par Hugo Verlomme |
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Entendez-vous ce grand silence ? Sentez-vous flotter une gigantesque absence ?… C’est l’empreinte de la mer, les 72 % de la planète qu’on n’entend jamais. Au cours des années Cousteau, on l’avait définie comme « Le Monde du silence », alors que les baleines y chantent de véritables cantates et que les crevettes y caquettent jour et nuit. Cette partie-là du monde, qui représente nos origines et notre futur, la mer, reste quasi absente de la scène mondiale. Or, le véritable théâtre du changement climatique, c’est bien l’océan, le grand maître des tempêtes, le creuset des cyclones, le terrain de jeu des vagues scélérates hautes de plus de 30 mètres…
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Il aura fallu attendre les marées noires, la montée des eaux, la surpêche, le pillage des grands fonds, les pollutions multiples et invisibles, il aura fallu attendre des ouragans hors-norme de plus en plus dévastateurs et l’acidification des océans, pour qu’on commence à prendre en compte la mer dans les enjeux du présent.
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Sachez-le, nous ne vivons pas dans deux mondes séparés, d’un côté les terres, de l’autre, les mers… Ce sont les deux faces d’un même corps. Trop longtemps, nous avons considéré le bord de l’eau comme un précipice infranchissable, mais voilà qu’en ce XXIe siècle, l’humanité commence à opérer un salutaire retour à la mer. Le phénomène est planétaire ; désormais, la majeure partie de la population mondiale vit à proximité du littoral.
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Alors qu’on célèbre la Journée Mondiale des Océans le 8 juin, il nous faut impérativement adopter une vision holistique du monde et réintégrer la présence de l’océan dans chacun de nos gestes, dans chacune de nos décisions, car tout en vient et tout y retourne…
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La pollution des mers provient essentiellement des terres. Le cycle de l’eau, pluies, rivières, mers et océans, nuages, pluies, nous montre comment tout circule et comment des produits répandus loin des mers s’y retrouvent par le jeu des bassins-versants. L’océan est le grand régulateur, le cœur de notre système planétaire, peut-être même le cerveau. C’est pourquoi tous nos gestes se répercutent, directement ou indirectement, sur l’océan. Dès lors, cultiver des carottes bio, utiliser des énergies renouvelables ou cesser de répandre des polluants dans notre vie quotidienne, est non seulement bénéfique pour la terre, mais aussi pour les eaux douces et salées.
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Autre exemple : une bonne partie du bétail et du poisson d’élevage est nourrie de farine de petits poissons pêchés en masse (surpêche minotière). Or, il faut 3 kg de ces poissons frais pour produire 1 kg de farine, puis il faut 3 kg de cette farine animale pour produire 1 kg de steak ! La déperdition est vertigineuse, un véritable gâchis. Ainsi, manger moins de viande industrielle ou de saumon d’élevage, contribue à sauver la biodiversité marine. Il est urgent d’adopter cette vision globale du monde : lui rendre sa face cachée et l’entendre enfin. On ne peut prétendre protéger la Terre sans protéger activement la mer, qui n’a jamais subi autant de ravages.
J’ai eu la chance et l’honneur de recevoir, le 20 mai dernier à Bayonne, le « Pavillon Océan et Climat » des mains de la navigatrice Catherine Chabaud qui, depuis des années, travaille activement pour inventer les bateaux écologiques du futur avec Innovations bleues.
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Elle a entrepris un tour de France pour le climat afin de remettre l’océan à sa vraie place lors de la Conférence COP21 cet hiver à Paris. Parmi le public présent ce jour-là, une dame a demandé : « Mais je ne vois pas le rapport entre le voilier du futur et le changement climatique ? ».
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C’est en entendant ce genre de question, légitime, qu’on comprend à quel point il est contre-productif de vouloir nier le changement climatique. Car ce qui est bon pour l’océan est automatiquement bon pour lutter contre le changement climatique. Cette menace sert en effet de catalyseur, permettant au plus grand nombre de prendre conscience de l’état de la planète, ce qui contribue à la protéger. Une telle question, symptomatique, montre que nous devons d’urgence cesser d’être borgnes ou sourds à l’autre moitié de nous-mêmes, la part océanique de l’humanité.
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Hugo Verlomme, journaliste, auteur d’une trentaine de livres sur la mer, vit dans le Sud Ouest, tout près d’une plage des Landes. Cet éditorial, comme tous ceux de ce site, n’engage que son auteur.
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