Ménager la nature

Cette tribune publiée le 10 juin 2016 dans Libération compte parmi ses auteurs une adhérente des JNE, Marie-Paule Nougaret. Un cri d’alarme qu’il nous a paru indispensable de reprendre sur notre site.

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par François de Beaulieu, écrivain, Gilles Clément, jardinier, écrivain, Pierre Lieutaghi, ethnobotaniste, écrivain, Bernadette Lizet, ethnologue, directrice de recherches au CNRS, Marie-Paule Nougaret, journaliste, écrivain (JNE).

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NDDL avril 2013 (57)
Notre-Dame-des-Landes en avril 2013 @ François de Beaulieu

La Protection de la Nature, votée à l’unanimité des deux chambres en 1976 n’est plus de mise. La loi sur la biodiversité que l’Assemblée et le Sénat examinent en deuxième lecture, souhaite une « reconquête de la nature ». Reconquête par la nature serait plus sage en la circonstance, mais ce ton offensif n’est pas nouveau : au début des années 90, la Direction de la Protection de la Nature devint la Direction de la Nature, ce qui prêtait à sourire et finit par être corrigé. Diriger la nature, ça n’avait pas de sens en biologie, où tant de phénomènes restent sans explication, mais beaucoup dans le vieil ordre symbolique, aujourd’hui plus puissant que jamais.

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La loi cite par trois fois « le ministre chargé de la protection de la nature » mais aucun n’assume cette mission. L’Allemagne, l’Espagne et l’Italie possèdent des autorités de protection de la nature, la France une Direction de la Biodiversité et de l’Eau. Le Conseil National de Protection de la Nature que la loi a prévu, demeurera consultatif. Les décisions se prennent ailleurs. La Nation n’entend plus défendre des espaces fragiles, ou des espèces rares, par principe. Pour la seule raison qu’ils le sont.

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Elle a pourtant beaucoup de biens en garde. A la croisée des quatre climats (océanique, méditerranéen, continental, alpin), avec d’infinies variations, des eaux courantes, des steppes, la flore préglaciaire des Alpes maritimes, des îles loin de tout et des forêts tropicales luxuriantes, elle jouit d’une diversité, tant sauvage que cultivée, dont il faudra répondre devant le monde. Ce n’est pas un hasard si ce pays continue de manger, et plutôt bien, dans le désastre industriel. Ou si la première législation de l’agriculture biologique en est venue, à l’initiative du Sénat, en 1981.

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La nouvelle loi prend acte de notre privilège, sans admettre l’obligation de conserver. Cette nature qu’on ne protègera plus, hors de danger, pourrait-on croire, il s’agit en fait, d’en tirer parti. L’article 33 organise en effet la « compensation » de la disparition, la mort, d’un site riche en biodiversité, par la restauration d’un autre, très dégradé, pour un coût estimé selon la perte, ou par l’achat « d’unités de compensation » dans une « réserve d’actifs naturels ». La biodiversité devient affaire comptable, chose déjà absurde; car qui peut évaluer le prix, pour la santé publique du silence de la nature ou au contraire des chants d’oiseaux ? Mais pas seulement. C’est un appât pour les investisseurs.

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Ainsi la nature ne serait-elle qu’un capital, à investir selon son gré, voire à transférer d’un clic. Mais en réalité, la restauration des milieux, c’est la nature qui l’effectue. Pas ces marchands « d’actifs naturels », qui prétendent qu’on paye le principe même de leur négoce. On peut orienter son action, on peut décaper le sol à la place des grands herbivores disparus de la contrée, la nature travaille néanmoins. Elle sème des plantes pionnières sur les sols bétonnés. Elle nettoie l’air le jour, elle épure les eaux polluées par (et mieux que) l’industrie, elle reproduit les gènes. Elle entre dans toutes nos productions. La biodiversité qu’on perd avec la destruction d’un site, ce n’est pas une liste d’espèces. Ce sont toutes leurs interactions dans le flux de la vie, par microbes interposés, et les mutations à venir, et l’évolution.

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La nature a besoin de temps et de conditions précises pour se régénérer, d’autant plus qu’elle entre dans une crise d’ampleur géologique. La Nation l’avait compris en décrétant des espaces protégés. Mais l’article 33BA propose de les mettre en gage chez les dévastateurs. Plus précisément, d’identifier « les espaces naturels à fort potentiel de gain écologique appartenant à des personnes morales de droit public et les parcelles en état d’abandon, susceptibles d’être mobilisés pour mettre en oeuvre des mesures de compensation ». Comme si la destruction était devenue une obligation, les mesures pour l’éviter une simple formalité, comme si la nature se reconstituait à la demande, n’importe où, miraculeusement, dans l’état où on l’a détruite ! A nos élus d’en décider, à l’avenir de les juger.

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La nature, ce n’est plus un en-dehors vaguement lyrique, c’est l’avenir même.

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