Un Droit pour l’animal

Si la protection animale suscite bien des passions dans le monde, c’est qu’elle est un révélateur de la dignité humaine qui a fait dire à Gandhi : « On peut juger de la grandeur et du degré d’évolution morale d’une nation à la façon dont elle traite les animaux ».

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par Michel Cros

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Michel Cros en bonne compagnie – photo LH

 

Certains pays européens l’ont d’ailleurs bien compris, à commencer par le Royaume Uni, la Finlande et la Suède, où l’animal jouit désormais d’un statut à part entière dans le droit civil en tant qu’être sensible. Alors, pourquoi, en Europe, la France en tête, suivie étroitement de la Belgique et du pack méditerranéen, rechignent-ils à octroyer un tel droit à l’animal ?

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« Traditions culturelles » à sauvegarder, avec la corrida en poupe, alors qu’elle n’attire plus que des touristes et une poignée d’aficionados (plus de 70 % des Français sont contre).

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« Traditions culinaires » à protéger, avec notamment le fameux foie gras pourtant interdit dans plusieurs pays européens, dont l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark, la Finlande, la Suède, la Norvège, l’Irlande, le Royaume-Uni, l’Italie, la République Tchèque, l’Argentine et Israël ou certains Etats comme la Californie qui a interdit sa production sur son territoire (mais la vente sur internet continue !).

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A noter une petite avancée française, à travers la convention européenne de 1999, qui recommande par son comité permanent, des recherches sur le bien-être de l’animal, voire des alternatives au gavage.

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« Tradition pécuniaire », car en ces temps de vaches maigres, se faire du fric sur le dos des animaux, ça rapporte !

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Et c’est là que la révision du droit animalier prend tout son sens et sa valeur, car cataloguer un être animé en tant que mobilier à vendre, comme c’est toujours le cas dans la juridiction française(alors que celui-ci respire, se nourrit, souffre, peut tomber malade et mourir d’une maladie), n’a pas de sens. A-t-on déjà vu une chaise hurler ou galoper ?… Oui peut-être, dans La Grande Vadrouille (où la comédie cinématographique de Gérard Oury sonne le glas de la barbarie nazie) quand les officiers allemands, rassemblés pour le dîner dans une auberge, enfourchent leur chaise pour une tournée bucolique autour de la table.

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Mais trêve de plaisanterie, si ces temps-là sont dépassés, n’oublions pas que des voix se sont déjà élevées dans le passé dans notre société un peu trop cartésienne.

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Comme Voltaire qui, paraphrasant Porphire, considère les autres animaux comme nos frères car, tout comme nous, ils sont vivants et sont dotés des mêmes principes de vie, des mêmes sensations, des mêmes émotions, car tout comme nous, ils ont la mémoire et l’activité. Ils ne leur manque que la parole. S’ils pouvaient nous parler, oserions-nous les tuer et les manger ?

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Oserions-nous commettre ce fratricide ?

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Reconnaître un tel droit d’exister à l’animal ne l’empêchera certes pas d’être encore maltraité comme c’est hélas toujours le cas pour l’être humain, malgré l’essor des droits de l’homme dans certains pays. Mais tout comme citoyen lambda, il aura un droit reconnu par une identité juridique dans la société.

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Lui reconnaître un droit juridique en tant qu’être sensible se révèle bénéfique tant au niveau sociétal qu’économique.

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Les conséquences désastreuses de l’industrialisation de l’animal sur l’environnement ne sont plus à prouver et il est indécent de présenter encore en France des projets comme « la Ferme des 1000 vaches », quand on connaît les limites sanitaires sans parler des nuisances sur la population avoisinante.

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L’empathie pour la cause animale est devenue mondiale et va désormais de pair avec la défense de l’écologie, qui en détermine de ce fait sa « valeur marchande » en fonction de sa rareté. On se déplace de loin pour voir tel animal en danger de disparition, mais une fois en captivité, l’animal sauvage peut perdre son droit juridique, comme c’est le cas en Asie.

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Là encore, les inégalités sont multiples et le code juridique flou, voire contradictoire selon les pays.

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Songsong Shen, diplômée de la Faculté de Droit de l’Université de Limoges, sous la direction du Professeur Jean-Pierre Marguénaud, s’en explique dans le dernier numéro de la RSDA (Revue Semestrielle de Droit Animalier) qui présente un dossier thématique consacré à la Chine : «  La présentation des nombreux animaux sauvages en captivité – dans des parcs animaliers et des jardins zoologiques – et le peu de textes sur la question cachent la vraie raison de leur captivité et la puissance de certains lobbies […] En droit chinois, dès que les animaux perdent leur liberté, ils perdent leur statut juridique et leur régime de protection d’animal sauvage ».

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Un pays comme la Chine, qui protège, de par sa loi de 1988, certaines espèces sauvages en liberté, voit se multiplier les réserves ou fermes animalières, sous prétexte de protection animale, mais en réalité motivées par l’exploitation des animaux. On peut même voir, dans certains cas, le juge accorder un statut disproportionné du bien que peut-être l’animal par rapport au statut de l’homme.

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L’exemple en est donné avec la lourde condamnation d’un ouvrier d’un zoo certes pour avoir empoisonné des espèces protégées par l’Etat, maintenues en captivité, mais surtout du fait de leur valeur mobilière.

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Un autre exemple plus récent de quelques mois seulement, présente par contre, la non-condamnation d’un étudiant, ayant pourtant mis en péril la vie d’ours protégées en captivité dans un zoo par jets d’acides, car il appartenait à une prestigieuse université chinoise.

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Il est intéressant de noter dans ces deux arrêts, que le statut des deux prévenus est un facteur important. « Le point le plus fondamental est cependant l’incapacité du juge à prendre en compte la souffrance de l’animal, manifeste aussi bien pour les animaux empoisonnés que ceux agressés à l’acide. Seul le préjudice de la dégradation d’un bien propriété du zoo est considéré par le juge », précise la jeune chercheuse en science juridique.

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Droits de l’homme et droits de l’animal s’en retrouvent concurrents, alors que les récentes découvertes scientifiques, sur ce qu’on appelle désormais le lien (relation entre cruautés sur animaux et violences aux personnes), prouvent leur complémentarité.

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Il est primordial d’en légiférer internationalement les limites, afin d’éviter tout débordement de part et d’autre et d’en condamner les abus.

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Une voix s’élève contre les animaux de cirque et de combat, la chasse à courre ou les courses de lévriers, la vivisection, les trafics de fourrures, bref contre toute souffrance non naturelle appliquée à l’animal. C’est la voix du citoyen, d’un peuple uni dans cet élan de dignité humaine qui nous interpelle à la cause animale.

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Peut-être, parce que ce monde animalier nous est plus familier qu’on ne pourrait l’imaginer et sa mise à l’écart (pour ne pas dire sa mise en boîte) est révélatrice d’un syndrome beaucoup plus profond : la peur de l’animal en nous !

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Pourtant, cette différence de l’autre n’a pas été toujours ainsi et nombreux sont les témoignages de peuples premiers qui respectent les animaux, même s’ils doivent de temps en temps s’en nourrir pour ne pas mourir de faim. Certaines peuplades défendent jusqu’à leur mise à mort sous prétexte de protéger la transmigration de l’âme de leurs ancêtres dans l’animal.

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Face à un tel héritage historique, et aux dires des dernières publications des chercheurs qui prouvent l’aptitude de l’animal à ressentir et à souffrir – voir l’article du Pr Gregory Berns « Les chiens sont aussi des personnes« , paru dans le New York Times (les chiens auraient le même niveau de conscience et de sensibilité que les jeunes enfants) – notre civilisation moderne se doit de revoir notre relation aux animaux pour le respect des générations futures qui nous questionneront un jour sur nos actes. Car on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas !

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Après l’abolition de l’esclavage en Amérique du Nord par Abraham Lincoln à la fin du XIXe siècle, la fin de l’apartheid en Afrique du Sud par Nelson Mandela à la fin du XXe siècle, y aura-t-il un droit animalier unique et reconnu à l’échelle planétaire en ce début du XXIe siècle ?

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L’utopie est permise, et l’homme a tout à gagner dans cet ultime combat tant au point de vue écologique qu’éthique

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Cet article est également en ligne sur le site Humanetterre

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Songsong Shen est titulaire d’un Master II de droit privé général et européen de l’Université de Limoges. Contact : woaiqingwa@hotmail.com

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RSDA : Revue Semestrielle de Droit Animalier dirigée par le Professeur Jean-Pierre Marguénaud qui lance, dans son dernier numéro, un appel pour fédérer toutes les associations à la protection animale :

http://www.collieandsheltie-rescue.sheepdog.eu/index.php/post/2013/07/20/SOUTIEN-%C3%80-LA-PROPOSITION-DE-R%C3%89FORME-DU-STATUT-JURIDIQUE-DE-L%E2%80%99ANIMAL

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Cette Revue est téléchargeable gratuitement ici.

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Voir aussi la « Déclaration de conscience des animaux de l’Université de Cambridge » qui atteste, grâce aux travaux scientifiques confirmés par d’éminents chercheurs mondiaux,  que les animaux non-humains tels que mammifères, oiseaux et également plusieurs autres espèces possèdent également des substrats neurologiques qui leur permettent d’avoir accès à une conscience.

 

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