Il n’y a pas si longtemps, quand on évoquait la nature, il était question d’herbes folles, de marécages mystérieux et de forêts profondes. Et puis notre société a basculé, tout d’un coup. La nature est devenue la biodiversité, un terme technico-administratif qui marque la fin de toute sensibilité.
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par Jean-Claude Génot
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Les protecteurs de la nature farfelus sont devenus des gestionnaires sérieux d’une biodiversité comptabilisée et maîtrisée. La biodiversité est une ressource et la gestion un contrôle. Ont-ils conscience, ces gestionnaires, d’évoluer dans le monde du vocabulaire des financiers (la biodiversité est notre « capital » ; elle rend des « services écosystémiques ») et du management d’entreprises (chaque gestionnaire doit avoir en tête « l’évaluation de son action », appréhender « l’efficacité de la protection des habitats et espèces » et savoir en quoi sa mission a contribué « aux valorisations par les loisirs ou le tourisme »…). Expertise, performance, évaluation.
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Aux générations à venir qui s’intéresseraient encore à la finesse des libellules, à la beauté des oiseaux et à l’ambiance parfumée des tourbières, un seul conseil : fuir le métier de gestionnaire, c’est celui de manager comptable d’une « nature pour nain de jardin » (expression du naturaliste suisse Jacques Rime), gardien d’une nature muséographiée.
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Mais la plus étrange expression employée désormais par les technocrates de la nature, pardon de la biodiversité, est incontestablement celle de « réservoir de biodiversité »*. Une expression qui décrit la situation de la trame verte dans laquelle des coins de nature (les fameux réservoirs) sont censés être reliés entre eux par des corridors écologiques (dans la droite ligne des couloirs humanitaires dont on voit à chaque conflit la difficulté de les mettre en place pour sauver des vies…).
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On connaît les réservoirs d’eau et d’essence, bref de produits utiles aux besoins des hommes. Maintenant, il en est de même avec la biodiversité, devenue une simple ressource au service de la société, prête à servir. N’imaginez pas un seul instant que nos élites et nos gouvernants reconnaissent à la nature une valeur en soi. La nature doit passer par le filtre du tout économique et avoir la place qu’elle mérite : dans un petit coin pour nous servir plus tard. Non pas pour essaimer vers les autres territoires comme le croient naïvement certains écologistes, mais pour servir de réserve d’espace foncier quand tout sera bétonné. L’usage de tous ces termes empruntés au monde économique n’est pas un hasard. Notre société est majoritairement technophile et anti-nature, prête à tout artificialiser.
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Soyons résistant, ne laissons pas les gestionnaires mettre ce qui reste de nature sauvage et spontanée dans des réservoirs pour en faire une nature docile, obéissante et domestiquée. Car alors notre monde sombrerait dans la dépression et les troubles psychiques permanents.
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Mais ne soyons pas si dur, derrière cette planification spatiale technocratique se cache la volonté de mettre sous le vocable de « réservoir de biodiversité » des assemblages de milieux semi-naturels plus ou moins bien conservés (forêts, zones humides, prairies) qu’il faudrait prendre en compte lors de tout aménagement urbain ou d’infrastructure, à la manière des ZNIEFF (zones naturelles d’intérêt écologique faunistiques et floristiques recensées au niveau national). Tout cela figure dans un schéma régional de cohérence écologique (SRCE) issu des réflexions sur la trame verte et bleue.
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Dans les régions comme l’Alsace où ce SRCE est en voie d’être soumis à consultation des acteurs, on sent déjà tous les aménageurs s’opposer à toute contrainte supplémentaire alors que la nature vraiment protégée n’occupe que 2 % de la région. Nous sommes à la croisée des chemins : ou bien laisser la tendance lourde l’emporter et la nature va continuer de disparaître au profit des lotissements, des routes et des zones commerciales ; ou bien freiner l’avancée urbaine. Ce qui se joue aujourd’hui dans certaines régions est la fin d’une mort annoncée, celle de la nature sauvage, spontanée, débordante et autonome. Pour les productivistes de tout bord, pas question de changer de pratiques agricole, sylvicole ou autre pour obtenir une gestion intégrée du territoire et avoir de la nature partout. Là est l’incohérence écologique majeure de ce genre de schéma.
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* Tous les termes cités entre parenthèses proviennent de l’éditorial de la revue Espaces naturels n°42 avril 2103 signé du directeur de d’eau et de la biodiversité du ministère de l’Ecologie.
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