« Un pas en avant, deux pas en arrière » : à y regarder de plus près, cette formule de Lénine – écrite dans des conditions absolument différentes – va comme une paire de gants aux journées d’études sur le gaz de schiste tenues les 17 et 18 septembre à Alger.
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par M’hamed Rebah
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Le pas en avant, vers le gaz de schiste, évidemment, c’est le ministre de l’Energie et des Mines, Youcef Yousfi, qui a donné l’impression de le faire, dans le discours d’ouverture dont il a, faute de sa présence physique, honoré l’assistance. C’est un pas politique, à destination externe, et plus spécialement pour les multinationales, partenaires actuels ou futurs dans le domaine des hydrocarbures non conventionnels. Dans ce discours officiel lu par un collaborateur du ministre, il n’y a pas l’ombre d’une hésitation ou d’une réticence à l’endroit du gaz de schiste. Au contraire, le but est de rassurer sur les intentions et d’offrir, comme on le dit souvent, une « visibilité ». Pour le gaz de schiste, on sait où on va et on y va. Le ministre a été dans son rôle.
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Les deux pas en arrière paraissent bien plus réels, sur le terrain technique, pas forcément pour s’éloigner de ce bord de gouffre que semble représenter le projet gaz de schiste, par peur du précipice, non, mais au moins pour prendre du recul, pour mieux évaluer ce qu’il faut faire et ce dont il faut disposer pour s’en rapprocher sans risquer la chute fatale. Evaluer, tout est dans ce verbe. Les deux pas en arrière, les jeunes spécialistes de Sonatrach, qui ont travaillé sur le gaz de schiste dans tous ses aspects, les ont faits pour avoir une vue d’ensemble du problème que pose ce projet au-delà des apriori des uns et des autres.
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La dimension économique et ses aspects purement commerciaux ont été mis en évidence pour expliquer la pression des entreprises américaines qui cherchent à « placer » le gaz de schiste un peu partout en forçant la dose sur l’estimation des réserves et en minimisant les impacts de la fracturation hydraulique, seule technique d’exploitation en cours actuellement. Les impacts sur l’environnement et sur les ressources en eau, ont été brandis par les écologistes pour faire renoncer les pouvoirs publics à ce projet. Ces arguments qui frôlent l’idéologie demandent à être servis par la science, c’est-à-dire en impliquant de multiples façons toutes les disciplines qui interviennent dans le projet gaz de schiste. Sauf s’il s’agit de remettre un bout de désert à des étrangers pour qu’ils extraient des roches, qui se trouvent dans notre sous-sol, le gaz de schiste qu’ils vendraient sur le marché international.
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Mais cette exploitation, si elle intervient, doit revenir aux nationaux et ils doivent s’y entraîner. C’est le sens que les observateurs qui ont assisté aux journées d’études, ont donné aux interventions des jeunes spécialistes de Sonatrach et à leur insistance sur les facteurs « objectifs » : l’eau, le coût, la logistique, l’impact environnemental, le temps (celui du gaz de schiste), pour ne citer que ces grands chapitres dont chacun en ouvre d’autres puis d’autres encore… Quasiment toutes les disciplines scientifiques, géologie, génie mécanique, chimie, physique… y passent. Parce que c’est d’abord une affaire de science, ont voulu faire savoir les spécialistes qui ne sont, a priori, « ni pour ni contre ».
Il ne suffit pas de pondre une loi qui ouvre la voie à l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels et de produire un discours sur la transition énergétique qui justifie la démarche ; la mise en œuvre sur le terrain demande plus. Ce plus, les spécialistes de Sonatrach, et autour de Sonatrach – tous les instituts et centres de recherche – savent qu’il n’est pas encore disponible. On revient alors à ce qu’a dit le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, une des très rares fois où il a eu à parler de ce sujet : « une option pour le très long terme », horizon 2040, avait-il précisé. Et aussi le commentaire d’Abdelmadjid Attar, ancien président-directeur général de Sonatrach et ancien ministre des Ressources en eau, doublement compétent pour en traiter : « Ce n’est pas rentable à l’heure actuelle ». Enfin, Nazim Zouiouèche, ancien P-DG de Sonatrach lui aussi : « rester en veille », suggérant de s’y préparer.
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Oui, l’Algérie songe au gaz de schiste … pour demain, 2040, et se met au charbon, le plus tôt possible, aujourd’hui même. C’est le but de la visite de Youcef Yousfi dans la wilaya de Bechar (sud-ouest algérien), alors que la salle où se sont tenues les journées d’études sur le gaz de schiste résonnait encore des échos des interventions. La reprise de l’activité d’extraction de charbon dans la région à l’arrêt depuis près de cinq décennies est sérieusement envisagée. L’idée d’une nouvelle centrale électrique qui fonctionnera avec cette énergie est dans l’air. Sa concrétisation demandera beaucoup moins, en toutes choses, que l’aventure du gaz de schiste.
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Cet article est paru dans Reporters (quotidien algérien).
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