Sans que nous nous en rendions tout à fait compte, l’automobile, « puits sans fond énergétique d’où sort une montagne de CO2 », est en passe de perdre sa place centrale dans les sociétés occidentales. C’est ce que montre Frédéric Denhez, écrivain et conférencier spécialisé sur les sujets d’environnement et de changement climatique, dans ce livre riche en informations et en analyses stimulantes. Comme preuve de cette perte de position dominante, l’auteur cite le fait que, depuis une dizaine d’années, les ventes s’effondrent, les primes à la casse et autres cadeaux fiscaux ne ménageant que des embellies passagères. Pour autant, le moteur à explosion a encore de beaux jours devant lui. Et cela pour plusieurs raisons. D’abord, les achats d’automobiles continuent à progresser dans les pays du Sud. Ensuite, aucune des alternatives techniques à notre bonne vieille voiture à carburant liquide ne tient la route, qu’il s’agisse du véhicule électrique (au bilan écologique et énergétique peu brillant même s’il est alimenté au « renouvelable ») ou à hydrogène (l’hybride peut en revanche constituer une bonne solution en ville). Enfin, chez nous, la voiture individuelle reste irremplaçable dans les zones rurales à habitat peu dense, où les « TC » (transports en commun) ne peuvent pas aller.
Si la voiture perd ainsi son « monopole » (Ivan Illich, dont le petit livre « Energie et Equité » paru en 1973 ne figure pas dans la bibliographie, parlait quant à lui de « monopole radical »), ce n’est pas, ainsi que les plaintes des automobilistes pourraient le laisser croire, à cause de la hausse du prix des carburants. Chiffres à l’appui, Frédéric Denhez nous montre qu’en euros constants (tenant compte de l’évolution des revenus et du pouvoir d’achat), le coût au litre a en réalité baissé. En revanche, l’entretien, les réparations, le stationnement grèvent de plus en plus le budget de l’automobiliste. A quoi il faut ajouter le temps perdu dans les encombrements et les conséquences pour notre santé de la pollution automobile. A cet égard, le choix français de privilégier le diesel, imposé par Jacques Calvet, ex-patron de Peugeot, aux gouvernements successifs, s’est révélé une catastrophe, que Frédéric Denhez dissèque dans un long chapitre très argumenté.
Pour faire face à l’impasse du « tout-auto », les particuliers, les collectivités locales et les entreprises multiplient les initiatives, que notre auteur passe en revue dans la dernière partie de son livre. Il salue en particulier la percée du covoiturage ou de l’autopartage, ainsi que les dispositifs de limitation de la vitesse des voitures en ville car, contrairement au sens commun, on perd moins de temps en roulant moins vite (dans certaines limites, car la généralisation des « zones 30 » serait contre-productive).
Mais pour contrecarrer l’étalement urbain dont la voiture a été depuis 50 ans l’un des instruments, il s’agirait avant tout de revoir de fond en comble nos politiques d’aménagement du territoire. De ce point de vue, les « TC » (trams, bus et autres trains) peuvent jouer un rôle décisif. A condition de faire un sérieux effort sur l’accueil et l’information des usagers, trop souvent réduits à l’état d’ « analphabètes du transport » par des plans illisibles et une signalétique incompréhensible. D’où le concept de « mobilité courante », que le sénateur Krattinger détaille en ces termes : « Il faut que toute personne qui a envie d’aller d’un point à un autre puisse avoir l’information suffisante pour qu’elle le fasse avec n’importe quel moyen de transport, un seul ticket, un paiement unique. » Dans cette perspective, Frédéric Denhez vante le Sismo (Système intégré des services à la mobilité ) du département de l’Oise, qui propose une information permanente des voyageurs par tous médias (smartphones en particulier) et une billetterie «intermodale» (pas besoin de racheter un ticket quand on change de moyen de transport), le M-ticket unique mis en place à Nantes, que l’on peut acheter sur son portable, ou encore le post-paiement expérimenté à Tours, Belfort ou Angers.
Dans sa conclusion, Frédéric Denhez souligne ce paradoxe : la fin du règne sans partage de la voiture, longtemps symbole de liberté et d’épanouissement individuel (écoutez donc « Racing In The Street » de Bruce Springsteen, cité en exergue par l’auteur…) avant qu’elle nous enchaîne dans son cortège de bouchons et de gaz d’échappement, pourrait favoriser notre individualité et nous rendre plus autonomes…
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Editions Actes Sud, 228 pages, 22 € – www.actes-sud.fr
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(Laurent Samuel)