Faut-il faire le choix du journalisme militant ?

 


par Allain Bougrain-Dubourg
BOUGRAIN-DUBOURG-Allain

 

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Une étudiante en journalisme me questionnait récemment sur la manière d’exercer son futur métier. Dois-je m’engager, faut-il militer ? me demandait-elle. Je lui ai répondu qu’il y avait deux manières de traiter l’information. Celle qui doit être factuelle, se limitant à rappeler les faits et celle du prosélytisme, s’appliquant surtout dans les « billets d’humeur ».

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Lors de notre entretien, un événement que j’avais vécu m’est revenu en mémoire. Il remonte à deux décennies. En tournage à Taiwan, on me propose de filmer la capture d’un tigre et l’exploitation de ses « produits dérivés », à condition que je paie une quote part pour l’expédition. J’ai demandé une nuit de réflexion avant d’annoncer le lendemain que je ne participerais pas à la mise à mort du tigre.

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Aujourd’hui encore, je me demande si mon choix éthique fut le bon. Bien sûr, j’ai ainsi soulagé ma conscience, mais ai-je servi la cause ? Les images de l’agonie du félin auraient sûrement mobilisé l’opinion mondiale alors que la pauvre bête s’est de toute façon éteinte… dans la plus grande indifférence.

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Doit-on être journaliste actif ou passif ? Le choix se dessine sûrement en fonction des sensibilités.

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Autre question posée par cette étudiante : « comment faire évoluer la cause animale ? » Sur ce thème, j’ai la réponse. Seuls les « événements » mobilisent les consciences. L’exemple récent de l’abattoir d’Alès en fait la démonstration. Voilà des lustres que les associations de protection animale dénoncent les conditions inacceptables d’abattage, tout particulièrement dans le secteur « rituel », halal et casher, et on ne peut pas dire que la société s’en émeuve même si plus de 50 % de la viande est ainsi obtenue. Il a fallu une caméra cachée témoignant de l’horrible traitement pour que la réalité se répande dans les médias.

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Autre exemple significatif, celui visant à inscrire l’animal au titre d’ « être sensible » dans le Code Civil. Là encore, on ne compte plus les tables rondes au ministère de l’Agriculture, les pétitions et autres débats qui ont traité de cette question, laissant le projet lettre morte.

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C’est en réalité un « Manifeste de 24 intellectuels » qui a déverrouillé le dossier, au point que quelques semaines plus tard, en janvier 2015, l’Assemblée nationale votait en lecture définitive la reconnaissance « d’un être vivant doué de sensibilité » dans le Code Civil.

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Pourquoi une soudaine prise de conscience ? Tout simplement parce qu’on n’imaginait pas que les intellectuels en question (de sensibilités politiques diverses) se prononcent sur un tel sujet. En cosignant le texte, ils ont créé l’événement.

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Greenpeace a bien compris la mécanique. Lors de sa création, en 1971 à Vancouver, les précurseurs ont clairement annoncé qu’ils n’engageraient que des campagnes susceptibles d’être médiatisées.

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Regrettant de ne pouvoir s’attarder sur les autres sujets, ils avaient la conviction de pouvoir faire ainsi évoluer les comportements. Fidèles à leur engagement, ils ne manquent jamais de « créer l’événement » pour passer leur message. Et ça marche !

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Reste à savoir comment s’y prendre aujourd’hui pour dénoncer la schizophrénie à laquelle nous assistons concernant la biodiversité. D’un côté, au plus haut niveau de l’Etat, on répète en boucle que la France doit être exemplaire en matière de biodiversité. De l’autre, sur le terrain, on s’en prend au vivant comme jamais. Les bouquetins du Bargy sont abattus malgré les recommandations et oppositions du CNPN, de l’ANSES, etc. Les loups sont traqués et abattus jusque dans le cœur d’espaces protégés. Les vautours sont métamorphosés en redoutables prédateurs. Les bernaches cravants sont jugées envahissantes… et la liste n’est pas close.

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Je serais étudiant en journalisme animalier, il y a fort à parier que je deviendrais journaliste militant !

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Pionnier de la défense de la nature et des animaux en France, Allain Bougrain-Dubourg vient de publier Il faut continuer de marcher, aux éditions La Martinière (lire ici la recension de ce livre par Marc Giraud). Vous pouvez le retrouver tous les dimanches matins à 7 h 54 (ou en podcast) dans Curieux de Nature sur France Inter. Cet éditorial, comme tous ceux de ce site, n’engage que son auteur.

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