Voyage naturaliste au pays des aurores boréales.
.
par Annik Schnitzler
.
Les forêts finlandaises sont connues pour être exploitées intensivement. Lorsqu’on parcourt les routes du sud vers le nord, les arbres s’alignent sagement dans des paysages d’une impeccable régularité, qui n’offre aucune poésie même en hiver, lorsque la neige couvre la canopée d’un manteau continu.
.
Fort heureusement, quelques rassemblements de grands tétras, voire une gélinotte, agrémentent ce déroulement monotone de la nature domptée en s’assemblant au plus fort de l’hiver pour grignoter les bourgeons des hautes branches.
.
En scrutant le sommet des arbres, on peut aussi admirer l’une ou l’autre chouette épervière attendant un rongeur imprudent qui s’aventurerait sur la couverture neigeuse des bords de routes. Ces chouettes sont d’ailleurs extraordinairement peu farouches, ce qui a été mis à profit par les guides naturalistes locaux. Armés d’une canne à pêche au bout de laquelle est accrochée une souris morte, ils montrent l’animal à la chouette qui suit attentivement tous leurs mouvements. Parfois même, ils se contentent d’agiter la souris à la main, puis la déposent sur la neige. Quelques minutes après, la chouette épervière descend en un éclair attraper la proie, sans prendre compte des crépitements des photographes placés à moins de 10 m de la proie. La minuscule chouette chevêchette, si farouche dans les régions tempérées, fait de même.
.
Serait-ce que ces oiseaux n’ont aucun prédateur ? N’auraient-ils jamais été persécutés par l’homme comme partout ailleurs en Europe ? En contraste, l’aigle royal, pourtant bien plus impressionnant et mieux armé par la nature, est bien plus timide : le voir n’est possible qu’après des heures d’attente silencieuse dans un abri bien camouflé dans la neige.
.
Les paysages forestiers régularisés se poursuivent très loin vers le nord, jusqu’à la limite avec la toundra. Quelques fragments de forêt boréale naturelle témoignent de la transformation de la nature sauvage qu’on peut visiter sur les collines du parc national de Riisitunturi, au nord du pays (66° 13’N, 28° 43’E). Ce site a ceci d’extraordinaire qu’en montant de moins de 200 mètres (le sommet étant autour de 460 mètres), on peut passer de la forêt boréale à la toundra.
.
Lorsque les moyennes de températures du mois le plus chaud passent en-dessous de 10° C, les choses changent en effet drastiquement pour la végétation. Les précipitations neigeuses abondantes en raison de la proximité de la mer Baltique débutent en fin d’été (septembre), et perdurent sans fondre jusqu’au printemps suivant. Si elle protège les arbres du gel, mais cause bien des dommages par pliure des axes jusqu’à la brisure, ce qui rend la plante vulnérable aux attaques microbiennes et fongiques.
.
Une des défenses de l’arbre est de courber le sommet du houppier et d’amincir la silhouette de l’arbre, ce qui la fait glisser lentement vers le bas. La forêt se remplit alors d’arbres d’allure conique à sommets étroits. Une autre stratégie est de s’agglutiner les uns aux autres. Dans la forêt de Riisitunturi, ce schéma est bien visible entre épicéas et pins, qui s’accolent les uns aux autres, laissant des espaces vides d’où émergent quelques malheureux totalement ployés sous la neige, et qui sont souvent en bien piteux état.
.
Autre changement spectaculaire : les dimensions des individus déjà modestes au départ (moins de 20 mètres) en raison d’une croissance ralentie, les hauteurs s’abaissent en dessous du mètre sur le plateau. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas les arbres d’atteindre des âges vénérables : de 220 à 270 années pour l’instant (depuis la mise en protection) et sans doute jusqu’à près de 7 siècles si on les laisse vivre jusque là.
.
Avec l’altitude, la masse neigeuse s’accroît sur les branches, pesant finalement jusqu’à 183 kg par mètre de branche selon les études qui ont été publiées sur le sujet. Les arbres finissent par disparaître totalement sous le poids de la neige, donnant à cette forêt nanifiée une allure totalement fantomatique. Certains arrivent à survivre isolés sur le plateau, visibles seulement sous forme de petites pointes dépassant du manteau neigeux.
.
Cette spectaculaire transformation des paysages en si peu de distance prend des allures fantastiques lorsque s’y produit une aurore boréale. On annonçait lors de notre visite une nuit claire avec lune et très froide, et une activité solaire relativement élevée (Kp autour de 5). A 21 h, nous étions à pied d’œuvre sur l’étroit sentier de neige par moins 15° C. L’aurore n’a pas tardé : de longues bandes vertes ont commencé à courir à toute allure de l’horizon vers le zénith, visualisant ainsi le champ magnétique terrestre. De splendides draperies de lumière verte à pourpre ont dansé durant près de deux heures. La montée vers les sommets entre ces arbres courbés sous la neige prenait une dimension quasi mystique.
.
Vers 1 h du matin, un véritable feu du ciel s’est soudainement déclenché, signant l’apparition d’une aurore de type pulsé, faite de clignotements de quelques dizaines de secondes apparaissant à divers points du ciel. Un pur moment d’extase.
.
Et pourtant, cette aurore là était, selon mes compagnons photographes, en fait bien modeste, bien moins que celles qui ont embrasé le ciel au plus fort de la dernière grande période d’éruptions solaires en 2012. Je retournerai donc dans cette forêt inspirée dans 7 ans, en 2023, lorsque le soleil entrera à nouveau dans une phase d’activité intense. Peut-être entendrai-je le bruit discret que certains passionnés du phénomène affirment entendre lorsqu’une aurore se déchaîne.
.
Je remercie Pierre Danhaive pour les magnifiques photos qu’il m’a données pour illustrer cet article.
.
.
.