Jean-Marie Pelt est parti vers les étoiles

L’écologiste et botaniste Jean-Marie Pelt est décédé mercredi 23 décembre. Pionnier de la lutte contre les OGM, merveilleux vulgarisateur, il a toute sa vie raconté combien la nature est indispensable aux sociétés humaines.

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par Barnabé Binctin

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51CcSZ+E2sL._SY344_BO1,204,203,200_QL70_Jean-Marie Pelt est décédé, mercredi 23 décembre, à l’âge de 82 ans, d’un infarctus au lendemain d’une seconde opération. Fatigué, il était hospitalisé depuis une dizaine de jours et une première opération.

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Agrégé de pharmacie, Jean-Marie Pelt était un scientifique passionné de nature, à la fois biologiste et botaniste, deux matières qu’il a longtemps enseignées à l’Université. Une vocation à la croisée d’un savoir colossal et de son envie de le partager : « C’est quelqu’un qui a toujours été passionnant par son immense culture de la nature. C’était un pédagogue essentiel pour comprendre les fonctionnements de la biodiversité. Il savait parler à tout le monde » décrit François de Beaulieu, porte-parole des Naturalistes en lutte, interrogé par Reporterre.

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Denis Cheissoux, « ami de 25 ans » du botaniste, anime la célèbre émission « CO2 mon amour » sur France Inter, dont Jean-Marie Pelt était un chroniqueur régulier. Interrogé par Reporterre, Denis Cheissoux dit que le professeur honoraire était un « encyclopédiste de la trempe des humanistes du XVIIIe siècle. Il a mené un véritable travail de relieur entre les fleurs, les animaux et les hommes. Il a énormément voyagé, et connaissait particulièrement bien le Moyen-Orient : il a herborisé en Syrie, en Irak, en Afghanistan, au Yémen, etc. ».

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« Formidable vulgarisateur » pour Antoine Waechter qui a régulièrement croisé sa route, Jean-Marie Pelt fut aussi un écrivain prolixe, avec plus de 120 publications scientifiques et une soixantaine d’ouvrages de botanique ou d’écologie. Parmi les plus connus, son Tour du monde d’un écologiste a connu un franc succès en 1990, avec plus de 100.000 ventes.

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Reporterre s’est souvent fait l’écho de ses ouvrages, celui de son dialogue avec Pierre Rabhi ou lors de la parution des Carnets de voyage d’un botaniste. Nous l’avions aussi interviewé plusieurs fois, notamment lors de la parution de Héros d’humanité.

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Figure de l’écologie reconnue par tous, Jean-Marie Pelt s’était rarement associé au mouvement de l’écologie politique. De la politique, il en a pourtant fait longtemps, à Metz, où il fut premier adjoint au maire pendant treize ans, de 1970 à 1983. C’est dans la cité lorraine, à quelques kilomètres de Thionville où il naquit en 1933, qu’il s’est fait une réputation internationale, qui lui vaut notamment le surnom de « Konrad Lorenz du monde végétal » (Lire le portrait de La Croix, en 2009). A Metz, il s’est fait le promoteur de l’écologie urbaine en lançant notamment l’Institut européen d’écologie, en 1971, qu’il a présidé jusqu’à son décès. « Il a fait de Metz une ville-jardin plutôt qu’une ville éventrée par des autoroutes 2×2 voies. Jean-Marie était un homme de terrain, c’est lui qui a créé avec toute son expérience la dynamique de l’écologie urbaine » raconte Denis Cheissoux.

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L’homme s’est cependant le plus souvent tenu en retrait du jeu politique. « C’est vrai qu’il s’en méfiait, il a vu très tôt la dérive des partis écologistes qui ont fait de la politique comme tous les autres – pas du tout autrement », confirme Denis Cheissoux. Cela ne l’a jamais empêché de prendre des positions politiques fortes – encore récemment, sur le projet de Notre-Dame-des-Landes auquel il avait redit son opposition le mois dernier.

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« Jean-Marie Pelt a toujours rappelé avec force l’absurdité environnementale de ce projet » souligne François de Beaulieu.

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Scientifique, écrivain, vulgarisateur, conférencier talentueux, Pelt a multiplié les terrains, les supports et les activités différentes pour passer le message de la « beauté de la nature », selon les mots de Denis Cheissoux. « C’était un homme de conviction, et courageux, quand il a fallu mener le combat contre les OGM » se rappelle le présentateur radio. Dès 1996, Jean-Marie Pelt a dénoncé les biologistes jouant aux « apprentis-sorciers ». En mai 1996, précurseur, il avait tenu une conférence de presse au Museum d’histoire naturelle pour appeler au moratoire sur les OGM.

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Il avait ensuite participé à la création du CRII-GEN (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique), dont il fut longtemps secrétaire général. Il fut aussi « parmi les premiers à pointer les dangers de l’amiante » a par ailleurs rappelé hier Dominique Gros, actuel maire de Metz.

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Dans ces luttes comme dans son travail d’écrivain, Pelt transmettait le même message : il faut repenser les rapports humains à la nature, les sociétés humaines ne peuvent pas vivre en méprisant les écosystèmes. « Son véritable combat, c’était de ravauder, au noble sens de la langue française, c’est-à-dire recoudre ensemble, raccommoder cette scission entre l’humain, devenu technicien de tout, et la nature, chaque jour un peu plus saccagée », analyse Denis Cheissoux. Pourfendeur du productivisme et de l’hyper-consommation, c’est la société technicienne que visait Jean-Marie Pelt. Dans le passage, qu’il déplorait, d’une agriculture de l’agronomie du paysan à la chimie des grandes multinationales, il voyait même quelque chose « d’immoral », disait-il encore en septembre dernier à « CO2 mon amour ».

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Dans sa réflexion spirituelle, ce chrétien très croyant a toujours gardé un principe fondamental : « la foi en la vie », dit Denis Cheissoux. « Jean-Marie, c’était un sourire. Un type très jovial, qui avait une grande bienveillance à l’égard de son prochain ». Aux côtés de Pierre Rabhi – avec qui il travaillait encore à une suite à leur dernière conversation sur Le monde a-t-il un sens ? – d’Hubert Reeves ou d’Edgar Morin, Jean-Marie Pelt faisait partie des grands humanistes écologistes de ce début de XXIe siècle.

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Le mot de Hervé Kempf

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Je connaissais Jean-Marie Pelt depuis mai 1996. J’avais alors suivi sa conférence de presse au Museum d’histoire naturelle – nous n’étions que deux journalistes – durant laquelle il avait lancé en précurseur, avec ses amis d’Ecoropa, l’Appel au moratoire sur les OGM. J’ai appris ensuite à découvrir son travail de botaniste, l’interrogeant de loin en loin à propos des OGM.

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Et puis, nous nous sommes croisé plus régulièrement depuis quelques années, devenant des amis. Jean-Marie Pelt était, humainement, un homme chaleureux, simple, modeste, et toujours malicieux. En quelques phrases parties de la vie quotidienne, il vous emmenait vers des discussions profondes mais toujours enracinées dans le réel.

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La maladie l’affaiblissait depuis quelques années, mais n’enlevait rien de cette vivacité d’esprit et de cette amitié qu’il prodiguait à tous ceux qu’il rencontrait.

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Naturaliste engagé et botaniste encyclopédique, il était aussi, et c’est important de le souligner à un moment où le mouvement écologique tend à oublier la beauté du monde, un conteur infatigable de la vie des êtres de plume et de feuilles, de la solidarité profonde des humains et du cosmos. Profondément chrétien, Jean-Marie Pelt croyait à l’au-delà. Il a eu la malice de partir la veille de Noël, un moment de renouveau au coeur de l’hiver. Une façon de nous faire signe qu’il faut toujours espérer, parce que la lumière reviendra. Au revoir, Jean-Marie Pelt.

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Cet article a été publié sur le site Reporterre et est reproduit ici avec l’aimable autorisation des auteurs, tous deux adhérents des JNE.

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