Biodiversité : la passion de la vie, la froideur de la loi !

 


par Yves Paccalet

 

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Quelques-unes de nos lois souffrent de n’être que de circonstance ou de réaction, mal pensées, mal balancées, bâclées, dictées par l’émotion de l’instant et l’urgence médiatique. Au contraire, la plupart des dispositions législatives concoctées par le Parlement restent désincarnées, verbeuses et distanciées.

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Une loi sur la biodiversité vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale. (Encore faudra-t-il qu’elle passe par la case Sénat sans trop de dégâts.) Elle appartient à la catégorie dominante des textes écrits par des représentants du peuple plus proches de l’ENA que des forêts, des montagnes et des mers ; dépouillés de chair, de cœur, de sentiments ou d’empathie. Elle parle de la diversité de la vie, mais on a l’impression que ceux qui l’ont accouchée n’imaginent même pas de quoi ils discutent.

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L’un des temps « chauds » du débat a surgi à la faveur d’un amendement déposé par la rapporteuse du texte global, la députée socialiste Geneviève Gaillard, et sa collègue Laurence Abeille, du groupe Europe-Écologie-les-Verts. Cet alinéa réclamait que la France reconnaisse un « statut » aux animaux sauvages. Lorsqu’ils ne sont classés ni « chassables », ni « nuisibles », ni « protégés », ces derniers se trouvent relégués à l’état de « biens qui n’ont pas de maître » ou de « choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous ». L’amendement n’avait d’autre ambition que de rajouter un peu de cœur dans la généralité des textes. De souligner que les animaux sauvages sont doués de sensibilité ; et que, même s’ils n’entrent pas dans la catégorie des « espèces protégées », ils ne doivent être intentionnellement agressés, blessés, tués, capturés, colportés, vendus ou achetés n’importe où et par n’importe qui.

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Ce n’était pas beaucoup demander. C’était encore trop ! La ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, mais aussi les députés présents, de UMP au Front de Gauche, se sont opposés à l’amendement. Bec et ongles. Griffes et dents… Ces nobles et froides personnes ont fait savoir qu’à leurs yeux, l’alinéa constituait un « cavalier législatif » susceptible d’exposer à des poursuites judiciaires les misérables chasseurs, les malheureux pêcheurs et les honnêtes personnes qui traquent le renard, la fouine ou le ragondin du marais Poitevin. L’UMP Philippe Meunier a donné dans la finesse : « Si je prends mon véhicule et qu’une mouche se fracasse sur mon pare-brise, est-ce que je tue un animal sauvage ? » Le patron des députés Front de Gauche, André Chassaigne, s’est demandé si « la capture d’une truite à l’aide d’un hameçon triple pourra, demain, être considérée comme un sévice grave entraînant la condamnation du pêcheur ». C’est ainsi que le lobby de ceux qui tiennent les animaux pour des choses insensibles et purement matérielles a réussi à préserver, une fois encore, ses pratiques les plus cruelles ou les plus barbares, comme le déterrage des renards ou des blaireaux, ou la chasse des oiseaux à la glu et à la tendelle…

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Le statut des animaux sauvages a été enterré… La future Agence française de la Biodiversité (AFB), elle, verra bien le jour, en 2016, et comptera dans son sein quelque 1 200 agents de quatre organismes : l’Office national de l’Eau et des Milieux aquatiques (Onema), l’Atelier technique des Espaces naturels, l’Agence des aires marines protégées et les Parcs nationaux. Pour le reste, on ne bouge pas. Rien ne neuf ni de très positif pour la variété de la vie. Les chasseurs restent en dehors de la structure : ils ont refusé d’en faire partie de la structure. L’Office national de la Chasse et de la Faune sauvage n’obéit qu’à lui-même.

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Je désirerais, quant à moi, une autre loi sur la biodiversité et le statut des « bêtes sauvages ». D’une loi d’amour et de passion, à tout le moins de proximité, de connivence, de tendresse… Au profit de la variété des existences et des écosystèmes. De la splendeur du vivant, de son étrangeté, de ses merveilles et de ses secrets. De sa nécessité, bien sûr, puisque l’Homo sapiens, quoi qu’il imagine, décrète ou planifie, n’est qu’une fragile parcelle du grand Tout, et qu’il dépend de toutes les autres créatures.

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PS. Amis écologistes, le combat continue. Au moment même où j’écris ces lignes, les discussions se prolongent à l’Assemblée nationale. Et les sénateurs devront encore mettre leur grain de sel (rarement pro-nature !) dans le projet de texte.

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Bonne nouvelle : un amendement vient d’être adopté, qui interdit les pièges à glu. Depuis le temps que nous luttons pour épargner cette cruelle agonie aux oiseaux et aux victimes collatérales !

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Plus préoccupant : l’Assemblée admet l’idée qu’à chaque fois qu’on voudra aménager (bétonner…) un écosystème préservé, il faudra « compenser » la perte de biodiversité en protégeant ailleurs des fragments de nature équivalents. Ce dispositif existe déjà dans les plans locaux d’urbanisme (PLU), lorsque sont affectés des sites Natura 2000. Mal engagée et mal conduite, la négociation compensatrice mène à des désastres…

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Yves Paccalet a publié récemment Éloge des mangeurs d’hommes (Éditions Arthaud). Retrouvez-le sur son blog en cliquant ici. Cet éditorial, comme tous ceux de ce site, n’engage que son auteur.
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