Le Cousin Jules

Un film rare sur la vie paysanne dans les années 70 ressort enfin en salles.

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par Marie Joséphine Grojean

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aff-le-cousin-jules4C’est la vie d’un couple d’octogénaires dans un petit village d’habitat dispersé de Bourgogne dans les années 1970 : lui, c’est Jules ; comme chaque matin, il traverse la cour herbeuse où picorent les poules, et va travailler dans sa forge-atelier. Elle, Félicie, prépare à manger avec les légumes du jardin, puise l’eau au puits, épluche des pommes de terre…

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Ils se retrouvent autour de la table pour le repas, frugal et silencieux, mais ponctués de menues attentions qui montrent qu’on sait vivre ensemble. Elle prépare le café dans ces cafetières que César a écrasées et immortalisées. Ils dégustent leur café autour du poële à bois dans la forge-atelier : moment de répit avant de reprendre le cours des activités.

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Des activités qui tiennent le spectateur en haleine dans un suspense inhabituel pour les Modernes d’aujourd’hui. Sous nos yeux, avec pour seules aides un feu alimenté juste ce qu’il faut, et de l’air qui sort d’un énorme et sonore soufflet qu’il manie sans cesse, Jules, en gestes lents et précis, sculpte le fer comme si c’était de l’argile, et lui donne forme pour des usages spécifiques, gonds, crémones, paumelles… Il fait cela avec quelques outils basiques et immémoriaux, marteau, enclume, tenailles, burin, vilebrequin… Puis, ayant produit son œuvre, il sort, jette aux poules du grain à la volée, ramasse les œufs du jour dans la caisse de ponte, roule une cigarette, et s’en retourne forger…

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On est tout de suite empoigné par des images fixes et troublantes, et sans effets aucun. Pas de paroles, pas de musique, des gestes essentiels du quotidien où la main et l’esprit sont mêlés… Travailler est ici un acte vital, comme se nourrir ou boire ; ce sont aussi des actes physiques où le corps participe. Les images nous le montrent crûment : quand on mange, on mâche, on avale, on essuie sa bouche ; après, on est rassasié  et on apprécie. Alentour, il y a la campagne, sa rudesse et sa beauté, son silence et son espace…

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Le film montre tout cela. On pense à Depardon et à ses « profils paysans ».

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Dans sa simplicité brute, ce quotidien nous montre un art de vivre. D’image en image, le film nous emmène dans une ruralité quasi universelle, celle des travaux et des jours rythmés par les nécessités et le devoir de faire de son mieux avec ce que l’on a et ce que l’on sait. En ce sens, cet art de vivre porte aussi témoignage d’éthique.

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Même s’ils n’ont de prime abord que peu de rapport avec les vies urbaines d’aujourd’hui, cet art de vivre et cette ruralité interpellent. En ce temps où se cherchent d’autres façons d’être au monde, l’un et l’autre peuvent offrir à la « transition énergétique » en cours, des références et des racines : sobriété paisible, science du concret, créativité au quotidien, perception du temps qui passe, prégnance des rythmes naturels…

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Le Cousin Jules a été tourné par Dominique Benicheti en cinémascope et en son stéréo. Les salles de cinéma n’étaient pas alors équipées pour projeter le film dans son format d’origine et en son stéréo. Cela explique son absence des salles et sa non-commercialisation, mais cela n’a pas empêché qu’il soit sélectionné officiellement dans de nombreux festivals. En 2011 a commencé le travail de restauration du négatif original qui permet aujourd’hui sa distribution.

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Le film sort en salle le 15 avril 2015.

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Cet article paraîtra en juillet 2015 dans la revue Ultreïa.

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Film de Dominique Benicheti. 1973. 90 minutes.
Sortie en salle le 15 avril 2015
Distribué et restauré par Carlotta Films
http://carlottavod.com/cousin-jules-le

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