Voici le texte intégral de l’intervention de Denis Garnier (Démographie responsable) au débat JNE sur démographie et écologie du 15 mai 2014 à Paris.
par Denis Garnier
Fin 2011, la population mondiale a franchi le cap des 7 milliards, 12 ans seulement après celui des 6 milliards !
Il aura fallu de l’ordre de 150.000 ans pour arriver au premier milliard et donc seulement 12 ans pour « gagner » le dernier…
La flèche orange indique que les 5 derniers milliards, y compris celui en cours, auront été imposés à la planète avec un rythme moyen de seulement 13 ans : on serait tenté de parler de cadence infernale !
Evidemment, par rapport à la population précédente, chaque nouveau milliard représente un pourcentage inférieur. Mais sur le plan écologique, l’impact supplémentaire que doit supporter la planète est à chaque fois le même, du moins avec un certain décalage dans le temps…
Quant à la dernière colonne, celle des doublements : elle parle d’elle-même.
Bien que les milliards suivants devraient arriver un peu moins vite, il faut savoir que les projections de population de l’ONU ont été régulièrement revues à la hausse ces six dernières années. Pour 2050, nous sommes passés de 9,1 à 9,3, puis maintenant 9,6 milliards.
Comment la planète va-t-elle faire pour accueillir autant de monde ? Evidemment elle ne pourra pas s’y dérober, mais ça va se traduire par un bouleversement des équilibres écologiques, y compris l’éradication d’un grand nombre d’espèces vivantes. Il faut savoir que d’ores et déjà, 97 % des tigres ont été éliminés depuis le début du XXe siècle.
Pour évaluer l’impact de l’humanité sur la planète, nous disposons aujourd’hui d‘un outil assez performant : il s’agit de l’empreinte écologique. Celle-ci est en moyenne de 2,7 hectares par personne, c’est-à-dire que nous utilisons 2,7 hectares pour notre consommation et l’absorption de nos déchets, et ce alors que nous ne disposons que de 1,8 hectares par personne, qui correspondent à la biocapacité moyenne individuelle.
La question qui vient à l’esprit est évidemment la suivante : comment est-ce possible ? Comment peut-on consommer plus que ce qui est produit par la planète ? Eh bien, tout simplement, en prélevant au-delà de ce qui est renouvelable, en puisant de façon inconsidérée dans le capital de la Terre : par exemple nous vidons les océans de leurs poissons, nous asséchons les nappes phréatiques ou encore nos augmentons la concentration de CO2 dans l’atmosphère…
Si l’on fait le rapport entre la biocapacité et l’empreinte, on peut alors dire la chose suivante : en ressources renouvelables, la planète ne dispose que des 2/3 de nos besoins. Dès lors, si l’on applique ce ratio à notre effectif actuel de 7,2 milliards, on peut en conclure qu’avec le style de vie moyen que nous avons actuellement, la population maximale que peut accueillir la planète de façon relativement durable est égale aux 2/3 de ces 7,2 milliards, c’est-à-dire 4,8 milliards d’habitants seulement !
Si l’on rapproche enfin ces 4,8 milliards des 9,6 prévus en 2050 et que j’ai cités au début, on peut dire qu’à cette date, si nous n’avons toujours pas changé notre comportement, nous serons alors exactement 2 fois trop nombreux !
On regarde maintenant l’évolution de l’empreinte et de la biocapacité depuis le début des années soixante. On remarque tout de suite que, dès 1970, les deux indicateurs se sont croisés. C’est à partir de ce moment là que nous avons commencé à utiliser plus d’une planète. Le dépassement s’est ensuite accentué, non pas tant à cause de l’empreinte que de la baisse de la biocapacité.
Ce graphique, qui indique l’évolution de l’empreinte écologique et de la biocapacité, montre effectivement cette baisse inexorable de la biocapacité individuelle, mais il montre aussi au passage que, depuis quarante ans, le « dépassement écologique » auquel on aboutit aujourd’hui est dû en priorité à la baisse de la biocapacité individuelle et donc, in fine, à l’augmentation de la population mondiale.
Il a été dit plus haut que nous serons 2 fois trop nombreux en 2050. On pourrait néanmoins trouver une solution en baissant notre mode de vie. Pour cela, dans les 36 ans qui nous séparent de 2050, il nous faudrait le diviser par deux. Mais cela ne pourrait raisonnablement pas se faire de façon uniforme, puisque ce mode de vie est très inégalitaire…
Pour voir un peu où cela nous conduirait, admettons ce que l’on entend souvent, à savoir que 20 % des humains vivent avec 80 % des ressources de la planète. Bien qu’ils portent a priori sur la répartition, on va voir que ces pourcentages en disent aussi beaucoup sur la question des effectifs.
En effet, si l’on veut simplement atteindre un mode de vie égalitaire, ce ratio 20/80 implique une division par quatre de l’utilisation des ressources au Nord en espérant, par un système de vase communiquant (tout à fait aléatoire), multiplier par quatre celle du Sud.
Ça ne sera déjà pas une mince affaire que de faire accepter cela aux populations occidentales qui sont loin de vivre dans l’opulence pour au moins la moitié d’entre elles. Mais admettons que cela soit possible : on aura alors résolu la question « morale », mais pas la question écologique qui restera pleine et entière, puisque la consommation globale restera inchangée.
En effet, on vient de voir qu’il faut diminuer la consommation globale par 2. Et donc, il va encore falloir pratiquer une nouvelle division par 2 qui conduira au final une division par huit de celle de départ des occidentaux pour une simple augmentation par deux de celle du Sud.
Ce que montre cette rapide évaluation, c’est que nous en sommes arrivés à un tel niveau de population, par rapport aux ressources finies de la Terre, que l’entreprise paraît utopique et peu rentable.
Ce qui ressort aussi de ces calculs, c’est l’erreur historique qui a consisté à laisser filer la démographie depuis les années 70 du siècle dernier, où l’alerte avait pourtant été lancée par le Club de Rome, le rapport Meadows et même René Dumont, père spirituel des écologistes français et qui se sont empressés par la suite d’oublier cet aspect, pourtant fondamental, de la question écologique…
Il existe évidemment une solution complémentaire, qui serait profitable pour l’ensemble des humains, qu’ils soient du Nord ou du Sud, et qui consisterait à stabiliser la population au plus vite, et à la faire décroître ensuite en douceur.
On pourrait par exemple se caler sur la projection basse de l’ONU (en vert), ce qui nous ramènerait, en 2100, légèrement au-dessous du niveau de la population actuelle. On voit qu’alors le gain de population serait de quatre milliards : quatre milliards en moins, cela correspondrait à près de 40 % de consommateurs-pollueurs en moins par rapport à ce qui est annoncé : les bénéfices en terme écologiques et de niveau de vie seraient tout à fait appréciables.
Ceci étant, si la question de la surpopulation est d’abord mondiale, elle est parfois encore plus préoccupante au niveau local.
On peut citer plusieurs «points chauds» avec en tête le Bangladesh qui, dans 36 ans, aura une densité de population qui, si elle était identique ici en France, nous conduirait à être 774 millions, chiffre tout à fait astronomique ! Ce pays est suivi du Burundi, du Rwanda, d’Haïti et des Philippines, dont des densités équivalentes, comme on peut le voir, nous amèneraient à être excessivement nombreux.
On peut néanmoins objecter avec raison que ces pays sont plus petits que le nôtre et que l’extrapolation ne se justifie pas pleinement : en effet, ceux-ci ne seraient somme toute qu’une province française plus ou moins étendue.
Il n’en va pas de même pour les trois pays en majuscule (sur la diapo ci-dessous), à savoir l’Inde, le Nigéria et le Pakistan, qui sont tous plus grands que le nôtre : avec des densités équivalentes aux leurs, nous serions aux alentours de 260 millions en 2050. Dans le cas indien, il faut imaginer une France de 278 millions d’habitants, entourée de cinq autres pays tout aussi surpeuplés : qui peut croire que nous conserverions alors un quelconque bien-être ? Et pourtant les habitants de ces pays vont devoir « faire avec ».
On peut enfin citer le cas apocalyptique de l’Egypte, constituée essentiellement de déserts, et dont l’équivalent de « densité de vie » nous conduirait à être alors plus d’un milliard…
Il ne faut néanmoins pas rêver, même en prenant des mesures douloureuses en terme de niveau de vie et des mesures non-coercitives en ce qui concerne la natalité, du fait des processus physiques déjà enclenchés, nous ne parviendrons pas à stopper l’avalanche des maux environnementaux, sociaux et humanitaires qui s’apprête à nous tomber dessus.
Tout au plus peut-on dire que la situation sera moins pire. Bien moins pire en tout cas que celle qui nous attend si nous nous contentons des seules pistes actuellement envisagées par la communauté internationale.
C’est donc pourquoi notre association, Démographie Responsable, ainsi que celles qui œuvrent dans le même sens dans le monde anglo-saxon, appellent l’ONU, via la promotion de la famille restreinte, à décréter l’état d’urgence démographique.
NDLR : pour agrandir les diapos, il vous suffit de cliquer dessus.