Pierre Athanaze fait partie de ces résistants à la pensée dominante anti-nature. Il vient de publier Le retour du sauvage (éditions Buchet-Chastel).
par Jean-Claude Génot, écologue
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Malgré un contexte déplorable pour la nature dans notre pays (agriculture contre nature, rajeunissement des forêts à cause de prélèvements trop importants, espaces protégés insuffisants et ne faisant pas assez de place à la nature sauvage, haine des grands prédateurs, des friches et du bois mort), il est des gens qui osent revendiquer, plus que jamais, une place pour le sauvage en France.
Pierre Athanaze fait partie de ces résistants à la pensée dominante anti-nature. Il vient de publier chez Buchet-Chastel Le retour du sauvage, livre dans lequel il nous parle des espèces (loup, lynx, phoque, vautour, esturgeon, etc.) qui ont fait leur retour sur notre territoire, soit naturellement, soit à l’issue d’actions de réintroduction. L’auteur nous rappelle fort justement que la réapparition d’espèces sauvages ne peut se faire sans la protection d’espaces sauvages. Pas étonnant quand on sait qu’il a créé le label de « réserve de vie sauvage » dans le cadre de l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) dont il a été président de 2008 à 2014.
Pierre Athanaze apprécie d’autant ce retour du sauvage qu’il cite au début de son ouvrage les activités humaines ayant conduit à la disparition des espèces dont il salue aujourd’hui le retour. La destruction des milieux ne fut pas la seule cause de ces disparitions, la mentalité de nos ancêtres fut aussi une puissante cause de persécution, mélange de bêtise, d’ignorance, de peur et de volonté de maîtrise. Les ruraux peu éduqués n’étaient de loin pas les seuls responsables, ainsi le célèbre entomologiste Jean Henri Fabre parlant des rapaces : « La destruction des nids est le moyen le plus sûr de mettre fin aux ravages qu’ils font parfois dans les troupeaux ». L’auteur a conscience des blocages psychologiques et culturels face au retour du sauvage quand il espère que le sauvage pourra reprendre sa place dans notre pays, et avant tout, dans nos mentalités.
Cette défense de la nature sauvage est une revendication primordiale pour les écologistes profonds. Pour eux la nature sauvage a une valeur intrinsèque et la place qu’on lui laisse devrait être proportionnelle à notre degré de civilisation et à notre humanité dont l’empathie engloberait toutes les créatures vivantes.
Heureusement, Pierre Athanaze n’est pas isolé et ses idées s’inscrivent dans une démarche européenne. Il y a d’abord la résolution du Parlement européen prise en 2009 sur la protection de la nature vierge. Le Parlement a ensuite demandé à la Commission européenne une nouvelle stratégie pour la nature vierge, de nouveaux moyens et un statut spécial dans le cadre de Natura 2000. En lien avec cette résolution du parlement européen, l’initiative Wild Europe a été créée. Elle regroupe d’une manière informelle de nombreux partenaires institutionnels et associatifs dont, entre autres, l’UICN, l’UNESCO, la Fédération Europarc, le WWF, Birdlife International, Natuurmonumenten, la Société Européenne pour la Wilderness, ainsi que des consultants comme l’Institut Européen pour la Politique Environnementale, le Centre Européen pour la Conservation de la Nature, Alterra, et des représentants du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne.
Wild Europe a de nombreux projets de protection sur de grandes surfaces de nature sauvage, notamment en Roumanie et en Irlande. Une fondation d’origine néerlandaise, Rewilding Europe, s’est créée pour soutenir des projets de protection de nature sauvage en Europe, notamment en réintroduisant des grands herbivores comme le bison, l’aurochs ou le cheval sauvage. Les sites d’intervention de Wild Europe sont l’ouest de l’Espagne, les Apennins, les Carpates de l’est et du sud, les Rodopes, le delta du Danube et la Croatie. Souhaitons toutefois que ces projets visant à réintroduire des herbivores ne s’arrêtent pas en si bon chemin et que dans les régions où ils sont absents, Rewilding Europe se préoccupe également des grands prédateurs. En France, deux colloques sur la naturalité organisés en 2008 et 2013 par le service forêt du WWF France, en hommage respectivement de Robert Hainard et Aldo Leopold, tous deux grands défenseurs de la nature sauvage, ont permis de rassembler de nombreux gestionnaires, écologues et scientifiques autour des concepts de naturalité et de libre évolution.
Avant cela, l’association Forêts sauvages, dont Pierre Athanaze est co-fondateur, s’est créée en 2005 pour acquérir des forêts et les laisser en libre évolution. J’ai moi-même contribué à défendre le laisser faire dans la protection de la nature et l’ensauvagement à travers mes ouvrages depuis 1998. Enfin, un groupe de travail de l’UICN France « wilderness et nature férale » se réunit depuis 2013 pour établir une stratégie en faveur de la nature sauvage en France.
Mais le sauvage n’est pas seulement le renard capable de vivre en ville. C’est surtout des espaces en libre évolution depuis suffisamment de temps pour que les écosystèmes soient plus matures et complexes. Cette nature fond comme neige au soleil car l’esprit marchand traque les ressources naturelles dans les coins les plus reculés. Aldo Leopold avait coutume de dire que la nature « vierge » est la seule richesse qu’on ne peut pas recréer facilement et qui ne fait que diminuer.
Pour oser instaurer des zones de nature sauvage protégée, il faudrait des responsables politiques formés et sensibles à la nature, ce qui semble impossible tant leur « handicap culturel » est insurmontable. Seule la volonté de personnes très motivées permettra de prendre des initiatives en ce sens.
Pour cela, ce ne sont pas des mesures techniques et scientifiques qui permettront d’avancer en faveur de la nature sauvage, mais la capacité de certains gestionnaires, scientifiques et décideurs administratifs de se remettre en cause et de penser autrement la nature que domestiquée et maîtrisée.