Les « zootels » à insectes

Apparus il y a une quinzaine d’années (d’abord chez nos voisins allemands), les hôtels à insectes fleurissent actuellement un peu partout.

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par Jean-Claude Génot *

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hotel insecte
Hôtel pour insectes – photo @ Jean-Claude Génot

Ces « hôtels » sont aux insectes ce que les nichoirs sont aux oiseaux, des gîtes artificiels. Ils se présentent généralement sous la forme d’étagères comportant divers compartiments séparés. Ces derniers comportent divers matériaux pour attirer les insectes : bois ou brique percés de trous, roseaux coupés, paille, terre, pot de fleurs, etc.

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Certains compartiments sont protégés par un grillage contre les prédateurs. Ces hôtels à insectes sont très souvent couverts d’un toit plus ou moins grand.

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Ces aménagements rencontrent un certain succès auprès des collectivités, des associations et des particuliers qui veulent agir en faveur de la biodiversité.

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On commence à en voir un peu partout, même sur des ronds-points, en bordure de routes fréquentées et dans des zones urbaines.

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Pour de nombreux protecteurs de la nature et éducateurs à l’environnement, l’hôtel à insectes est devenu un outil incontournable. Il complète le kit du parfait protecteur de la biodiversité. Il a tout pour plaire car il se voit, il peut être inauguré et surtout il montre de quoi l’homme est capable pour protéger activement la nature.

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Mais au fait, et les insectes dans tout ça ? Si l’on en croit l’entomologiste Vincent Albouy (1) qui a testé l’efficacité des divers abris à insectes, tous peuvent être remplacés par des abris naturels : tiges mortes de végétaux, terriers de campagnols, anfractuosités, vieux murs, vieil arbre creux, lit de feuilles mortes, mousse épaisse et même le sol.

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En clair, il suffit de laisser de la place à la nature spontanée et de ne pas nettoyer son jardin en automne pour « faire propre ». Les insectes y trouveront les abris nécessaires pour passer l’hiver ou les gîtes pour se reproduire. Il en va des insectes comme des oiseaux, les nichoirs et autres abris artificiels ne servent à rien si autour la nature est bétonnée.

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A quoi sert d’installer un hôtel à insectes si, à côté, on utilise des pesticides ou si on supprime la moindre zone de friche ? Et si la nature offre les mêmes abris que ces ersatz en béton de bois ou en brique, pourquoi donc vouloir à tout prix les installer ? Justement, l’homme a absolument besoin de croire qu’il n’y a pas de nature protégée sans qu’il y mette sa patte, une signature bien humaine qui flatte l’orgueil de se croire indispensable à la nature.

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L’immense avantage de ces hôtels est qu’ils permettent de protéger à bon compte une nature par ailleurs massacrée à grande échelle. La nature nous gêne, on ne la veut plus que dans des petites zones réservées à cet effet. Elle est devenue la biodiversité, un assemblage d’espèces que l’on peut manipuler à souhait, qui doit être mise dans une case pour ne pas entraver le développement économique.

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C’est pourquoi l’hôtel à insectes est idéal, vite bricolé et vite casé dans un coin, tant pis s’il n’y a pas ou peu d’insectes. La nature est généreuse et a horreur du vide, elle trouvera toujours des mouches, des araignées ou des guêpes pour venir dans ces abris. Et puis, si l’hôtel reste vide, on peut tout faire pour attirer des clients. Citons Vincent Albouy : « Mais ces nichoirs ne sont occupés que si je force la main, ou plutôt le tarse, des reines. Quand je repère au début du printemps un bourdon explorant le sol, cherchant un endroit pour nicher, je le capture pour l’introduire dans le nichoir en bouchant l’orifice de sortie. Je n’ouvre celui-ci que 24 heures plus tard ».

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Oui, vous avez bien lu, si ce bel hôtel ne plaît pas aux insectes, on les force à y loger ! Mais alors ,s’ils servent plus à nous faire plaisir qu’à protéger les insectes, quel est leur rôle ? Vincent Albouy pense qu’ils sont avant tout des supports pédagogiques qui entraînent des questions de la part du public.

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Face à un tel équipement, on peut aisément imaginer que tout bon guide nature pensera à parler de l’importance de protéger les insectes et qu’alors les questions du public porteront sur les dimensions de l’hôtel, les matériaux employés et l’emplacement idéal pour l’installer. Si le guide sait bien captiver son auditoire, qui pensera à lui demander pourquoi vouloir absolument fabriquer une telle installation alors que les insectes ont toujours su trouver ce qu’il leur fallait dans la nature ? Pourquoi contraindre les insectes à venir dans ce gîte artificiel grillagé, ce « zootel » bien en évidence où les insectes sont à la vue de tout le monde, alors que, dispersés dans la nature, ils sont plus à l’abri de leurs prédateurs ?

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Eh bien, parce que l’homme souffre de gestionite (2), cette maladie qui consiste à vouloir tout contrôler et gérer la biodiversité comme si la nature ne pouvait exister sans notre intervention. J’entends déjà certains protecteurs écologiquement corrects me dire que mes critiques sont dérisoires et exagérées, que ces hôtels à insectes partent d’un bon sentiment qu’il ne faut absolument pas entraver car les gens ont besoin d’agir en faveur de la nature.

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A cela, je réponds que l’enfer est pavé de bonnes intentions et que dans cette histoire, rien n’est anodin. Car ces « zootels » et autres ersatz de nature confortent tout ceux, et ils sont nombreux, qui pensent qu’on peut remplacer la nature spontanée, indomptable et débordante par des artifices. Derrière ces équipements qui valorisent l’homme et desservent la nature dans ce qu’elle a de sauvage, il y a l’idée que la technique, même la plus élémentaire, peut pallier le manque de nature.

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L’hôtel à insectes n’est que le début d’un processus visant à domestiquer la nature pour mieux la maîtriser et à faire croire que la nature doit être adaptée à notre société, mais pas l’inverse. D’ailleurs, n’a-t-on pas déjà contraint la nature à vivre dans des réserves ? Ainsi pour penser les villes de demain, des écologistes travaillent avec des architectes pour concevoir des habitations où humains et animaux peuvent cohabiter (3), du hérisson à l’hirondelle. Mais là encore, cet avenir radieux pour la biodiversité, ce meilleur des mondes où ne vivraient que les espèces anthropophiles, est remis en cause par les naturalistes eux-mêmes qui rappellent une évidence : « Vous aurez beau installer tous les nichoirs que vous voulez, si vous ne pensez pas à planter des arbustes autochtones où les oiseaux trouveront à se nourrir, eh bien ils ne viendront pas ».

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Mieux vaut laisser de la place à la nature spontanée et planter des arbres pour demain que de construire des gîtes artificiels pour attirer les animaux sauvages dont la raison d’être est de vivre librement. Car l’herbe folle, l’arbre mort, le lierre et la ronce ne sont pas uniquement des refuges pour les animaux, ils sont aussi les éléments fondamentaux des lieux où s’épanouit la nature sauvage. Ces lieux qui peuvent nous aider à construire nos identités selon Anne-Caroline Prévot, chercheur au CNRS (4). Alors, de grâce, arrêtons nos bricolages d’Homo faber. La nature sait mieux que nous ce dont elle a besoin, ayons l’humilité de le reconnaître.

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* Ecologue

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(1) Vincent Albouy. 2008. Nichoirs et abris à insectes, quelle efficacité ? Insectes n°150 : 25-28.

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(2) Jean-Claude Génot. 2008. La nature malade de la gestion. Sang de la Terre. 239 p.

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(3) Julia Koch. 2015. En colocation avec M. Hérisson. Courrier international n°1284 du 11 au 17 juin, page 58

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(4) Anne-Caroline Prévot. 2015. Se mobiliser contre l’extinction d’expérience de nature. Espaces naturels n°51 : 18-19.

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