Au départ, les Verts étaient les seuls politiques à porter un message sur la protection de la nature. Certains élus écologistes avaient de solides connaissances en écologie scientifique ou une sensibilité pour les sujets liés à la nature. Lors des présidentielles, les candidats écologistes osaient parler de la nature, puis plus tard de la biodiversité.
par Jean-Claude Génot *
Mais au final, qu’ont apporté les Verts quand ils ont pu avoir accès au pouvoir ? Rien de positif pour la nature, aucun élément concret dont on se souvienne encore en disant : « On leur doit ces réserves naturelles ou ce parc national ». Récemment, les Verts allemands ont accédé à la présidence du Land de Bade-Wurtemberg et au ministère de l’environnement de Rhénanie-Palatinat. Peu de temps après, le premier parc national de Bade-Wurtemberg était créé en Forêt-Noire, avec comme objectif laisser la nature sauvage sur près de 10 000 ha et en Rhénanie-Palatinat, le premier parc national de ce Land était également lancé, ainsi que le feu vert pour réintroduire le lynx dans la forêt du Palatinat. Dans les deux cas, il s’agissait de promesses de campagnes…
Aujourd’hui, le parti de l’écologie politique en France montre un désintérêt pour la défense de la nature. Un de ses leaders, José Bové, a même appelé à éliminer les loups, symbole d’une nature encore sauvage. Loin d’avoir été désavoué par son parti, il a même été choisi pour être candidat des écologistes à la présidence de la Commission européenne aux élections européennes. Quand les écologistes s’opposent aux OGM, c’est pour leurs impacts sur la santé humaine et sur l’environnement ou encore pour des raisons de monopole sur le vivant, mais jamais pour la seule véritable raison de refuser ces produits, à savoir empêcher l’artificialisation de la nature en créant de nouvelles espèces, ce que François Terrasson qualifiait de « danger mental », en laissant des technophiles délirants trafiquer le génome pour en finir avec la nature.
Dans le concert médiatique, leurs discours sont focalisés sur les mêmes sujets que ceux des partis de gauche, le social, l’intégration, l’énergie, les réformes de société. Le seul marqueur qui les dissocie encore des autres partis politiques est leur position anti-nucléaire. Pourquoi n’entendons-nous jamais d’élus écologistes parler de la nécessité d’une politique de protection de la nature, d’éthique de la terre, de stabilisation économique et démographique ou d’ « une puissante culture du sentiment de la nature » pour reprendre l’expression de l’artiste et philosophe suisse Robert Hainard ? Sans doute parce que les Verts n’échappent finalement pas au déterminisme culturel français – ce mélange d’esprit cartésien, de religion catholique, de culture latine et de racines rurales – qui fait que ce pays n’aime pas la nature sauvage mais les paysages tirés au cordeau. Voilà pourquoi, contrairement aux Verts allemands, un écologiste français ne se fera pas élire en promettant la création d’une zone de 10 000 ha dédiée à la nature sauvage. Le retour à la nature des années soixante dix pour aller élever des chèvres est plutôt le symbole d’un attachement au rural qu’à la nature sauvage. D’ailleurs, Robert Hainard se méfiait des écologistes qui prônent le retour à une vie paysanne avec des méthodes douces dont le philosophe craignait qu’elle « finisse par prendre beaucoup plus de place dans la nature », lui qui ne craignait pas une certaine dose d’intensification pour permettre à la nature sauvage d’exister.
Il ne faut pas s’étonner que l’écologie politique soit si étrangère à la question de la nature car elle est plus intéressée par les sujets sociaux. Emilie Hache, dans son ouvrage Ecologie politique, rappelle le reproche fait aux écologistes qui mettent en avant la défense de la nature : dépolitiser la crise écologique et s’en prendre à l’espèce humaine dans son ensemble plutôt qu’à un système en particulier, à savoir le capitalisme. C’est le clivage entre écologie profonde et écologie sociale. Face à la lecture marxiste de la crise environnementale par l’écologie sociale, l’écologie profonde propose une révolution copernicienne, rompre avec l’anthropocentrisme et nouer une autre relation avec le monde non humain. L’écologie profonde, théorisée par le philosophe norvégien Arne Naess, reconnaît la valeur intrinsèque de la nature, d’où, pour la maintenir, la nécessité d’une décroissance économique et démographique, jugée intolérable par les tenants de l’écologie sociale. Face à un scénario d’un monde où tout serait « durable » mais l’espace entièrement domestiqué et occupé par les humains, les écologistes profonds proposent le scénario d’un monde avec de vastes espaces sauvages, la technologie permettant à l’homme de libérer ces espaces. La protection de la nature sauvage est une revendication radicale parce qu’elle remet en cause le rôle central de l’homme et sa position dans l’univers. C’est un acte de résistance contre le productivisme appliqué à chaque m2. Défendre le sauvage est une forme de dissidence dans une société qui maîtrise la nature de façon tyrannique. Tout cela est bien plus subversif que la lutte des classes.
* Ecologue
A lire
Robert Hainard. Peintre et philosophe de la nature, Roland De Miller, éd. Sang de la Terre, 2000.
Ecologie politique. Cosmos, communautés, milieux, Emilie Hache, éd. Amsterdam. 2012
Vers l’écologie profonde, Arne Naess, éd. Wildproject, 2009.
En finir avec la nature, François Terrasson, éd. Sang de la Terre, 2008.