Fukushima : Toshihide Tsuda, un épidémiologue entêté

L’homme est discret tout comme l’a été son passage en France, il y a quelques semaines. Pourtant, Toshihide Tsuda est un scientifique qui mérite d’être connu.

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par Dominique Lang

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La centrale nucléaire de Fukushima @ Claude-Marie Vadrot

Son domaine : les études épidémiologiques qu’il mène au sein de l’université d’Okoyama, au sud du Japon, avec comme objets d’études déjà à son compteur les effets de l’arsenic ou des poussières de silice. Et aussi du mercure, de triste mémoire dans le pays.

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C’est, en effet, au Japon qu’a eu lieu un des premiers grands scandales sanitaires liés à des activités industrielles toxiques. L’usine pétrochimique de Minamata, installée en 1907, portait pourtant haut les couleurs de l’industrie japonaise. Mais, à partir de 1949, une maladie nouvelle apparut dans la région. Et il fallut toute la perspicacité et la persévérance d’un médecin du travail de l’entreprise, le docteur Hajime Hosokawa, pour faire expérimentalement le lien entre l’oxyde de mercure abondamment utilisé dans l’usine et l’épidémie en cours. Il avait observé, en effet, que certains chats du port de la ville étaient perturbés au point d’aller se noyer dans la mer : c’était donc, notamment, par les poissons contaminés au mercure – nourriture commune des chats et des humains – que la maladie se répandait. Des centaines de décès, des milliers de malades et de malformations congénitales en suivirent. Sans oublier l’émergence plus lente des leucémies.

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Né en 1958, dans les années où éclatait l’ampleur de cette catastrophe, le professeur Tsuda a-t-il été marqué par ce drame au point d’orienter son propre engagement ? L’histoire ne le dit pas. Mais sa dernière publication (1) témoigne au moins qu’il est aussi opiniâtre que le docteur Hosokawa. Depuis le mois d’octobre 2011, il mène, en effet, une impressionnante enquête épidémiologique auprès des enfants et adolescents des comtés avoisinants de la centrale nucléaire de Fukushima-Daichii. Car, si les autorités se sont toujours voulues rassurantes après avoir évacué les populations vivant à moins de 20 km de la centrale, la réalité d’une contamination sanitaire de ce genre résiste souvent aux précautions de base et aux principes.

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Patiemment, en deux vagues d’examens par ultrasons menés sur la période 2011-2014, l’homme a ainsi examiné plus de 300 000 enfants. Parmi les conclusions, actuelles de son travail, qui se poursuivra dans les années à venir, la mise en évidence d’un « excès de cancers de la thyroïde parmi les enfants et les adolescents de la préfecture de Fukushima » ne peut qu’inquiéter. Bien sûr, des experts locaux, s’appuyant sur une enquête de l’OMS rendue publique en 2013, ont immédiatement parlé de chiffres faussés, du fait d’un dépistage systématique qui aurait naturellement fait augmenter le nombre de cancers détectés. Mais les chiffres sont entêtés : l’ordre de grandeur des cas détectés dépasse de loin celui d’un simple « effet de dépistage ». Et les chiffres varient avec le degré d’exposition au nuage radioactif. L’homme lutte désormais pour que les autorités sanitaires anticipent cette multiplication – qui va s’accélérer – des cas des cancers de la thyroïde et des autres, dans les années à venir.

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(1)  « Détection des cas de cancers par ultrasons parmi des résidents âgés de 18 ans et moins, à Fukushima, 2011-2014 ». Epidemiology, 2016, 27.

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Cet article a été publié dans le quotidien la Croix, que les JNE remercient pour l’autorisation de reproduction.

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