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Une communauté féminine orthodoxe fait le pari de protéger la biodiversité en pratiquant une agriculture respectueuse de la Création.
par Jean-Claude Noyé
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« Tang, tong, tang » : le son mat du maillet de bois frappé sur la simandre (NDLR : planche de bois) alterne avec le tintement primesautier du carillon pour appeler les fidèles à l’office des vêpres. Le soleil inonde encore la cour du monastère orthodoxe de Solan, en ce jour d’octobre.
Des ouvriers s’affairent en sifflotant à la construction d’une église aux formes rondes inspirées des églises romanes de la région. On franchit une porte basse pour entrer dans la chapelle : deux caves voûtées reliées entre elles, chaulées de blanc.
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Déroulant son rythme ample et lent, la liturgie byzantine, chantée en français et célébrée selon la tradition du mont Athos, vous met le cœur au diapason. L’ornementation des icônes, l’odeur sucrée de l’encens, la lumière tamisée des veilleuses et les mélopées lancinantes des moniales : ici, tout parle de beauté et tout fait sens.
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Par cette belle journée d’automne, une visite guidée de la propriété du monastère par sœur Iossifia achève de vous en convaincre. Attentive et accorte, la religieuse d’origine brésilienne nous fait découvrir ce domaine de 80 hectares d’un seul tenant, dont 40 recouverts par une mosaïque forestière aux multiples essences et 20 en surface agricole, répartis entre le jardin potager, les vergers et, fleuron du monastère, le vignoble de 8 hectares de coteaux ensoleillés, « entre la vivacité étincelante de la Provence et la gravité généreuse des Cévennes ».
Sans oublier la zone humide abritant une flore et une faune fragile ou rare (dont des écrevisses à patte blanche), ce qui lui a valu son inscription dans le réseau écologique européen Natura 2000. Au total, une biodiversité remarquable, sur laquelle veillent jalousement les sœurs, car elles ont choisi, dès leur installation en 1992 dans cet ancien mas agricole, d’adopter la méthode agrobiologique.
Retour au monastère, où, dans une pièce qui tient lieu de salon-bureau, décorée avec le meilleur goût, tout de simplicité et d’harmonie, le père Placide Deseille nous offre le café ou le thé. « Ce choix s’est imposé à nous, car il est en résonance profonde avec notre foi. Comment, en effet, aimer le Créateur si nous ne respectons pas ses créatures ? Parce qu’elle est respectueuse de l’intégrité de la terre, l’agrobiologie l’aide à donner le meilleur d’elle-même avec des produits bénéfiques à la santé de ceux qui s’en nourrissent. Par ailleurs, transmettre une terre féconde et nourricière est un devoir moral incontournable à l’égard des générations futures », souligne d’emblée le père Deseille, tout à la fois père spirituel et théologien, fondateur de ce monastère, dit de la Protection-de-la-Mère-de-Dieu, et de celui, plus ancien, de Saint-Antoine, à Saint-Laurent-en-Royans (26).
Et d’expliquer que le christianisme oriental a toujours été attentif à la dimension cosmique de la révélation chrétienne, qu’illustrent les écrits des Pères grecs, comme saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Jean Chrysostome. À la différence des Pères latins, qui se sont attachés, dès saint Augustin, à la relation exclusive entre l’homme et Dieu, oubliant le monde animal et végétal qui participe pourtant lui aussi à la gloire de Dieu, et qui la manifeste. Quant à mère Hypandia, la jeune supérieure de cette communauté composée de 17 femmes de sept nationalités différentes, ayant pour la plupart moins de 50 ans, elle précise : « Le salut que nous offre le Christ est un salut pour tout l’univers, pour tout le vivant. Prince de la Création, l’homme a pour mission d’en prendre soin. Il doit en être le jardinier, non le destructeur. »
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L’écologie, dont le père Deseille rappelle qu’elle n’est jamais qu’un retour à l’esprit de la tradition et, souvent, à des pratiques anciennes mâtinées d’efficacité moderne, les moniales de Solan la pratiquent avec patience et cohérence. Au fil du temps, elles ont fait « des choix qui n’ont pas toujours été faciles, mais qui se sont révélés d’autant plus heureux que la Providence a placé sur notre route des hommes de bons conseils, désireux de refuser la logique productiviste ambiante, à commencer par Pierre Rabhi », commente mère Hypendia.
Quand la plupart déconseillaient aux contemplatives de cultiver la terre, au prétexte qu’elles n’en avaient pas l’expérience et que l’agriculture ne fait plus vivre les hommes, cet agrobiologiste de réputation internationale, par ailleurs fondateur président de l’association des Amis de Solan (lire ci-dessous), les a convaincues que la terre nourricière ne les enrichirait pas, mais qu’elle les ferait vivre.
Aujourd’hui, le jardin verger est conçu en recherchant la protection du sol, sa fertilisation naturelle, l’économie de l’eau, et il vise, de fait, à assurer la plus grande autonomie alimentaire. La vigne, cultivée sans engrais chimiques, permet aux cépages traditionnels et typés d’exprimer les saveurs propres au terroir du duché d’Uzès. Quant à la forêt, véritable maquis inextricable après des décennies d’abandon, elle est désormais aménagée en futaie jardinée, lieu de protection de la biodiversité.
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Mais l’écologie au monastère, c’est aussi le souci d’aménager les locaux dans le respect de l’existant, avec des matériaux sains. Aussi bien la récente cave vinicole, construite en blocs de pierre locale, traduit-elle le pari de faire vivre côte à côte, en harmonie, un bâtiment contemporain et un mas cévenol. L’écologie, c’est encore la volonté de privilégier les circuits courts et de maîtriser la chaîne de production. Les religieuses, ne se contentant pas de vinifier leurs raisins, vendent elles-mêmes leur vin (25 000 bouteilles par an), leurs confitures, jus et pâtes de fruits au marché d’Uzès, dans les foires bio et dans leur propre magasin. Elles achètent leurs fromages à un producteur local, vendent du bois à un boulanger des environs et, autant que faire se peut, mettent en pratique ce slogan cher aux écologistes : « Penser globalement, agir localement. »
Au final, donc, des options porteuses d’avenir, sinon prophétiques, plutôt que d’autres, peut-être plus rentables à court terme mais porteuses de mort. Comme l’exprime mère Hypandia : « Cela s’inscrit dans une recherche spirituelle où la création, don de Dieu pour la subsistance et la contemplation des hommes, est respectée et protégée pour devenir une véritable offrande liturgique. »
L’association des Amis de Solan
L’association les Amis de Solan regroupe 200 hommes et femmes soucieux d’articuler écologie et spiritualité, tous ne sont pas chrétiens orthodoxes. Les adhérents participent aux journées d’échange autour d’un thème lié à l’écologie et à l’éthique. Ils prêtent main-forte aux travaux agricoles du monastère. Le dernier dimanche d’août, ils assistent à la Journée de la sauvegarde de la Création. Au programme : participation optionnelle à l’office religieux le matin, pique-nique dans les jardins et conférences l’après-midi.
Le monastère côté pratique
Pour s’y rendre, il faut rejoindre le village de Cavillargues, entre Orange et Uzès. Les moniales accueillent des retraitants en nombre limité. Contact : monastère de Solan, 30330 La Bastide-d’Engras. Tél. : 04 66 82 94 25. Fax : 04 66 82 99 08.
Le domaine propose plusieurs cuvées de vins bio : rouges, rosés et blancs secs. Ainsi qu’un vin doux, vin passerillé sans aucun ajout d’alcool ni de sucre. En vente, également, confitures, jus et pâtes de fruits. Pour acheter par correspondance, contacter directement le monastère.