La Dominique, espace de nature sauvage dans l’arc antillais

Au centre de l’arc formé par les Petites Antilles, l’ile de la Dominique (15°5 N) est un petit territoire long de 46 km et large de 20, où on arrive le plus souvent par bateau ou petit avion à partir de la Martinique ou la Guadeloupe.

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par Annik Schnitzler

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La traversée nous permet de saisir le contraste entre ces deux grandes îles aux reliefs variés et au climat accueillant, et celle de la Dominique, dont les trois massifs montagneux principaux, entourés de nuages et de pluie surgissent comme autant de forteresses à partir des côtes.

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Ces montagnes, ou mornes (Morne au Diable, Morne Diablotin et Morne Trois Pitons) atteignent plus de 1000 m d’altitude, avec un point culminant à 1447 m pour le Morne Diablotin, le deuxième plus haut sommet des Petites Antilles. Ces massifs forment la barrière dense aux vents chargés d’humidité issus de l’Atlantique.

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Les pluies torrentielles qui s’y déversent toute l’année, notamment dans la partie orientale, expliquent les niveaux élevés de pluviométrie : 9000 mm au centre de l’île, et l’humidité constante qui y règne, jusque sur les côtes les moins exposées aux pluies.

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Comme ailleurs dans les Petites Antilles, toutes issues du contact entre deux plaques tectoniques, la Dominique est d’origine volcanique. La dernière éruption date de 1880. Nombreux sont les lacs de cratère, et les ruisseaux qui écoulent des eaux chaudes, rousses, et riches en soufre.

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Riche en soufre, ce chaudron d’eau bouillonnante (Boiling Lake) stérilise les pentes adjacentes. Peu de plantes arrivent à pousser aux  alentours – île de la Dominique @ Tim Williams

 

Les sites les plus surprenants, qu’on n’aborde qu’après 3-4 heures de marche plutôt éprouvantes si on les fait sous une pluie diluvienne, sont la vallée de la Désolation, d’où s’échappent fumerolles et rivières à eaux soufrées, et le Boiling Lake, cratère de diamètre de 60 m et rempli d’eau bouillonnante.

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Malgré son caractère peu attrayant pour le tourisme, en raison de la pluviosité, du manque de plages, du relief tourmenté d’accès difficile, cette petite île recèle quelques trésors de nature, qui ont été la raison de notre voyage.

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En premier, la richesse en forêts tropicales denses de montagne, actuellement protégées au sein d’un parc national, peu pénétrées et très peu étudiées. Ces forêts ont été totalement dévastées par l’ouragan David en 1979 comme bien d’autres forêts des Petites Antilles, et je souhaitais observer la rapidité de la recolonisation forestière après destruction totale, et la comparer aux évolutions forestières observées en Martinique après l’ouragan Dean en 2007.

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Forêt des elfes, parc national du Morne Trois Pitons, ïle de la Dominique – @ Annick Schnitzler

En quelques décennies, cette reconstruction forestière m’a semblé étonnamment rapide pour de telles altitudes : canopée dense, quoique de petite hauteur, sous étages remplis de lianes et d’épiphytes, et une pénétration difficile, qui n’a sans doute pas été tentée. Tout près des sommets, les forêts diminuent encore en hauteur, d’où leur nom de Elfin forests (forêts des elfes), elles aussi peu touchées par l’homme. Les faibles hauteurs des forêts montagnardes s’expliquent par la nébulosité élevée, tant la nuit que le jour, qui diminuent l’efficacité de la photosynthèse par rapport aux zones plus basses.

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Sur les parties des mornes les plus pentues, ne subsistent que des prairies naturelles, en raison des glissements de terrain, occasionnés par les pluies et les petits tremblements de terre dans les zones les plus instables.

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Rivière de soufre, île de la Dominique – @ Tim Williams

 

Aux étages montagnards inférieurs en revanche, les forêts ont été moins touchées par l’ouragan, mais sont fragmentées au milieu de cultures et habitations. On y trouve la forêt saisonnière, des forêts marécageuses, des forêts littorales battues par les vents et même de petites forêts poussant sur des rivières de soufre.

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L’île de la Dominique, comme toutes les îles des Petites Antilles, était riche en espèces de la famille des Psittacidés (Ara, Amazona, Aratinga), chacun endémique d’une île. On comptait en tout avant l’arrivée de Christophe Colomb, 26 espèces de cette famille. Au XIXe siècle, 14 espèces avaient disparu. L’ara de la Dominique a fait partie de ce cortège, mais a pu conserver, à la différence de la Guadeloupe et de la Martinique, deux espèces du genre Amazona, tous deux en liste rouge, car ils comptent à deux moins de 400 individus depuis l’ouragan David : le Sisserou, ou perroquet impérial (Amazona imperialis), le plus grand des perroquets d’Amazonie, rare, réfugié dans les forêts humides d’altitude et emblème de l’île ; et le jaco (Amazona arausiaca), un peu plus fréquent, qui fréquente les orangeraies de basse altitude de Syndicat Trail. Ces deux espèces font l’objet de protections strictes et de conservation en captivité.

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Le diablotin, un pétrel (Pterodroma hasitata) qui venait nicher sur les falaises du Morne Diablotin, a disparu, mais semble recoloniser l’île dans une autre de ses parties d’après les dires d’un guide naturaliste.

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Autre curiosité de la Dominique, la présence d’un boa constricteur (Boa constrictor nebulosa) endémique, dit le « Clouded boa », qui peut atteindre 3 mètres. Cette sous-espèce strictement protégée est parfois tuée par les habitants lorsque des individus se réchauffent sur les routes de village. Les Indiens en faisaient une huile cicatrisante, et continuent à le chasser, malgré un statut de protection.

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Les plantes de la Dominique proviennent pour l’essentiel d’une colonisation par l’Amérique du Sud, via un courant équatorial partant de l’Afrique de l’Ouest, qui, en passant au nord de l’Amérique du Sud, récupère les eaux de l’Orénoque avant de longer les petites Antilles. Ce courant a été le moteur essentiel de la colonisation du vivant, grâce aux bois flottés fournis par les forêts vénézueliennes. Il a transporté semences, œufs d’insectes, voire petits vertébrés du continent sud américain vers les Antilles.

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Une autre voie de colonisation, plus aléatoire, est toujours celle des ouragans et des courants aériens créés par les éruptions volcaniques. Ainsi, l’éruption de la Montagne Pelée en 1902 a apporté une liane nouvelle en Dominique, dénommée en patois « volcan ». Enfin, l’homme a également contribué à disperser les espèces qui lui étaient utiles, comme l’agouti du temps des Amérindiens. Les apports historiques de la faune et de la flore sont actuellement innombrables.

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La Dominique a été abordée par des vagues successives de chasseurs cueilleurs issus du delta de l’Orénoque au Vénézuela. Une hypothèse curieuse est que les hommes n’auraient guère fait de différence entre ce vaste delta peuplé d’îles, et les îles des Petites Antilles vers lesquelles les courants les portaient au-delà du delta, en pleine mer. En d’autres termes, pour certains scientifiques, le delta de l’Orénoque et les îles des Petites Antilles feraient partie d’un même écosystème au sens large, en raison des similitudes dans la flore et les peuples qui l’ont successivement occupé.

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Les milieux hostiles de la Dominique n’ont donc pas empêché la colonisation humaine, qu’elle soit amérindienne, européenne ou africaine. Les récits publiés par l’historien Lennox Honeychurch soulignent l’horreur de l’esclavage, des batailles que se sont livrés Français et Anglais, les luttes des derniers peuples indigènes amérindiens, les Kalinagos, arrivés un siècle avant Christophe Colomb), auxquels se sont alliés les esclaves africains échappés, et avec lesquels ils se sont fortement métissés. La colonisation humaine amérindienne a commencé par Trinidad à partir de l’Orénoque il y a 8000 ans, et a atteint les petites Antilles par vagues successives. Les Kalinagos en forment donc la dernière vague.

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Retirés à présent dans les parties les moins hospitalières de l’île, les Kalinagos vivent actuellement en relative autarcie dans la partie la moins productive de l’île. Les échanges entre Kalinagos, ceux de l’Orénoque et les quelques autres îles des Petites Antilles leur permettent de conserver leur culture.

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L’ile est indépendante depuis 1978 et fait toujours partie du Commonwealth, On y parle anglais, mais le français est parfois parlé et certains mots sont inclus dans la patois dominicain.

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A lire
The Dominica Story, A history of the Island. Lennox Honychurch. 2012.

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