du parc national de Komodo, attendant sa pitance. D’autres sont plus actifs, on les devine capables de tuer les proies vivant aux alentours – le cerf de Timor, le sanglier, le buffle d’eau – toutes apportées par l’homme depuis des siècles ; Avant, que mangeait-il ? Sans doute des éléphants nains et le « hobbit ». D’ailleurs, quand on visite les îles actuellement, on est toujours accompagné de gardiens armés de bâtons, censés vous protéger d’attaques surprise. Pour admirer ses techniques de prédation, je conseille de voir l’épisode consacré aux reptiles et amphibiens de la superbe série Life de David Attenborough (BBC TV), qui inclut de très belles séquences sur le dragon de Komodo.

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L’existence du petit homme de Flores a été découverte en 2004, au centre sud de l’île, près de Ruteng, dans la grotte de Liang Bua. Les ossements trouvés ont été trouvés sur une longue période de temps, de 9  000 à 17 000 ans; mais sa présence pourrait être d’un million d’années.
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Cette découverte a fait l’effet d’une bombe dans le monde pour de multiples raisons. Tout d’abord, l’idée que deux espèces humaines se soient côtoyées jusqu’il y a 17 000 ans, voire moins de 12 000 ans, et non depuis 35 000 ans (date d’extinction de l’homme de Néandertal) a été un choc. Bien entendu, la question majeure a été la suivante : l’homme moderne l’a-t-il côtoyé dans l’île même ? Les dates pourraient à peu près coller, car les premières traces de Homo sapiens datent de 10 000 ans environ sur Flores, voire un peu plus loin dans le passé. A 2000 ans près, c’est possible. Des légendes recueillies par des ethnologues suggèrent la présence d’un autre homme sur l’île.

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Les caractéristiques du cerveau de cette espèce révélées par les études anthropologiques ont également stupéfié les chercheurs. Si on admet sa petite taille (1 m de haut) comme un résultat d’une insularité prolongée, on n’explique pas la taille du cerveau (400 cm3 contre 1300 cm3 pour l’homme moderne, même chez les pygmées d’Afrique ou d’Asie). 400 cm3, c’est même inférieur à Homo erectus, voire Homo ergaster qui ont sillonné l’Asie à partir de 1,8 million d’années.

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Pour les anthropologues, il n’est pas envisageable que le cerveau, siège de la cognition, ait pu régresser pour s’adapter à un environnement insulaire. D’abord parce que l’évolution du crâne et du corps passe par des processus différents, et ensuite parce que l’avantage d’un gros cerveau est plus élevé que le besoin en énergie qu’il exige. Aurait-il été atteint de microcéphalie ? De débilité mentale ? Mais alors, comment a-t-il pu survivre si longtemps, utilisant en outre le feu et des outils ? Ce petit homme vivait sans problèmes, en chassant les bébés mammouths et se défendant sans doute très bien contre les attaques des dragons, seuls prédateurs de l’île.

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Par ailleurs, l’allure générale du « hobbit » est aussi fort étrange : de longs bras, des tibias très courts et de longs pieds. Le crâne présente un torus (bombement frontal), la mâchoire inférieure n’a pas de menton, comme les hommes avant Homo sapiens. Aux dernières nouvelles, « Hobbit » serait un descendant d’un homme primitif encore non répertorié. Discrète, cette humanité de petite taille aurait colonisé l’île sans diminuer de taille, finalement. C’est sans doute ce qui l’a sauvé de l’extinction : une petite taille est idéale, on l’a dit, aux situations d’espaces confinés. Les curieuses caractéristiques des membres inférieurs ont été interprétées comme une adaptation au milieu montagneux, qui demande une bonne stabilité. Inutile aussi d’avoir de grandes jambes. Bien adapté, ce petit homme primitif a finalement vécu bien plus longtemps que l’espèce Homo erectus, dit aussi l’Homme de Java, qui a disparu de l’Asie depuis près de 20 000 ans ! On estime que les densités de ces petits hommes pouvaient avoir atteint 2000 à 5000 individus, soit une personne par 2 km² (chiffres calculés pour des chasseurs cueilleurs vivant en zone équatoriale avec mœurs semi nomades).
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La taxonomie de l’homme de Flores a soulevé alors d’autres questions. En effet, jamais encore on n’avait trouvé de spécimens d’une espèce d’homme primitive capable de traverser les mers pour coloniser des îles. Ils n’en avaient pas la capacité, pense-t-on. On suppose donc que les premiers arrivants ont pu arriver accrochés sur des troncs flottants, lors d’un cyclone ou d’un tsunami. Des cas semblables ont été observés après le tsunami de 2004 en Thaïlande (cas d’une femme enceinte qui est restée 5 jours sur un tronc, sans savoir nager, et d’un homme sauvé après 8 jours sur un tronc). De petites populations auraient pu survivre à la suite de tels événements, et se renforcer par la venue d’autres petites populations ultérieurement par d’autres cyclones. Par rapport à une colonisation voulue et préparée, incluant des femmes et des enfants en proportions équilibrées, les chances de survie à long terme sont évidemment bien moindres. Un vrai miracle en somme, qui s’est peut-être répété plusieurs fois. Les petites îles de la Sonde sont fréquemment soumises à ce genre de catastrophe naturelle.

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Quelques belles images du musée local, un peu défraîchies malheureusement, nous illustrent l’écosystème de Flores à la fin de la dernière glaciation, et celui qui l’a remplacé il y a 10 000 ans. Là aussi, il s’agit d’un autre mystère. Pourquoi certains géants (stegodon, rat sauf un qui survit encore, tortue, marabout) et un nain (homme de Flores) ont–ils disparu ? On a suggéré plusieurs causes : une éruption volcanique majeure, un changement climatique drastique, ou l’arrivée de l’homme moderne. Car notre espèce n’a pas été capable de venir dans l’île avant cette date très récente de l’histoire humaine en Asie. Cela est d’autant plus curieux que des hommes modernes vivaient dans l’île toute proche de Timor, depuis 40 000 ans.

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L’homme moderne a alors apporté d’autres animaux, qui existent toujours dans l’île (singe, porc qui ressemble beaucoup à un sanglier, buffle d’eau, cerf de Timor, chien, rat …). Tous sont les proies actuelles du dragon. Quant à l’homme de Flores, il aurait été chassé en tant que simple proie, car on suppose que l’homme moderne ne pouvait se reconnaître dans ce drôle de primate.

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Flores s’ouvre modestement au tourisme, contrastant violemment avec l’île de Bali toute proche. L’île n’est guère attractive par son climat pluvieux, sa ruralité, ses hôtels loin des normes occidentales pour l’intérieur du pays, ou sa route peu sécurisée après de fortes pluies (les éboulements sont nombreux, et les grosses pierres qui y tombent font frémir). Ce n’est que depuis 3 mois, en date de 2016, que le gouvernement fait une certaine promotion pour la visite de la grotte. Toutefois, je n’ai vu dans toute l’île aucune image un peu tapageuse du « hobbit », aucune publicité sur les plaquettes d’hôtels et les agences locales. Le contraste est grand avec le chouchou du pays, le dragon de Komodo, sculpté et dessiné à profusion !

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La venue de bus bondés de touristes curieux de voir la grotte où a été découvert le petit homme, et le musée attenant est encore une vue de l’esprit. L’étroite route défoncée qui permet de s’y rendre parcourt des forêts cultivées et de petits villages retirés qui étalent généreusement de jolis carrés de café aux couleurs diverses. Le passage de deux véhicules y est problématique, mais se résout avec le sourire. Et aussi : quel argument pour visiter la caverne, dont les précieux ossements sont conservés à Jakarta ? Pour les passionnés de l’histoire humaine toutefois, la visite de la grotte de Liang Bua, sorte de cavité béante disparaissant sous la végétation, laisse une impression extraordinaire. On peut encore librement, parcourir l’intérieur de cette grotte, toucher du pied les zones d’excavation, rêver devant les découvertes qui ne manqueront pas de voir le jour, grâce à des programmes bi-annuels de fouilles auxquels collaborent au moins quatre pays différents.

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Combat au fouet dans un village de Flores – photo Annik Schnitzler

Je donnerai donc un petit conseil pour finir : celui de visiter cette île très vite, avant que Liang Bua ne se transforme en vallée de la Dordogne bis. Et aussi pour une autre raison : le parcours de la route principale de l’île d’ouest en est, entre la grotte et la ville de Komodo, est certes un peu sportif et très long, mais permet de rencontrer quelques ethnies confinées, bien spécifiques de l’île. Sur la route, nous avons ainsi pu assister par hasard à une danse villageoise locale très colorée, laissant s’affronter deux jeunes gens au fouet. Certes, cela n’empêche pas les antennes de télé dans le village, les tee-shirts à l’occidentale, et les smartphones. Mais enfin, il reste quelque chose de sincère là dedans, qu’on ne ressent pas lorsqu’on assiste aux merveilleuses danses de l’île de Bali.

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Quelques sources bibliographiques

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