Michel Rocard à Ménigoute

L’ancien Premier ministre, 83 ans, a été invité le 31 octobre 2013 au Festival international du film ornithologique de Ménigoute (Deux-Sèvres) pour parler de sa mission de diplomate des pôles. Il s’est révélé un très bon connaisseur du sujet et un homme réellement soucieux du réchauffement climatique.

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par Roger Cans

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menigoute-2013« Quand j’avais huit ou dix ans, je rêvais d’être photographe animalier », a dit d’emblée Michel Rocard, pour s’attacher le public venu très nombreux à sa conférence. Mais il a aussitôt abordé sa mission d’ambassadeur de France pour les zones polaires, qui sont au nombre de trois : l’Arctique, l’Antarctique et la chaîne himalayenne. Le pôle Nord, c’est un océan presque fermé, profond (3.200m), que les Russes ont matérialisé en déposant au fond un drapeau à leur marque. Il est bordé par cinq Etats riverains : Les Etats-Unis (par l’Alaska), le Canada, le Danemark (par le Groenland), la Russie et la Norvège. L’Antarctique, à l’inverse, est un continent de 14 millions de km2, inhabité, géré sans drame par la communauté internationale.

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L’Océan Arctique a connu une activité baleinière durant 150 ans, jusque dans les années 1960. En 1903-1904, il avait été survolé pour la première fois par le Norvégien Amundsen et l’Italien Nobile. Le 9 février 1920, le traité de Paris crée la Société des Nations (SDN) et précise que le Spitzberg (une île de l’archipel norvégien appelé Svalbard) jouira d’une protection internationale. Mais il n’est rien dit sur l’exploitation de la mer. La souveraineté norvégienne se heurte donc aux pêcheurs venus d’Irlande, d’Islande et d’Espagne.

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Avec le réchauffement climatique, le permafrost (ou pergélisol en français) se met à fondre sur le littoral canadien et sibérien, ce qui provoque l’affaissement des villages littoraux et les premiers « exilés climatiques ». Il s’agit d’une population totale de 4 millions d’habitants, dont 400.000 autochtones. On les appelait Eskimaux, ce qui signifie « mangeurs de viande crue », mais ils se font appeler aujourd’hui Inuits, les « hommes libres ». En Norvège et Russie du Nord, il s’agit de Lapons, que l’on nomme aujourd’hui Samis. En Sibérie, on trouve entre autres des Yacoutes et des Samoyèdes. Ces peuples sont donc aujourd’hui menacés de disparition. Autrefois, ils chassaient le phoque en kayak, un kayak personnalisé à la taille du chasseur, qui pouvait donc se retourner sans prendre l’eau. Une technique précise qui s’est perdue. Aujourd’hui, les 55.000 habitants du Groenland ont l’ADSL et passent leur temps à pianoter !

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Le réchauffement climatique ne menace pas seulement les ours polaires, mais tous ceux qui se trouvent au bord de l’Océan Arctique. Le protocole de Kyoto a été refusé par les Etats-Unis, la Russie et l’Arabie Saoudite. La Chine a promis de faire quelque chose, mais sans contrôle extérieur. Le gouvernement de Washington refuse de signer tout traité qui n’a pas été ratifié par le Congrès. Ils ont aussi refusé la Cour pénale internationale, pour la même raison.

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L’Océan Arctique fascine tout le monde, aujourd’hui, pour de multiples raisons. On estime que s’y trouve 30 % du gaz et 13 % du pétrole. Mais les recherches ont été arrêtées après la catastrophe de la plate-forme du golfe du Mexique. Total a annoncé que le groupe n’ira pas. Pour l’Antarctique, on a dénoncé la convention de Wellington de 1988 qui prétendait régler l’exploitation du continent blanc. Une affaire réglée. Même les Russes, qui sont très en pointe sur les recherches scientifiques avec leur station polaire, acceptent de s’en tenir là. En 1987, Gorbatchev l’avait dit dans son discours de Mourmansk, repris ensuite par Eltsine.

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Où en est-on aujourd’hui ? Un Conseil de l’Arctique a été créé à Ottawa le 17 septembre 1996. Il comprend les cinq pays riverains, plus la Finlande, la Suède et l’Islande. Mais ce Conseil se réunit deux heures par an, alors que la Convention Antarctique travaille huit jours par an. Et ces deux heures sont purement protocolaires, car les peuples autochtones, invités à titre décoratif, accaparent la tribune et multiplient les remerciements. La route polaire, qui pourrait pourtant être empruntée par la moitié du trafic maritime, ne les concerne pas. L’Union européenne n’y est pas conviée car elle est punie pour l’affaire des bébés phoques.

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Le problème N°1, aujourd’hui, est donc la pêche. On nous annonce un monde sans poisson en 2050. Or on n’a encore jamais pêché dans l’Océan Arctique, car c’est nouveau. Il n’y a donc aucune organisation à cet égard.

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Le problème N°2, c’est la navigation. On peut théoriquement relier directement Anvers et Rotterdam à la côte ouest des Etats-Unis et à l’Asie. C’est surtout vrai pour les cargos géants qui ne pourront pas emprunter le canal de Panama. Mais comment envisager la navigation sur une route de 7.000 km sans phares ni balises, sans poste de secours, sans carte des fonds et sans port relais ? Pour l’instant, la route sibérienne est la seule praticable, avec l’aide des brise-glace russes à propulsion nucléaire.

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Conclusion de Michel Rocard : même si l’Océan Arctique continue à se réchauffer, on n’est pas près d’y naviguer, d’y pêcher ni d’y extraire gaz ou du pétrole.

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Cliquez ici pour visionner  l’interview de Michel Rocard par Catherine Levesque et Marc Giraud (tous deux JNE) sur la Mainate TV du Festival international du film ornithologique de Ménigoute (Deux-Sèvres)

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