par Frédéric Denhez |
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Pourquoi n’est-ce pas l’écologie politique qui incarne l’envie de trouver un autre chemin ? Pourquoi le FN est-il le seul à faire espérer encore ? Pourquoi en ces temps de COP 21, alors que tout donne raison aux militants de la première heure, les écologistes ont-ils fait un score grotesque aux élections régionales ? Pourquoi n’est-ce pas eux, l’alternative aux partis corrompus par l’âge ? C’est en fait la seule question intéressante soulevée par ces élections. On sait que le monde ne peut qu’aller vers la sobriété, et EELV fait un gâchis !
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Une étrangeté, en dépit du constat de l’accablante médiocrité du personnel politique de l’écologie française. Pourquoi voter pour eux puisqu’ils ont l’air d’être comme les autres ? Cette nullité n’est en réalité que l’écume des choses, car l’écologie, telle qu’elle est portée en France, ne peut pas donner envie.
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Une étrangeté, décidément, car de conférences en débats, de rencontres en réunions publiques, l’écologie est présente partout. Elle est même devenue, grâce à la réforme grenellienne des documents d’urbanisme, l’occasion de la démocratie participative, qui n’est pas un vain mot. Allez voir les débats sur les trames vertes et bleues, par exemple. Un miracle, dans notre monarchie refoulée. Des gens de tout bord discutant de la position des haies, de la situation des zones humides, de l’intérêt d’une route, et qui du coup, chemin faisant, envisagent leurs territoires, relisent son passé, cartographient son présent, projettent son avenir. Et en modifient le cadastre sans se rendre compte que c’est par l’objectif de biodiversité qu’ils l’ont fait. Statistiquement, ces gens votent beaucoup FN, car ils sont de territoires ruraux, pauvres, oubliés. Et pourtant, l’écologie du quotidien leur a fait voir une possibilité d’avenir par eux seuls imaginée, tandis qu’ils conspuent l’écologie politique parisienne, celle des bobos-bien-mis-beaux-qui-parlent-plusieurs-langues et manient des concepts dans des concept-stores végétariens.
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On peut appeler cela une dissonance cognitive, une schizophrénie, une incapacité à vouloir pour les autres ce que l’on a réussi à avoir pour soi. Appelons cela plutôt complexité. Aussi vertueuse soit-elle, la pensée écologiste est complexe, car elle oblige à tout considérer, dans le temps, l’espace et les disciplines de la connaissance. C’est possible à une échelle locale, quand on a l’objet face à soi, c’est virtuel, autrement. La pensée du FN est à l’inverse très simple en toute occasion : il faut revenir en arrière, faire comme avant, et c’est d’autant plus simple que ça ne mange pas de pain, vu que le FN n’a jamais exercé le pouvoir. Enfin, pas sous son habit actuel.
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Complexe, et gênant. L’avenir, demain, quoi qu’en dise, sera une remise en cause des piliers de notre mode de vie. De la voiture, du logement, de l’alimentation, de la consommation, des vacances. De tout ce pourquoi les gens se battent quotidiennement, parce que la société leur demande de le faire. Il faut consommer, consommer comme le voisin, rouler en voiture parce qu’il faut bien travailler en partant de la maison qu’on a acheté loin parce qu’elle était moins cher, pour un crédit épuisant qui ne trouvera de fin qu’à l’aube de la retraite, quand on l’aura. Et il faudrait que tous ces efforts fussent vains ? ! Qu’ils fussent même le symbole de la gabegie d’une société toxique ? Renoncer à ce que l’on peine à obtenir n’est pas a priori le projet social le plus excitant.
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La société de consommation n’a pas besoin de consommateurs solvables, mais de consommateurs frustrés. Les pauvres sont sa litière. Et ils sont nombreux : en gros, la moitié de la France qui gagne, net, à peu près le SMIC. Qui veut consommer comme les autres, pour maintenir son rang, et n’a pas envie qu’on lui dise que c’est mal, parce que consommer c’est la preuve qu’on n’est pas – encore – dans la misère. L’écologie politique est de fait pour la majorité des Français une alternative crédible, car elle promeut de consommer différemment, d’aménager les territoires différemment, de créer des emplois différents, selon des symboles sociaux différents, mais elle est inaudible !
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Car quiconque refuse d’entendre le porteur de nouvelles qui le dérangent intimement. Le syndrome de la femme battue : la perspective d’une autre réalité fait plus peur que le triste quotidien auquel on s’est habitué, pour le rendre supportable. En particulier dans une société qui a érigé la victime en héros moderne. La victime est l’acteur principal infantile et déresponsabilisé de notre comédie humaine : ce qui lui arrive n’est jamais de sa faute, on aime la plaindre. C’est l’autre, le gouvernement, l’étranger ou le « gaulois », le maire-qui-nous-avait-pas-prévenu-qu’on-construisait-en-zone-inondable ou le technocrate qui est à désigner. Pas le pauvre malheureux. Qu’on caresse comme un chien.
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La victime n’écoute pas le porteur d’espoir s’il a des allures de prédicateur. Or, les messagers de l’écologie politique continuent de manier un discours accusatoire, catastrophiste, technique, désincarné, maniant de grands principes, dénigrant l’idée de progrès, redoutant l’État, fustigeant les entreprises, promouvant la si lointaine l’Europe, l’amitié entre les peuples, la bonté intrinsèque de l’homme etc. ; un discours qui, promettant in fine la pénitence par la sobriété pour éviter, c’est pas sûr, la guerre pour l’eau ou le pétrole, sous un climat de canicule, n’est pas désirable.
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Comment adhérer à une perspective de bouleversement qui fait plus peur que la peur de l’évidence de notre décadence ?
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Il manque à l’écologie un récit alternatif à la fois à l’eschatologie judéo-chrétienne et à la culture du progrès issue des Trente glorieuses. Il lui manque de se débarrasser de l’utopie pour l’envie. Il lui manque de dire que son projet n’est pas écologique mais politique, parce qu’écologique : s’adapter au changement climatique, c’est se préparer à un cycle de l’eau altéré, à suivre précisément le trajet de la goutte de pluie entre le ciel et la rivière pour éviter qu’elle ne dévale trop vite vers la ville, à privilégier et préserver en conséquence les sols de qualité, qui sont des réservoirs, ainsi à interroger l’aménagement du territoire et les pratiques agricoles, c’est-à-dire l’organisation du foncier, et donc, la répartition des pouvoirs et leur nature même. Et l’on s’aperçoit alors qu’en parlant sols, on parle prix de l’immobilier et coût de la voiture, on remet en cause l’organisation de la prise de décision et l’écheveau politique, le pouvoir du maire et les attributions des découpages administratifs. On révolutionne pour le bien commun.
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Voilà, c’est ça, l’écologie : de la politique.
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Frédéric Denhez a publié de nombreux ouvrages, dont Cessons de ruiner notre sol, aux éditions Flammarion. Cet éditorial, comme tous ceux de ce site, n’engage que son auteur.
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