Quelle capacité d’adaptation de la biodiversité au changement climatique ?

Un travail de prospective sur la capacité d’adaptation de la biodiversité au changement climatique a été mené depuis 2011 par la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB).

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par Christine Virbel

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LogoFRB-Complet-QFruit du résultat de travaux remarquables, un rapport vient d’être publié. Il analyse des données remontant parfois jusqu’au siècle dernier pour en tirer des conclusions et des prospectives de recherche. Ce rapport, intitulé Réponses et Adaptations aux changements globaux, est téléchargeable ici sur le site de la FRB.

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L’intérêt d’un tel travail est de comprendre, dans la mesure du possible, comment les organismes vivants, les espèces s’adaptent aux changements de leurs conditions de vie et d’identifier des freins à la compréhension de ces aptitudes. L’idéal est, à terme, de pouvoir déterminer quelles espèces auront tendance à s’adapter seules rapidement et quelles espèces auront besoin de l’intervention des hommes pour continuer à exister (même si une restauration n’est pas toujours réalisable ou même souhaitée *).

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L’enjeu est de taille. Il s’agit à la fois d’assurer notre alimentation, mais aussi de vérifier que les écosystèmes dont nous retirons des services essentiels et gratuits (production d’oxygène, maintien des sols, captation de CO2 ou épuration de l’eau…) peuvent survivre et se renouveler dans de nouvelles conditions climatiques. La biodiversité s’est organisée en écosystèmes interdépendants sur des temps géologiques importants. Or, les changements globaux actuels se produisent de façon très rapide.

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Cinq grands mécanismes de flexibilité ont été identifiés : la plasticité phénotypique, l’évolution génétique, la migration, le réarrangement des communautés et la dynamique des stratégies, des savoirs et des pratiques.

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Le travail de recherche s’est effectué à partir de cas d’études. On citera tout d’abord celui de mésanges charbonnières, observées pendant 47 ans (1961-2007) à Oxford, et ayant réussi à avancer leur date de ponte de 14 jours pour faire coïncider le besoin de nourriture des oisillons avec la présence de chenilles plus tôt dans l’année, en raison d’une feuillaison précoce des arbres. En adaptant leur période de ponte, les mésanges ont réussi à faire survivre l’espèce et même à en augmenter les effectifs. A noter toutefois, une étude portant sur la même espèce aux Pays-Bas a montré que trop peu de femelles avaient réussi à adapter leur période de ponte, entraînant une baisse des effectifs dans ce cas. L’origine de cette différence de plasticité de la date de ponte tiendrait dans des différences environnementales, comme les températures, que ces oiseaux utilisent pour se reproduire. Il a pu exister entre ces deux pays une différence dans les températures au sein de la journée ou bien entre saisons expliquant l’adaptation de la ponte dans un cas mais pas dans l’autre. Les auteurs invitent donc à la prudence avant de généraliser des résultats sur le potentiel adaptatif, même au sein d’une même espèce.

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Une autre étude, menée à Montpellier entre 1970 et 2015 sur le moustique Culex pipiens, a montré que des changements génétiques rapides surviennent lors de l’introduction de substances toxiques comme les pesticides, les métaux lourds ou les antibiotiques dans les écosystèmes. Dans le cas de ce moustique, une résistance à un large spectre d’insecticides organophosphorés transmissible à ses descendants a été observée dans les populations naturelles. En effet, comme l’indique l’étude, plus l’effectif d’une population est élevé, plus sa diversité génétique est grande et plus son potentiel adaptatif est important. Ainsi, dans le cadre de la préservation d’espèces, il est important de veiller à ce qu’un nombre suffisant de sujets soit conservé, dans des milieux non fragmentés où des conditions de vie variées permettront aux gènes d’évoluer différemment, laissant ainsi une chance à l’espèce en question de développer un gène adapté aux nouvelles conditions de vie qu’entraîne et entraînera le changement climatique.

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Enfin, une étude sur la migration de la plante Crepis sancta en milieux urbains mérite encore d’être citée. Cette plante dispose de deux types de graines : des graines se disséminant au vent et des graines plus lourdes tombant aux alentours de la plante. En milieu urbain où les habitats sont très réduits, la dissémination au vent s’est vue réduite en faveur d’une reproduction par les graines lourdes en l’espace d’une dizaine d’années seulement. La plante s’est adaptée, mais a également réduit ses capacités d’adaptation à un autre changement potentiel futur où la reproduction par dissémination serait plus favorable. L’habitat fragmenté urbain isole par ailleurs les populations, diminuant encore plus la diversité génétique et donc le potentiel adaptatif des espèces pour l’avenir. Les connaissances actuelles ne permettent donc pas de dire si les réponses évolutives qui se mettent en place et fonctionnent actuellement seront favorables à la persistance des espèces en milieu fragmenté à long terme.

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Des exemples supplémentaires dans le rapport permettent d’illustrer les autres mécanismes de flexibilité.

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Si ces études permettent déjà de dégager des mécanismes de flexibilité, elles ne peuvent toutefois présager de l’avenir à plus long terme. C’est pourquoi le rapport préconise de définir des axes de recherches pour répondre à quatre défis majeurs : comprendre les processus d’adaptation, étudier le couplage entre ces sources de flexibilité, proposer des indicateurs du potentiel d’adaptation et intégrer ces sources de flexibilité dans les scénarios sur la biodiversité.

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* Il existe parfois des réticences à des (ré)introductions ou des déplacements d’espèces. Pourtant, la conservation d’espèces d’origine n’est pas toujours adaptative localement.

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