Triste anniversaire que ce début d’année 2016. Cela fait dix ans que François Terrasson a quitté ce monde chaotique plus que jamais anti-nature.
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par Jean-Claude Génot
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En 1996, François Terrasson publiait dans la revue La Recherche un article intitulé « De la forêt au champ d’arbres. L’Office national des forêts se fourvoie dans l’imitation des pratiques agricoles ». A partir de ses observations dans la forêt de Tronçais (labours, sous-bois ratissés, fossés sur creusés, cloisonnements qui mettent fin à la sensation de continuité forestière, broyage inesthétiques de la végétation), il réalise que le chêne est cultivé par une « hyper technique » qui n’a rien à envier aux pratiques agricoles (1). Notre stratège en influence naturaliste a eu raison avant tout le monde en soulignant que : « Ce qu’on a fait à l’agriculture, on va le faire à la sylviculture ».
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Aujourd’hui les faits s’accumulent et confortent la prévision terrassonienne. Produire de l’électricité en brûlant du bois comme à Gardanne nécessite d’énormes quantités de ce « matériau ». Avec un tel procédé industriel, l’arbre, formidable organisme vivant, devient une biomasse et la forêt un champ d’arbre car après la coupe rase, les forêts céderont le pas aux plantations de conifères à croissance rapide. De plus, le piètre rendement énergétique de ce procédé et le bilan carbone global de toute la chaîne d’approvisionnement, notamment les importations de bois venant de l’étranger, montrent qu’un tel choix au nom de la lutte contre le réchauffement climatique n’est pas soutenable.
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Pour récupérer plus de biomasse en forêt car les arbres ne suffisent pas, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) envisage sérieusement la récolte du bois au sol et même de toute la litière, alors même que les feuilles constituent la première source de matière organique des sols. Risque d’appauvrissement des sols ? L’ADEME pense à tout puisqu’il suffirait de restituer au sol des minéraux sous la forme de cendres issues de la combustion du bois, riches en magnésium, calcium, phosphore, potassium et silice. Ils ont d’ailleurs suscité une thèse pilotée par l’INRA pour étudier l’impact sur les sols des diverses modalités de récolte de la biomasse. Si un tel procédé était validé, le sol forestier serait (mal) traité comme le sol agricole, un vulgaire support pour produire du bois et des feuilles, devenus source d’énergie.
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Dans le futur parc national « feuillu de plaine » situé entre la Côte d’Or et la Haute Marne, l’ONF transforme les taillis sous futaie en futaie régulière plus facilement mécanisable, introduit du douglas dans cette forêt de feuillus et procède à des coupes dans la future réserve intégrale déclenchant de vives réactions de certaines associations de protection de la nature. Quant aux propriétaires privés, ils sont sommés de mobiliser plus de bois pour produire plus. Un tel parc national est vidé de son sens. L’Etat n’a pas voulu voir qu’en demandant à l’ONF de produire plus tout en lui confiant la gestion de ce futur parc, il demandait au chat de garder les souris. Quand François Terrasson s’opposait aux parcs et réserves, c’était pour éviter d’en faire des alibis pour mieux détruire à l’extérieur. Il n’imaginait pas qu’on en arriverait à détruire autant ou plus la nature dans un pseudo parc national qu’en dehors !
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Quand on veut éliminer son chien, on l’accuse de la rage ! C’est pourquoi l’ONF répète inlassablement que le hêtre ne va pas résister au réchauffement climatique et qu’il faudra le remplacer, comme par hasard, par des essences plus résistantes comme certains résineux à croissance rapide tels que le douglas. Pourtant, on vient de découvrir en République Tchèque que le scolyte à double épine (Ips duplicatus), insecte xylophage originaire du nord de l’Eurasie, se développe sur le douglas. De plus, le douglas possède une capacité de survie considérable aux sécheresses moyennes, mais pas aux sécheresses exceptionnelles.
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Un de leurs experts, Jean-François Dhote, utilise des arguments totalement contradictoires pour éliminer le hêtre : « Le hêtre, dont l’aire de répartition devrait reculer d’ici quelques décennies sous le coup du réchauffement, prendrait à court terme et spontanément une place croissante, réduisant la capacité future des forêts à s’adapter aux changements climatiques ». (http://www.jardinsdefrance.org/quelle-foret-pour-demain/)
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Vous avez bien lu, le hêtre va reculer, mais en attendant, il se régénère parfaitement bien et est un frein à l’adaptation aux changements climatiques. Il fallait y penser, le vrai danger vient d’une espèce autochtone, sans doute parce qu’elle va gêner les efforts de plantation pour lui substituer une espèce allochtone à croissance rapide réclamée par la filière bois. Et si le hêtre ne s’adaptait pas au réchauffement climatique, pourquoi ne pas lui substituer la même essence mais d’une provenance adaptée à un climat plus sec comme celui du sud de la Suisse ? C’est bien triste, mais le cerveau de certains pseudo-spécialistes lui aussi subit les effets du réchauffement climatique…
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Tout ce qui se profile sous couvert d’adaptation au changement climatique et de réduction des gaz à effet de serre vise à en finir avec la forêt telle que François Terrasson la définissait : « On perçoit comme forêt ce qui ne porte pas de façon apparente la marque de l’ordre humain ». Adieu forêt magique, désordonnée, sombre et composée d’arbres vénérables, place au champ d’arbre clair quadrillé de couloirs pour les machines, composée d’arbres standardisés, rajeunis et espacés, qui répond aux attentes de l’industrie et à la volonté de maîtrise de certains ingénieurs forestiers qui ne pouvaient pas supporter que la forêt, dernier refuge du sauvage, ne soit pas domptée.
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(1) Génot J-C. 2013. François Terrasson, penseur radical de la nature. Editions Hesse. 237 p.
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