La COP 21, un débat global qui nous empêche d’agir

A quoi servira la COP 21 ? Une tribune qui lance le débat… Vos avis sont les bienvenus !

 

par Michel Sourrouille

 

Il est vain d’attendre des conférences sur le climat une réponse collective au changement climatique. La conférence des parties (COP), qu’elle se réunisse à Copenhague, Lima ou Paris, n’a aucune légitimité. Les politiques ne s’y expriment pas au nom de l’intérêt général, ils représentent des populations particulières.

 

Le GIEC a produit son premier rapport sur les changements climatiques en 1988 et depuis aucun pays n’a jamais adopté de mesures significatives pour limiter les émissions de GES. Les Etats-Unis n’ont pas signé le protocole de Kyoto en 2001, ils ont nié l’origine anthropique du réchauffement climatique, ils ont toujours privilégié le niveau de vie des Américains. Barack Obama n’échappe pas à la règle formulée par Bush. Il avait dit lors de son discours d’investiture le 20 janvier 2009 : « Nous n’allons pas nous excuser pour notre mode de vie, nous le défendrons sans relâche. » Obama s’était à l’époque engagé à réduire les émissions de gaz à effet de serre des Etats-Unis de 17 % au-dessous de leur niveau de 2005 d’ici à 2020. Rien n’a été fait. Le protocole de Kyoto demandait aux USA de les diminuer de 7 % en 2012 par rapport à 1990. En 2004, ces émissions étaient supérieures de 16 % au niveau de 1990.

 

Il a fallu attendre le 25 juin 2013 pour que Barack Obama lance un timide plan d’action nationale pour le climat. Obama n’autorisera le pipeline Keystone XL, prévu pour acheminer le pétrole des sables bitumineux du Canada jusqu’au golfe du Mexique, que s’il « n’exacerbe pas de manière significative le problème climatique ». Admirons le style : « exacerber » et « de manière significative ». Le niveau de vie des Américains n’est pas négociable, ni les sables bitumineux du Canada, ni le pouvoir d’achat des Français, ni l’enrichissement des Chinois, ni le développement des pays émergents. Les sociétés qui vivent à l’occidentale poursuivent un rêve contradictoire et suicidaire : jouir sans entraves des applications impressionnantes des ressources fossiles, et être aveugles aux conséquences fâcheuses de la perturbation climatique qui en découle.

 

Un changement de comportement ne se décrète pas d’en haut, sauf si une autorité légitime décide l’état de guerre face à une situation objectivement mobilisatrice. Par exemple Churchill, Premier ministre du Royaume Uni depuis trois jours, pouvait s’exclamer le 13 mai 1940 : « I have nothing to offer but Blood, Toil, Tears and Sweat » ( Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur). L’invasion de l’Europe par les troupes hitlériennes avait commencé.

 

Face à la guerre que nous menons contre le cycle du carbone, les conditions sont tout autres. Nous n’avons pas vraiment conscience que la hausse moyenne des températures mondiales implique un basculement de notre monde à venir. Des scientifiques estiment que la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone (CO2) ne doit pas dépasser une valeur située quelque part entre 350 parties par million (ppm) et 450 ppm. La teneur moyenne actuelle est d’environ 400 ppm, soit au beau milieu de la ligne rouge. L’objectif des deux degrés de réchauffement, fixé par la communauté internationale comme limite à ne pas dépasser, représenterait déjà des risques significatifs pour les sociétés humaines partout sur Terre *. Qui s’en soucie ?

 

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a prévenu : pour conserver au moins une chance sur deux de contenir la hausse des températures à la fin du siècle sous la barre de 2° C par rapport à la période préindustrielle – seuil de danger retenu par la communauté internationale en 2009 –, les émissions mondiales de CO2 ne devront pas dépasser, entre 2011 et 2050, une fourchette allant de 860 à 1 180 milliards de tonnes, ou gigatonnes (Gt). Or, les réserves fossiles du globe représentent un stock d’environ 2 900 Gt de CO2 – près de trois fois plus que les émissions tolérables.

 

La conclusion s’impose : il faut, jusqu’à 2050, s’abstenir d’extraire et de brûler la plus grande partie des réserves fossiles. Un tiers des réserves de pétrole, la moitié de celles de gaz et plus de 80 % de celles de charbon devront rester inexploitées, si l’on veut éviter la surchauffe de la planète. Pour ce qui est du cas particulier des hydrocarbures non conventionnels (pétrole et gaz de schiste, sables bitumineux), les auteurs concluent qu’une hausse de leur production actuelle est incompatible avec la volonté de juguler le réchauffement. C’est la thérapie de choc que prescrivent deux chercheurs britanniques dans une étude publiée dans la revue Nature **.

 

Qui s’en soucie ? On voit mal comment convaincre un pays producteur, riche ou pauvre, ou une compagnie pétrolière ou gazière, de renoncer à la rente des hydrocarbures. Pour éviter la catastrophe climatique, nous savons quand nous sommes bien informés qu’il faudrait diviser par quatre d’ici 2050 les émissions de gaz à effet de serre, ce qui voulait dire diviser par deux notre consommation d’énergie. Mais cela restait abstrait. Qui comprend que cela remet complètement en question son mode de vie ?

 

Le 8 janvier dernier, Laurent Fabius prônait devant un comité inter-ministériel l’adoption d’un objectif « zéro carbone – zéro pauvreté » et le rapprochement des agendas internationaux pour le climat et des Objectifs mondiaux pour le développement, qui doivent désormais être « durables ». Ces déclarations d’intentions ne servent absolument à rien si le citoyen de base ne se sent pas concerné. Nous ne pouvons réussir internationalement une COP que si nous commençons à nous impliquer personnellement (par exemple participation généralisée aux « familles à énergie positive ») et à réussir localement (par exemple mise en œuvre d’un plan climat territorial). Les solutions existent, individuelles et collectives. Elles s’appellent sobriété partagée, rationnement bien expliqué, taxe carbone aujourd’hui, carte carbone demain, soutien par l’Etat central des communautés locales cherchant leur autonomie alimentaire et énergétique, adoption de techniques douces aux humains et à la nature, généralisation d’une agriculture biologique, conversion des intellectuels du tertiaire à l’artisanat, entraînement à la réponse non violente en toutes circonstances, rejet des actions militaires, considération des acteurs absents (générations futures et non-humains), maîtrise de la fécondité, etc. Le pire n’est jamais certain.

 

* Le Monde du 17 janvier 2015, La planète a atteint ses limites.

 

** Le Monde du 9 janvier 2015, Des réserves fossiles rationnées pour éviter la surchauffe.