Compte-rendu du petit déjeuner des JNE sur le tribunal Monsanto et l’exemple du Sri Lanka

Les invités de ce petit déjeuner, qui s’est tenu le 16 mars dernier à la mairie du 2e arrondissement de Paris, nous ont fait connaître les nouveautés dans la lutte contre Monsanto et les effets espérés de la résistance à ce mastodonte de la chimie à travers le monde. Ont été abordés la préparation du tribunal Monsanto, qui doit se dérouler à la Haye du 12 au 16 octobre 2016, et l’exemple du Sri Lanka, pays qui a interdit le glyphosate, principal composant du Roundup de Monsanto.

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par Myriam Goldminc et Suzanne Körösi

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Tribunal-Monsanto
Petit déjeuner JNE du 16 mars 2016 à la mairie du 2e arrondissement de Paris sur le tribunal Monsanto et l’exemple du Sri Lanka. De gauche à droite : Claudie Ravel, Arnaud Apoteker, Emilie Gaillard. Photo @ Carine Mayo

Claudie Ravel, fondatrice et directrice générale de l’entreprise de commerce équitable Guayapi, nous a présenté son entreprise de commerce équitable travaillant au Sri Lanka depuis vingt ans et la politique écologique du pays depuis janvier 2015, date des dernières élections au Sri Lanka.

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La République démocratique et socialiste de Sri Lanka, sous la présidence de Maithripala Sirisena, a adopté, dès janvier 2015, une politique audacieuse de soutien à l’agro-écologie. En tant que ministre de l’agriculture de 2005 à 2008, Maithripala Sirisena avait déjà impulsé une politique dont le résultat a été une amélioration remarquable de la situation des fermiers et de la production agricole.

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Deux personnalités marquantes de la nouvelle politique du gouvernement sont le révérend Athureliya Rathana, conseiller en chef du Président sur les questions agricoles, engagé depuis longtemps dans la lutte contre Monsanto, et Ranil Senanyake, conseiller technique du Président, un scientifique, expert de l’écologie des systèmes. Tous les deux sont des militants de longue date de l’agriculture biologique et de la valorisation de la biodiversité agricole (semences paysannes traditionnelles).

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En effet, dès l’entrée en fonction du nouveau gouvernement, une loi est présentée et votée sur l’interdiction – à effet immédiat – de l’emploi du glyphosate, produit phare de Monsanto, et sur la distribution gratuite de produits de remplacement écologiques. La loi a été suivie par une autre sur la mise en place de la transition à l’agriculture biologique sur trois ans de la totalité du territoire de l’île. Il s’agit de 28.671 km2 de terres cultivées, soit 43,7 % de la surface de l’ile.

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Depuis 20 ans, Guayapi, en partenariat avec un groupe de 31 agriculteurs, a restauré la biodiversité dans la région de Komale sur 20 hectares et commercialise les produits et a développé l’écotourisme en partenariat avec les sociétés villageoises. Soutenu par des associations sur place dont Guayapi, l’IAFN et FGP, un programme annexe a démarré, comprenant la restauration des écosystèmes d’origine selon les principes des forêts analogues, la valorisation des produits locaux et de qualité ainsi que l’amélioration des débouchés des produits sri-lankais sur les marchés internationaux.

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Guayapi a déjà une expérience riche dans la région agricole de Kotmale, où l’entreprise de commerce équitable, en partenariat avec un groupe de trente et un agriculteurs, a restauré la biodiversité sur vingt hectares de terres, organisé l’écotourisme sur ces terres restaurées. Guayapi commercialise en France une gamme de produits de la région (sève de kitul, canna sauvage, kurakkan, épices, cafés, thés…).

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En écoutant ces nouvelles du Sri Lanka, nous avons la même impression que lors du petit déjeuner JNE du 3 février 2016, à propos du livre de Bénédicte Manier, Made in India, le laboratoire écologique de la planète : l’action politique en faveur de l’arrêt de la pollution par les pesticides et celle en faveur de la restauration de la biodiversité peut être beaucoup plus « décomplexée » et rapide dans les pays pauvres ou émergents que dans les pays dits développés, où la mixité très développée entre acteurs politiques et lobbies de la chimie constitue un frein considérable.

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Le Tribunal international Monsanto du 12 au 16 octobre 2016

Arnaud Apoteker, coordinateur du Tribunal Monsanto, ancien responsable de la campagne OGM de Greenpeace et ancien conseiller OGM du groupe des Verts au Parlement européen, a présenté es grandes lignes du Tribunal International Monsanto, qui doit avoir lieu à la Haye du 12 au 16 octobre prochain. Une action certes symbolique, mais qui risque bien d’avoir un fort retentissement aussi bien au niveau de la société civile que des parlementaires et des juristes du monde entier.

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Pourquoi Monsanto ? « Parce que, souligne Arnaud Apoteker, cette multinationale américaine a vendu sur le marché depuis 1920 des produits chimiques particulièrement nocifs pour l ‘homme et l’environnement. » La liste est longue, des pesticides à base d’arsenic à l’agent orange, un défoliant utilisé par l’armée pendant la guerre de Vietnam qui provoque encore des ravages, en passant par les PCB des polluants organiques persistants, contaminant l’eau et que l’on retrouve partout, y compris dans le corps des baleines échouées. L’hormone de croissance laitière, qui augmente de 20 à 30 % la production, mais provoque des mammites chez les vaches tout en étant un facteur de perturbateur endocrinien ! Un non‐sens économique alors que le secteur du lait est en crise de surproduction. Enfin le glyphosate, la molécule active du Roundup, l’herbicide le plus utilisé au monde, associé aux OGM de la firme, qui empoisonne les humains et les écosystèmes et dont la publicité « biodégradable » sous-entend qu’elle ne cause aucun mal à l’environnement et peu toxique, alors que c’est en fait un puissant poison aux pouvoirs rémanents. Quant aux OGM de soja, de maïs ou de coton, ils représentent une grave menace à la fois pour la biodiversité et la souveraineté alimentaire des peuples, par le jeu des brevets sur les semences et de la privatisation du vivant.

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Toujours selon Arnaud Apoteker, la firme intimide les scientifiques qui osent s’opposer en menaçant de fermer leurs labos ou en les discréditant. Les moyens financiers considérables dont dispose Monsanto avec sa cohorte d’avocats dissuadent la plupart des victimes de se porter partie civile. Ainsi les atteintes de Monsanto contre la santé humaine et les atteintes environnementales non humaines ne sont pas prises en compte par la justice. « C’est pour cela, explique Arnaud Apoteker, que nous avons constitué un petit groupe ad hoc, avec le soutien de mouvements citoyens comme Via Campesina, la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique et le mouvement Ecocide. Nous avons comme parrains des personnalités comme Marie-Monique Robin, Vandana Shiva, le biologiste et toxicologue Gilles Eric Seralini, Corinne Lepage ou Olivier De Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation, qui travaille à la collecte d’informations avec ses étudiants. »

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La multinationale sera invitée à faire valoir ses arguments. « Nous souhaitons un procès indépendant avec des gens qui viennent témoigner des quatre coins du monde. Les trois premiers jours seront consacrés aux témoignages et aux initiatives de la société civile et les deux derniers jours au tribunal formel, avec des jurys venant des cinq continents. Nous voulons faire de ce tribunal un événement qui puisse vraiment servir aux citoyens avec des juges internationaux afin de renforcer les statuts de la convention des droits humains et peut-être insuffler une utopie qui fait progresser la démocratie. Un objectif important est la réforme du droit pénal international pour que soit reconnu le crime d’écocide. »

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Les auditions des témoins et des avocats des deux derniers jours du Tribunal seront groupées autour de six questions qui doivent faire le tour des activités de Monsanto.

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Question n° 1 : la firme Monsanto a-t-elle, par ses activités, porté atteinte au droit à un environnement sûr, propre, sain et durable, tel que celui-ci est reconnu en droit international des droits de l’homme ?

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Question n° 2 : la firme Monsanto a-t-elle, par ses activités, porté atteinte au droit à l’alimentation, tel que celui-ci est reconnu à l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ?

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Question n° 3 : la firme Monsanto a-t-elle, par ses activités, porté atteinte au droit au meilleur état de santé, tel que celui-ci est reconnu à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ?

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Question n° 4 : la firme Monsanto a-t-elle porté atteinte à la liberté indispensable à la recherche scientifique, telle que garantie à l’article 15, par. 3 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ?

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Question n° 5 : la firme Monsanto s’est-elle rendue complice d’un crime de guerre, au sens de l’article 8 par. 2 du Statut de la Cour pénale internationale, par la fourniture de matériaux à l’armée des Etats-Unis dans le cadre de l’opération « Ranch Hand » déclenchée au Viet Nam à partir de 1962 ?

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Question n° 6 : les activités passées et présentes de la firme Monsanto sont-elles susceptibles de réunir les éléments constitutifs du crime d’écocide, entendu comme consistant dans le fait de porter une atteinte grave à l’environnement ou de détruire celui-ci de manière à altérer de façon grave et durable des communaux globaux ou des services éco-systémiques dont dépendent certains groupes humains ?

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Emilie Gaillard, maître de conférences en droit privé à l’université de Caen-Normandie, spécialisée dans le droit des générations futures, a fait remarquer que les cinq premières questions s’inscrivent dans un dispositif juridique international bien établi ; elles s’appuient sur un ensemble de droits, de conventions et de résolutions internationaux existant du Conseil des Droits de l’Homme (le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention relative aux droits de l’enfant, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme) et du Statut de la Cour pénale internationale.

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Elle insiste sur la sixième question, qui a la particularité de poser une nouvelle problématique non encore abordée par des lois internationales. Il s’agit du crime contre l’écosystème, qu’on nomme fréquemment « écocide ». En ajoutant cette question aux cinq précédentes, le Tribunal Monsanto entend avancer vers la reconnaissance juridique de ce terme par le droit international.

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Le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer) vient de déclarer que le glyphosate contenu dans le Roundup est un agent cancérigène potentiel, contredisant ainsi le rapport de l’EFSA (Agence Européenne de Sécurité des aliments) qui demandait que son autorisation soit prolongée de 15 ans ! « Du coup, a précisé Arnaud Apoteker, la commission a botté en touche en demandant un nouveau rapport à l’Agence Européenne des produits chimiques (ECHA). Les résultats de ce nouveau rapport devraient être rendus au moment du Tribunal international Monsanto.

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Une campagne de financement participatif est en cours pour aider à l’organisation de ce tribunal ainsi qu’un appel à signature et pétition.

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Ce petit déjeuner des JNE a été organisé et présenté par Nathalie Giraud.

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