La France est, dit-on, la lanterne rouge de l’Europe en la matière. Pourtant, depuis quelques années, la cause animale soulève de plus en plus de questions éthiques à la fois sur le statut des animaux domestiques ou de la faune sauvage et de la responsabilité des hommes à leur égard.
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par Myriam Goldminc
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Descartes avait assimilé les animaux aux automates. En France, cette représentation de l’animal-objet reste encore d’actualité comme le montre la façon dont les animaux sont traités dans nos élevages industriels ou tués dans les abattoirs sans étourdissement…
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Malgré une lente évolution du statut juridique des animaux, les lois françaises comportent de nombreuses incohérences. Certes, il y a quelques avancées. Depuis janvier 2015, la question du droit de l’animal est devenue un thème d’actualité. Un récent amendement à la loi de modernisation et de simplification du droit, adopté par l’Assemblée nationale, vise à définir dans le Code civil l’animal comme un « être vivant doué de sensibilité … soumis au régime des biens corporels ». Cette proposition, bien que très symbolique, doit encore être validée par diverses instances, tel le Conseil constitutionnel, et inscrite dans le code pénal. De même, si l’article 521-1 de notre code pénal précise qu’« un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende », il ne mentionne à aucun moment les animaux sauvages en liberté. Renards, cerfs et autres sangliers ne sont pas protégés contre les actes de cruauté, contrairement aux animaux domestiques.
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Une législation incomplète
Si le code rural reconnaît à nos animaux de compagnie le statut d’être sensible, ce n est pas la même chose pour la faune sauvage. Ainsi, un renard serait-il moins sensible à la douleur qu’un chien, sous prétexte qu’il est classé comme nuisible ? Ce genre d’aberration provoque un tollé chez les associations de protection animale, qui dénoncent des méthodes cruelles de la chasse comme le déterrage du blaireau, ou la pratique de la chasse à courre. Cette dernière est interdite depuis 2005 en Angleterre.
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Dans le Code de l’environnement, les animaux sauvages sont répartis en trois catégories distinctes : les espèces protégées, les espèces dites de gibier (que l’on peut chasser) et les espèces qui peuvent être considérées comme nuisibles (que l’on peut donc détruire). La raison de ce flou juridique est due à la pression du lobby de la chasse (un million de chasseurs en France) avec des fédérations bien représentées à l’Assemblée nationale. En outre, les mauvais traitements commis à l’encontre de la faune sauvage ne sont pas punissables en tant que tels !
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Élevage industriel et maltraitance
De la ferme des 1000 vaches en passant par les porcheries et poulaillers industriels, les cas de maltraitances animales sont courants. Par exemple, près de 50 millions de poules pondeuses par an sont élevées dans les poulaillers. Ces poules étant envoyées à l’abattoir et remplacées chaque année, environ 100 millions de poussins sont mis au monde pour renouveler les cheptels. La moitié de ces « poussins d’un jour » sont des mâles qui terminent dans les bacs d’équarrissage des couvoirs. Conséquence de plusieurs décennies de sélection génétique, les poussins mâles nés de lignées destinées à la production d’œufs de consommation sont devenus des rebuts, pas assez charnus pour l’industrie du poulet. Ce sont environ 50 millions de poussins mâles qui sont ainsi éliminés en France chaque année au premier jour de leur vie : déchiquetés vivants à l’aide de broyeuses, gazés, étouffés ou laissés à leur sort dans les bennes à ordures.
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L’association L214, organisation de défense des animaux d’élevage, a rendu public l’an dernier dans une vidéo ce massacre des poussins dans un couvoir de Bretagne, ce qui a suscité une vague d’indignation. Le 4 octobre 2015, 45 députés et sénateurs de tous bords ont demandé au ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, de mettre fin cette pratique. La réponse obtenue précise que l’élimination des poussins est autorisée par le règlement à condition que la méthode entraîne immédiatement la mort. Toutefois, le ministre a évoqué la recherche d’outils permettant de définir le sexage avant incubation ou avant l’éclosion. Une telle méthode existe déjà en Allemagne : des chercheurs de l’Université de Leipzig ont mis au point une méthode de détermination prénatale du sexe des poussins. Ce procédé permettrait un tri précoce par spectrométrie dès le 3e jour. Une première mise en œuvre industrielle de cette méthode devrait débuter dès 2016 à titre expérimental. Quant au ministre de l’Agriculture allemand, il devrait présenter dès 2017 un plan d’interdiction de cette méthode d’ élimination des poussins mâles dans les poulaillers industriels.
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Autre scandale : en octobre 2015, suite aux images insoutenables de souffrances sévères infligées aux bovins, ovins, chevaux et porcs dans l’abattoir d’Alès, celui-ci a été fermé par décision municipale en attendant l’enquête sur les pratiques de cet établissement.
Egalement pointée du doigt par les associations de protection des animaux d’élevage : l’industrie du foie gras. La mortalité des canards gavés est jusqu’à vingt fois plus importante que celle de canards non gavés, du fait de blessures ou d’affections liées au passage du tuyau métallique, ou de la défaillance d’organes vitaux. Malgré les rapports de la Commission de Bruxelles qui condamne cette forme d’élevage particulièrement cruelle, celle-ci n’est pas remise en question par le ministère de l’Agriculture (la France représente 73 % de la production mondiale de foie gras).
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Bien sûr, le Code pénal punit les sévices et la maltraitance, mais de la théorie à la pratique, le fossé, comme on le voit à travers ces quelques exemples, est immense. D’où l’appel de nombreux défenseurs des droits des animaux à la création d’un Secrétariat d’État au droit animal. Il ne s’agit pas seulement d’une affaire de droit, mais d’un problème d’éthique qui est posé à chacun. Mathieu Ricard résume bien cette réflexion : « Si nous comprenions, et ressentions en toute conscience qu’en vérité nous sommes tous des « concitoyens du monde », au lieu de considérer les animaux comme une sous-catégorie d’être vivants, nous ne permettrions plus de les traiter comme nous le faisons. »
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Pour en savoir plus
Ethique & Animaux
www.droitsdesanimaux.net
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Les associations Albert Schweitzer Foundation, Compassion in World Farming (CIWF), L214 et PETA UK appellent le Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à prendre des mesures urgentes et significatives dans la production de foie gras en France, Belgique, Bulgarie, Espagne et Hongrie.
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Éthique animale, de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, PUF, 314 p., 26 €.
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La libération animale, de Peter Singer, Grasset, 380 p., 22,10 €.
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