Le département de Fukushima était l’un des trois départements du Japon les plus peuplés d’agriculteurs. L’accident nucléaire a totalement changé cet secteur, très important dans l’économie de la région. Voici une petite chronique des quelques mois qui ont suivi l’accident, enrichie avec des éléments d’actualité récents.
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par Hanyu Noriko
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Après le séisme et le tsunami du 11 mars 2011, les aliments de secours ont été envoyés de toutes les régions du Japon vers les régions touchées. Il n’y avait aucune information sur la contamination par des substances radioactives rejetées de la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi.
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Ce n’est que le 21 mars qu’après avoir découvert des épinards hautement contaminés, les autorités japonaises ont publié les noms des variétés de légumes à ne pas faire circuler sur le marché. A Takahagi, ville située dans le département voisin d’Ibaraki, à 86 km au sud de la centrale, l’activité de l’iode 131 était de 15.020 Bq/kg et celle du césium (134, 136 et 137) 524Bq/kg dans un échantillon d’épinards, dépassant largement les normes provisoires au Japon de 2.000 Bq/kg pour l’iode et de 500 Bq/kg pour le césium.
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Les produits agricoles interdits pour la circulation sont devenus nombreux: épinards et légumes de la famille des brassicacées (choux, navet, colza, moutarde, raifort, cresson…) produits dans les trois départements d’Ibaraki, Tochigi et Gunma, lait de Fukushima et d‘Ibaraki et persil d’Ibaraki. Les légumes de Fukushima tels que les choux et brocolis ont été placés sur la liste des aliments dont il fallait « limiter la consommation ».
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Entre la fierté de paysan et les blessures psychologiques et économiques
Les agriculteurs s’inquiétaient des rumeurs. Les consommateurs éviteraient tous les produits agricoles de ces régions même s’ils sont aux normes. Un dirigeant de la coopérative agricole de Fukushima ne cachait pas sa colère : « les impacts économiques et psychologique sont énormes pour les agriculteurs. Des légumes qu’ils ont fait pousser avec beaucoup d’amour sont bannis. Les consommateurs n’achètent même pas le riz mis sur le marché avant l’accident nucléaire. Nous subissons les influences des rumeurs. »
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Un agriculteur bio de Fukushima installé depuis 30 ans à 60 km de la centrale s’est suicidé le lendemain de la déclaration du gouvernement sur la recommandation de limiter la consommation des choux de Fukushima.
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Il apparaît que les agriculteurs sont divisés en trois groupes. Ceux qui gardent l’espoir de continuer à cultiver dans leur région, mais sont sceptiques, ceux qui veulent reconstruire l’agriculture dans la région et ceux qui ont abandonné l’idée de continuer l’agriculture dès qu’ils ont vu la gravité des conséquences de l’accident nucléaire. Murakami Shimpei fait partie de ce dernier groupe. Agriculteur bio installé à 40 km de la centrale, marié et père de trois enfants en bas âge, il a témoigné lors de son passage en France en mai 2011. Alertés par des amis anti-nucléaires, lui et sa femme se sont vite rendus compte que les informations officielles étaient fausses et que la fusion du cœur du réacteur avait déjà commencé. Ils ont été les premiers à partir pour se réfugier chez les parents de l’épouse à 500 km de la centrale. Ayant perdu tout ce qu’il a construit à Fukushima, Murakami Shimpei veut passer le reste de sa vie à lutter contre l’énergie nucléaire.
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Les normes et contrôles sont-ils suffisants ?
Le 28 mars 2011, les gouverneurs des huit départements au sud et au sud-ouest de la centrale et celui de Fukushima ont demandé au gouvernement de rendre moins sévères les seuils des substances radioactives dans les produits agricoles. Deux de leurs demandes ont été entendues. Le gouvernement a décidé le 31 mars 2011 d’autoriser la circulation des produits agricoles si la contamination était inférieure aux normes, avec trois contrôles de suite pendant plus de deux semaines. De plus, l’interdiction de circulation ne serait plus fixée au niveau départemental, mais communal. Cela faciliterait la commercialisation des produits agricoles.
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Mais les normes avaient été déjà adoucies après l’accident nucléaire de Fukushima. Avant, il n’y avait pas de normes sur les substances radioactives dans les aliments produits au Japon. Le gouvernement japonais a fixé une norme provisoire de 500 Bq/kg basée sur celle édictée pour les produits importés après l’accident de Tchernobyl : 370 Bq/kg pour les césiums. A titre de référence, Strahlentelex, association allemande pour les informations sur la radioactivité, recommande aux habitants au Japon de ne pas consommer des produits contenant plus de 8 Bq/kg de césium 137 pour les adultes et 4 Bq/kg pour les enfants… Cette recommandation découle d’un résultat d’analyses suivant l’accident de Tchernobyl.
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« Mangez les produits agricoles des régions sinistrées pour la solidarité ! »
Pour lutter contre les rumeurs et soutenir les agriculteurs des régions proches de la centrale nucléaire de Fukushima, plusieurs acteurs ont commencé à lancer des actions à partir du mois d’avril 2011 : les cuisiniers utilisaient des produits de ces régions en affichant leur solidarité avec les agriculteurs. Les grossistes de produits agricole, l’Association nationale des commerçants et des étudiants ont collaboré avec la Coopérative agricole du Japon (JA), le plus important organisme agricole qui regroupe plusieurs activités liées à l’agriculture, afin de vendre directement aux consommateurs des fruits et légumes, des produits laitiers et de la viande de ces régions à des prix avantageux.
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Les produits vendus avaient le certificat de sécurité délivré par les autorités sanitaires départementales ou la JA. Le 28 avril 2011, le ministre de l’agriculture et la ministre chargée des consommateurs ont publié un communiqué commun : « Nous préparons une campagne « Aidez les régions en mangeant ! » afin de solliciter la consommation des produits alimentaires des régions sinistrées par le séisme et des zones voisines. Le but de l’action est de soutenir la reconstruction des régions grâce à la solidarité. »
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La réaction des consommateurs a été complexe. D’une part, une méfiance vis-à-vis des produits issus de fermes proches de la centrale. D’autre part, la volonté de soutenir les agriculteurs sinistrés. Kameda Toshihide, président à Fukushima de Nominren, syndicat agricole japonais qui est membre du réseau international Via Campecina, a exprimé son avis à Paris le 16 mai 2011 lors de sa visite : « Ce mouvement est très touchant, mais je préfère qu’ils nous soutiennent autrement. Je voudrais livrer aux consommateurs des aliments sains. Je ne veux pas faire un acte qui ne convient pas à ma philosophie. » Murakami Shimpei, présent à Paris aux côtés de Kameda, a ajouté : « Les contrôles sanitaires ne sont pas réalisés systématiquement. »
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Le calvaire des animaux de ferme
Le 20 avril 2011, le gouvernement a interdit l’entrée dans la zone située dans un rayon de 20 km autour de la centrale de Fukushima. A cette date, 78.000 habitants de cette zone étaient déjà évacués. Avant le 11 mars, y vivaient 3.500 bovins, 30.000 cochons, 680.000 poules et 100 chevaux. Deux mois plus tard, 1.300 bovins et 200 cochons rescapés ont été retrouvés. Les autres animaux étaient morts à cause du manque d’aliments et d’eau. Le gouvernement a ordonné l’euthanasie des animaux restants si les propriétaires étaient d’accord. Mais l’identification des propriétaires des animaux et la capture des bêtes sorties en pleins champs demande énormément du travail. Et il est difficile de trouver des personnes acceptant de travailler sous de hauts niveaux de radiations. Pour sauver ces animaux et étudier l’impact des radiations sur eux, un groupe des vétérinaires a eu l’idée de créer un sanctuaire regroupant les bêtes dont les propriétaires ont refusé l’euthanasie.
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Le bétail à risque dispersé à travers tout le Japon
Le 21 avril 2011, deux nouvelles zones d‘évacuation en dehors de celle des 20 km ont été définies : une zone de risque d’irradiation de 20mSv /an, que les habitants étaient priés de quitter dans un délai d’un mois, et une zone que les habitants devaient être prêts à quitter en cas d’urgence. Le bétail situé dans ces zones, surtout 20.000 bovins, devait aussi quitter les lieux pour d’autres régions.
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Ainsi, le ministère de l’agriculture a commencé à chercher partout dans le Japon des fermes qui accepteraient ces bêtes. Avant le transfert, les animaux sont tous contrôlés et seuls ceux avec une radioactivité inférieure aux normes pouvaient sortir de la région. Si elle était plus élevée, on laverait les animaux avant de les réexaminer. Avec un nouveau contrôle, si la radioactivité baissait, les animaux étaient considérés comme sains. La norme pour le bétail est la même que pour les êtres humains. La préfecture de Fukushima avait « adouci » ce seuil le 14 mars 2011. Les bovins et les cochons ont été achetés par des départements situés très loin de Fukushima. Mais avant ce tranfert du bétail, les professionnels d’élevage vendaient librement la viande de la zone hautement contaminée.
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Des produits agricoles de Fukushima pour les Jeux olympiques de Tokyo ?
Cinq ans plus tard, la situation est loin d’être maîtrisée. Les réacteurs continuent à produire de l’eau contaminée radioactive, utilisée pour le refroidissement. Déjà, en avril 2011, la compagnie d’électricité Tepco avait lâché dans la mer 14.000 tonnes d’eau contaminée. En 2014, on a découvert que l’eau contaminée des réservoirs fuyait vers la mer et les eaux souterraines. Les terres contaminées sont de plus en plus volumineuses. Beaucoup d’agriculteurs de Fukushima ont arrêté leurs activités. S’ils continuent, ils mettent sur la terre des produits empêchant la fixation de césium dans les végétaux : le chlorure de potassium et la zéolite. En décembre 2015, 166 enfants et adolescents de Fukushima âgés de 0 à 18 ans sont atteints du cancer de la thyroїde ou sont soupçonnés de l’être. Le 29 février 2016, trois ex-dirigeants de Tepco ont été inculpés pour négligence professionnelle.
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Malgré les difficultés, le gouvernement japonais veut reconstruire Fukushima. Ainsi, un ministère d’Etat en charge de la reconstitution a été créé en 2012 suite au séisme et aux accidents nucléaires. Les Jeux olympiques de Tokyo de 2020 seront une excellente occasion de relancer l’économie et de montrer à la société internationale la réalité de la reconstruction. De ce point de vue, le ministre en charge des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo, Endo Toshiaki, a exprimé en juillet 2015 son intention d’organiser des pré-sélections à Fukushima et d’utiliser des produits alimentaires de Fukushima dans les villages olympiques et paralympiques. Une direction en harmonie avec la politique régionale. Le 2 mars 2016, le gouverneur de Fukushima, Uchibori Masao, a déclaré dans une interview au Fukushima Mimpo, quotidien régional de Fukushima, qu’il voulait recommander aux producteurs l’obtention de la certification de sécurité des produits agricoles, forestiers et de la mer de Fukushima et organiser un système de fourniture des produits régionaux aux Jeux olympiques et paraolympiques. Le slogan « Mangez les produits des régions sinistrées pour la solidarité » sera-t-il élargi au niveau international ?
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Cet article a été publié en 2011 dans la revue Campagnes Solidaires. Il a été révisé et actualisé pour le site des JNE.
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