Protéger la nature : le bêtisier

En plein contexte de loi sur la biodiversité et de COP 21, jamais les questions d’écologie n’ont eu une telle occasion de faire débat dans notre pays soumis au puissant conditionnement mental de la croissance et des marchés.

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par Jean-Claude Génot *

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Vous pensez sans doute que la loi sur la biodiversité va enfin nous libérer de cette propagande qui nous conduit à tout penser en termes économiques ? Eh bien non ! Passons sur le fait qu’avec la sémantique, on enterre définitivement la loi de 1976 dite loi de protection de la nature. En effet, la nature est englobante, un tout complexe qui nous contient. La biodiversité, elle, est vue comme un assemblage d’espèces que l’homme peut manipuler et « gérer » selon ses besoins. Il est très instructif de voir que le ministère de l’Ecologie a choisi pour illustrer son site internet un tube à essai avec une plantule et une scientifique dans un laboratoire en train d’observer une plaque d’échantillons que l’on imagine d’origine biologique.

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Le plus grave dans cette loi figure à l’article relatif à la compensation des atteintes à la biodiversité. Vous y voyez un bon moyen pour freiner la destruction des espèces et des espaces naturels ? Détrompez-vous ! Au contraire, c’est le début de la fin pour la nature et les réglementations qui la régissent. Delphine Batho, ancienne ministre de l’Ecologie, ne s’y est pas trompée, puisqu’elle a dénoncé à juste titre un premier pas vers la financiarisation de la biodiversité. De quoi s’agit-il ? Simplement de laisser détruire plus facilement un coin de nature si le destructeur peut restaurer le même milieu ailleurs ou acheter des actions permettant de conserver des espaces naturels avec des crédits biodiversité sur le même modèle que les crédits carbone, c’est-à-dire payer pour continuer à détruire.

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9782707185853Ce phénomène est déjà bien engagé dans de nombreux pays anglo-saxons et un excellent livre, Prédation. Nature, le nouvel eldorado de la finance,  de Sandrine Feydel et Christophe Bonneuil, explique les mécanismes qui ont permis cette mainmise de la finance sur la nature et analyse les conséquences négatives déjà constatées dans les pays où ce système existe. Ce livre montre les ponts existant aux Etats-Unis, à l’origine de ce modèle, entre le monde des grandes entreprises et des banques et celui des grandes ONG de la conservation. Demain, en croyant soutenir certaines ONG pour la protection de la nature, nous précipiterons sa destruction par sa mise sur le marché.

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Les auteurs du livre montrent que les lobbyistes de la financiarisation de la nature ont gagné la partie au sein de la Commission européenne. Rien d’étonnant à ce que tous les technocrates de l’environnement qui font les lois et les règlements nous dirigent droit vers cette marchandisation de la nature.

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Comment en sommes-nous arrivés là ? Les protecteurs de la nature sont responsables parce qu’ils ont voulu socialiser la nature alors qu’il fallait ensauvager les esprits et rendre le maintien de la nature sauvage indispensable. La nature est devenue paysagère, la biodiversité est gérée et au final la société croit que la nature sans hommes ne peut pas exister, voir même ne doit plus exister. Des exemples ? Il y en a tout un bêtisier dont je vous livre quelques cas pris au hasard.

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Dans la forêt de Fontainebleau, l’ONF a décidé de réintroduire….le mouton pour pâturer dans des pelouses et des landes afin de conserver « la biodiversité ». Bel abus de langage car qui sait mesurer « la » biodiversité ? En fait, il s’agit d’intervenir au profit d’espèces des milieux ouverts au détriment d’espèces des milieux boisés, un choix essentiellement culturel et non scientifique. Cette opération de jardinage écologique consiste à conserver un paysage du XIXe siècle plus qu’à protéger la nature. Personne ne semble se demander quel sera l’impact sur le milieu des moutons, quand on connaît les méfaits du surpâturage. Que dire de la logique de cette opération quand dans le même temps l’ONF se plaint de la surdensité du cerf, capable lui aussi d’aller consommer les ligneux indésirables ? Et pourquoi, si le cerf ne fait pas l’affaire, ne pas réintroduire des herbivores sauvages comme le bison d’Europe qui a plus sa place en forêt que le mouton ?

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Dans une motion C « Osons un nouveau pacte citoyen et républicain » présenté lors du dernier congrès du Parti socialiste de 2015, une proposition visant à développer la filière bois énergie souligne que cela « permettrait de se débarrasser des vieux arbres secs, qui sont les premiers à s’enflammer l’été ». Outre le fait que cette question des incendies ne concerne que les zones méditerranéennes, la totale méconnaissance des élus socialistes en matière d’écologie, notamment sur le rôle du bois mort, peut être vue comme une malformation congénitale qui devrait écarter ces gens de tout pouvoir car la planète a déjà assez souffert des décisions politiques et économiques d’ignorants de la nature.

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En avril 2015, la Direction Départementale des Territoires de Haute-Loire a autorisé qu’un chamois qui s’approchait trop d’un troupeau de moutons soit abattu. Cet individu isolé menaçait le troupeau selon l’éleveur. Il aurait pu être endormi et transplanté ailleurs. Mais la solution radicale a été préférée. Bel exemple de la façon dont on traite la question du sauvage en France, pays de campagnes maîtrisées et ordonnées où la nature est vue comme une menace permanente.

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Enfin, le ministère de l’Ecologie a lancé cet été une offre d’emploi d’avenir pour constituer une brigade loup et participer aux opérations d’abattage ordonnées par l’Etat. Le profil demandé nécessite une aptitude au maniement des armes de catégories C et D (armes de chasse lisses et rayées), des notions de balistique, un permis de chasser, la possession du Brevet Grand Gibier serait un plus, une origine « rurale » et une formation type BEPA agricole, avec une spécialité cynégétique ou aménagements. Que le ministère chargé en principe de protéger la nature en vienne à se soucier d’abord des moutons en dit long sur le revirement idéologique auquel nous assistons et sur les priorités françaises : une nature aseptisée sous contrôle et expurgée de toute altérité sauvage.

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Travailler aujourd’hui pour un organisme environnemental ne suffit plus à faire de vous un protecteur de la nature quand ces structures visent en fait à faire le bonheur de la nature contre son gré. Le citadin végétarien qui décide de ne pas avoir d’enfants protège mieux la nature à moyen et long terme.

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* Ecologue

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