Voici le compte-rendu d’un colloque organisé les 9 et 10 décembre 2015 aux Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine (93) par l’Association pour l’histoire de la protection de la nature et de l’environnement (AHPNE).
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par Roger Cans
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Ce colloque prévu de longue date s’est déroulé en même temps que la COP 21, réunie au Bourget, à deux pas de là. Mais le thème n’avait rien à voir avec la diplomatie planétaire et nous en rendons compte indépendamment de tout contexte. Ce colloque a été rendu possible grâce à une convention de partenariat avec les Archives nationales et aussi le Comité d’Histoire du ministère de l’Environnement. L’appel à contributions et le choix des intervenants s’est fait sous la responsabilité de Valérie Chansigaud et Gabriel Gachelin, chercheurs du SPHERE-CNRS-Paris I-Paris Diderot).
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La liaison entre l’environnement et la santé est une réalité prise en compte par les autorités bien avant que n’existent les ministères correspondants. Comme l’a montré Valérie Chansigaud, la première alerte remonte en France à 1750 avec l’usage de l’arsenic en agriculture. Aux Etats-Unis, la fabrication des pesticides commence en 1914 et l’industrie chimique devient la première industrie du pays en 1954. C’est en 1945 qu’est lancé l’insecticide le plus fameux du siècle, le DDT. Un produit qui subsiste dans les graisses des prédateurs. On connaît la suite : les coquilles des oeufs de faucons s’amincissent et les couvées avortent.
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C’est alors que Rachel Carson publie son fameux Silent Spring, qui alerte sur un déclin dramatique des oiseaux, le « printemps silencieux ». Ces alertes débouchent sur l’interdiction du DDT aux Etats-Unis en 1972, et en France en 1973. Mais l’usage des pesticides perdure et provoque des empoisonnements chez les agriculteurs, victimes de nausées, de vertiges et de dermatoses. On constate aussi que les insectes développent des formes de résistance.
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L’importance de l’environnement sur la santé est soulignée par Anne-Lyse Chabert, elle aussi attachée au SPHERE. Elle constate que le bien-être du handicapé dépend entièrement de son environnement et de certains « intercesseurs » comme la musique, un chien ou certains équipements. Le milieu est un élément essentiel de la bonne santé du handicapé.
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Hélène Chambefort, du service des archives de l’INSERM, indique que c’est en 1941 qu’a été créé l’Institut national de l’hygiène, ancêtre de l’INSERM (1964) et du SCPRI (1967) pour la surveillance des rayonnements ionisants. Il y a seulement un demi-siècle, en 1954, on se préoccupait du paludisme en Corse, en Camargue et jusque dans la plaine du Forez, en Auvergne. Puis on s’est intéressé à la santé des travailleurs d’EDF et au mésothéliome de l’amiante, qui ne sera interdit qu’au 1er janvier 1997. C’est à Lyon que le virus Ebola a été identifié en 2014.
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On aborde le réchauffement climatique avec Jean-François Toussaint, professeur de physiologie à l’université Paris-Descartes. Il rappelle les travaux d’Arrhenius, au XIXe siècle, et les derniers épisodes de canicule à l’été 2003 en France, en 2008 aux Etats-Unis et en 2010 en Russie. Les neuf premiers mois de 2015 ont établi un record de chaleur. Si l’on ne fait rien, la City de Londres sera submergée sous 4 mètres d’eau à marée haute en 2050. L’alerte a déjà été lancée en 2012 à New York avec la tempête Sandy et en France en 2013 avec Xynthia en Vendée. Poussé par le réchauffement, le moustique tigre remonte jusqu’au Danemark, porteur de dingue et de chikungunya.
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Les effets du bruit sur la santé sont traités par David Berthout, des Archives nationales, qui a étudié les nuisances du bruit des avions sur les riverains des aéroports. Les premières mesures ont été prises en 1953, mais c’est dans les années 1960 que les réacteurs remplacent les hélices et produisent des nuisances insupportables. Clémence Pinel, sociologue au King’s College de Londres, a étudié la longue histoire des nuisances des usines de Salindres (Gard). Dès sa construction, en 1855, les riverains s’inquiètent d’une usine de soude, qui va bientôt se lancer dans l’alumine et provoquer la mort du bétail. L’établissement est repris par Péchiney en 1877. Jusqu’en 1941, six directeurs d’usine sont maires, selon la tradition paternaliste des industriels de l’époque. Le site industriel fonctionne toujours aujourd’hui, malgré l’inquiétude des riverains, reprise un soir au journal télévisé (« Salindres, capitale de la pollution ») et le panneau planté à l’entrée de la commune (« Bienvenue à Salindres, ville poubelle »).
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Un dernier chapitre enfin : les bienfaits de la nature sur la santé. Un doctorant de l’université de Toulouse, Steve Hagimont, décrit les bienfaits du tourisme pyrénéen. Les stations de Luchon, Cauterets et Bagnères-de-Bigorre sont aussi courues que les stations des Alpes avant 1914. Le thermalisme existe depuis la fin du XVIIIe siècle. Le climatisme se développe avec Pasteur. On vante les vertus de « l’orothérapie » et de la « houille rouge », la montagne qui favorise les globules rouges. Les touristes pratiquent aussi la chasse à l’ours et aux isards. Les pêcheurs fournissent les restaurants en truites. Rien ne vaut un séjour dans le cadre sauvage des Pyrénées pour régénérer les citadins.
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De l’autre côté de la Méditerranée, en Algérie, on assiste à la même mode. Colette Zytnicki, de l’université de Toulouse, décrit l’engouement des Français d’Algérie pour la montagne et le ski. Ils se retrouvent l’hiver dans le parc national de Chréa, à seulement 62 km d’Alger. Ils rejoignent le ski club d’Algérie, créé en 1906, et montent à la station des Glacières, à 1210 mètres d’altitude, parmi les cèdres de l’Atlas. On va créer là une colonie de vacances pour les jeunes, afin d’éviter leur séjour estival en métropole. Le parc national de Chréa, en Algérie, jour le même rôle pour les coloniaux que Dalat, en Indochine, ou Darjeeling, pour les Anglais résidant en Inde. Le bon air de la montagne vaut avantageusement les cures thermales à Vichy.
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