Le rapport du GIEC sur le changement climatique (presque) zappé par les grands médias français

 


par Laurent Samuel,
Vice-Président des JNE

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Des « risques de conflits violents » avec « une aggravation des facteurs classiques que sont la pauvreté et les chocs économiques ». Dans le troisième volet de son rapport sur le climat mondial, consacré à « l’atténuation du changement climatique » *, rendu public le dimanche 13 avril 2014 à Berlin. le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) nous livre une vision de l’avenir bien sombre, avec des pénuries alimentaires à redouter et des risques de maladies accrus. Pour éviter ce scénario noir, le rapport du GIEC, fruit du travail de plusieurs milliers de scientifiques et approuvé par les représentants des Etats du monde entier, prône une « révolution économique », avec une multiplication par 3, voire 4, d’ici à 2050 du recours aux énergies « non carbonées » (dont l’atome, mais avec de sérieuses réserves à son égard, lire l’excellent article de Valéry Laramée de Tannenberg sur le site du Journal de l’Environnement).

 

Un constat et des propositions qui méritent une large information et un débat public. Hélas, les médias français sont restés bien discrets à son sujet. Alerté dimanche après-midi par un premier article sur le site du Monde, on se branche sur BFM TV, qui ne souffle mot de ce rapport dans son édition de 18 h. Même silence radio – bravo, le service public !- dans le 19-20 de France 3 et dans le 20 h de France 2 (qui attendra le lendemain soir pour évoquer ce rapport en prélude à un sujet sur l’hydrogène). De son côté, TF1 profite de l’occasion pour diffuser dans son 20 h de dimanche un sujet documenté sur le bouleversement climatique, sans rapport direct toutefois avec le contenu du rapport.

 

Le lendemain, la consultation des unes de la presse quotidienne nationale (et de celle de la région Aquitaine) nous conduit à un triste constat : aucun titre n’a jugé l’information suffisamment importante pour la « monter » en première page. Libération, qui a préféré titrer « Droguez-vous avec modération » (non, ce n’est pas une parodie !) pour évoquer une étude sur la consommation de substances illicites en Europe, relègue ainsi le rapport du GIEC en page 16 avec un court article. Dans Sud-Ouest, habituellement ouvert sur les questions d’environnement, la sortie du rapport est carrément zappée. Pourtant, le sujet intéresse les lecteurs, puisque l’article du Monde cité plus haut était lundi matin (pas pour longtemps car sur le net comme sur les chaînes info un sujet chasse l’autre…) le plus partagé par les internautes fréquentant le site de ce quotidien…

 

Le 31 mars dernier, la publication du deuxième volet du rapport du GIEC était passée encore plus inaperçue dans les médias français. Au lendemain du second tour des élections municipales, les chaînes et sites d’info étaient polarisés sur les rumeurs relatives au remaniement ministériel Assurément, l’avenir de la planète était ce jour-là moins important que celui de Mmes Duflot ou Royal, et de MM. Ayrault, Valls ou Canfin (un ancien JNE que l’on salue au passage ! )…

 

Bref, en dehors des périodes de tempêtes et d’inondations, où les sujets foisonnent, la question du réchauffement n’est pas (ou plus) considérée comme prioritaire par les grands médias français. Le 27 septembre 2013, ni BFM ni iTélé ni LCI ni France 24 n’avaient jugé bon de diffuser en direct la conférence de presse du GIEC qui présentait le premier volet de son rapport. Pour la suivre, il avait fallu se brancher sur BBC World News.

 

Lassitude après les échecs des conférences internationales sur le sujet (en particulier le sommet de Copenhague, sur lequel trop d’espoirs avaient été placés) ; impact persistant de la crise économique ; retour en force des «climato-sceptiques», que certains médias se croient obligés d’inviter par souci d’« équilibre » ; tendance du « tout info » à privilégier l’actu immédiate au détriment du long terme… Les causes de cette situation, spécifiques à la France, sont à coup sûr complexes et devront être analysées.

 

Alors que notre pays se prépare à accueillir le sommet climatique de 2015, c’est en tout cas le devoir des journalistes spécialisés en environnement que de tirer la sonnette d’alarme et de lancer le débat sur le traitement médiatique de ce sujet capital, ce que notre association s’efforcera de faire dans les prochains mois en coopération avec nos amis de l’AJE (Association des journalistes de l’environnement)….

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Rédacteur en chef du site des JNE, Laurent Samuel collabore à Media Pep’s, qui publie la lettre Options Futurs. Cet édito n’engage que son auteur.

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* L’atténuation désigne les technologies, techniques ou comportements dont la mise en œuvre permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

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