Voici le compte-rendu du petit-déjeuner JNE du 5 février 2013 avec Guillaume Sainteny, auteur de Plaidoyer pour l’écofiscalité (éditions Buchet Chastel)
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par Sara Sampaio
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Le principe du pollueur-payeur en question
Le principe pollueur-payeur peine à s’imposer, établit en premier lieu Guillaume Sainteny. Pourtant, il est « promu par l’OCDE et l’Union européenne », en d’autres termes il est « reconnu et accepté par l’économie de marché ». Son application se heurte à une question de fond : s’agit-il de faire payer à une entreprise l’impact social, économique, environnemental de son activité, ce qu’on appelle les « externalités » (*) ; ou s’agit-il de faire réparer un dégât spécifique ?
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La France, explique Guillaume Sainteny, « ne calibre pas ses taxes environnementales en termes leur impact social » (les externalités). Cela signifie qu’elle opte généralement pour des taux très bas. Il coûte ainsi moins cher aux entreprises de payer la taxe que de polluer ; « l’incitation à moins polluer est faible ».
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L’auteur de Plaidoyer pour l’écofiscalité cite l’exemple des NOx (les oxydes d’azote, polluants atmosphériques). La France taxait en 2008 la tonne de rejet de NOx à 45 euros. Elle a triplé ce montant à 145 euros après le Grenelle de l’environnement. Un bel effort, mais anodin comparé à celui de la Suède, qui taxe la tonne à 5.500 euros. Sans compter que si les pouvoirs publics voulaient corréler l’impôt aux nuisances réelles des NOx, ils devraient opter pour une taxe de… 7.000 euros par tonne. Par ailleurs, la France conserve le produit de sa taxe sur les NOx comme recette fiscale. La Suède, en revanche, le redistribue aux entreprises selon des modes différents qui privilégient tantôt l’emploi, tantôt la R&D, etc. Ainsi l’impôt ne grève pas la compétitivité des entreprises. Autre effet positif, « le nombre de dépôts de brevets liés à la lutte contre les NOx a fortement augmenté, les entreprises ayant constaté qu’il était moins coûteux de mettre des dispositifs anti-pollution que de payer la taxe ».
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Comment taxer efficacement les carburants ?
Difficile de parler d’éco-fiscalité sans parler de la taxe carbone. Guillaume Sainteny, rappelle qu’en France « le carbone est déjà taxé ». Une première fois par la TICPE, ou Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Energétiques (ex-TIPP), la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques ; et une deuxième fois par la TVA, au taux de 19,6 %, qui s’applique sur le prix majoré de la TICPE.
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Aujourd’hui, « on sait calculer ce que coûte un litre d’essence en termes d’externalités » (CO2, particules fines, bruit, etc.). Ces calculs montrent que l’essence est déjà « trop taxée en milieu extra-urbain et pas assez en milieu intra-urbain ». Pour Guillaume Sainteny, soit on décide d’une taxe carbone qui s’ajoute à la taxation existante (« taxe carbone additionnelle »), soit d’une taxe carbone qui s’ajoute ou se soustrait à la taxation en fonction des externalités plus ou moins négatives (« taxe carbone différentielle »).
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Se pose aussi la question des catégories professionnelles exonérées des taxes sur les carburants : agriculteurs, pêcheurs, transporteurs routiers. « Ces groupes trouvent facilement des relais dans la classe politique, en raison du cumul des mandats (le Sénat compte de nombreux représentants du monde rural) et du mode de scrutin par circonscription », souligne Guillaume Sainteny.
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Enfin, le Diesel. Ce carburant à l’origine de problèmes environnementaux et de santé publique (40.000 vies perdues par an liées à l’émission de particules fines) est plébiscité par les consommateurs en raison d’un coût à la pompe moins élevé. Pourtant, tout le monde y perd. Le consommateur est « floué » car pour que le surcoût de son véhicule Diesel à l’achat soit compensé par la différence de prix du carburant, « il faut qu’il roule 25.000 kilomètres par an », assure Guillaume Sainteny.
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L’Etat y perd aussi. Le Diesel étant moins taxé que l’essence (18 centimes de moins par litre), il est moins avantageux en termes de recettes fiscales. Dans le même temps, le nombre de véhicules Diesel augmente (ils représentent désormais 60 % du parc français), ce qui a pour effet de peser sur les recettes globales de la TICPE. De plus, depuis 2008, la consommation de carburant a cessé d’augmenter en France pour la première fois depuis l’après-guerre, en raison de la crise économique. Au final, les recettes fiscales énergétiques de l’Etat ont baissé, alors qu’elles représentent 75 % des recettes fiscales liées à l’environnement.
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Quelle transition énergétique ?
Si l’on veut faire la transition énergétique, il faut « augmenter le plus possible le prix des énergies fossiles et baisser celui des énergies renouvelables. Or toutes les décisions prises depuis juin 2012 vont dans le sens inverse car ce sont les choix sociaux qui prévalent » (**), rappelle Guillaume Sainteny.
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Il faut également « se demander quel objectif on poursuit. S’agit-il de trouver des rendements ou de modifier les comportements ? » Le gouvernement a annoncé 3 milliards d’euros de recettes d’éco-fiscalité dans la loi de finances 2014. « C’est donc un objectif financier et non incitatif, même s’il aura peut-être aussi des propositions incitatives. »
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La loi Brottes, par exemple. Votée en janvier dernier par les députés, elle pose le concept de la tarification progressive ***. « Pour certains, elle est anti-sociale », explique Guillaume Sainteny.« Il y a deux solutions : on peut supprimer la tarification pour les personnes en-dessous d’un certain niveau de revenus, mais ces personnes perdent toute incitation à faire des économies d’énergie. On peut aussi les faire payer tout en mettant en place un mécanisme de remboursement ; elles sont incitées à réaliser des économies d’énergie car elles doivent payer la taxe, mais elles ne sont pas pénalisées grâce au mécanisme de compensation. »
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Deux commissions ont été mises en place par la conférence sur l’environnement, avec des propositions précises « supposés émerger en mars » : la Commission sur le débat national de la transition énergétique et le Comité pour la fiscalité écologique. Pour Guillaume Sainteny, le second sujet serait logiquement à traiter par la première commission…
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La fiscalité locale, une potion catastrophique
Autre idée forte de Guillaume Sainteny, « la fiscalité locale est catastrophique pour l’environnement » car elle favorise l’étalement urbain. En résumé, plus une commune bâtit, plus elle perçoit de taxes : la taxe sur le foncier bâti, la taxe d’habitation, la taxe d’aménagement (ex-taxe locale d’équipement ou TLE, due à l’occasion d’opérations immobilières et destinée à financer les infrastructures), la taxe départementale pour le financement des conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement (TDCAUE), la taxe départementale pour les espaces naturels sensibles (TDENS), les permis de construire. Une commune qui choisit de ne pas artificialiser perçoit quant à elle la taxe sur le foncier non bâti. « C’est très injuste. Plus on construit, plus on a de l’argent. C’est un détournement du principe du pollueur-payeur, estime Guillaume Sainteny. Il faudrait que les taxes soient très élevées pour empêcher les constructions. En même temps, on a besoin de construire… »
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Ce problème pose le débat du « verdissement de la DGF, la dotation globale de fonctionnement » ****. Deux projets de loi en cours de discussion devraient permettre d’y revenir ; le projet de loi de décentralisation de Marylise Lebranchu et le projet de loi sur logement et urbanisme de Cécile Duflot.
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Le problème de fond est celui des valeurs locatives cadastrales, rappelle Guillaume Sainteny. Ces valeurs, qui servent de fondement aux taxes locales citées ci-dessus, ont été décidées en 1961 et sont « déconnectées de la réalité ».
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Quelles solutions ?
Guillaume Sainteny analyse les réussites de l’Allemagne en matière de fiscalité écologique (pp. 171-177 de son ouvrage). L’Allemagne, pays qui « chaque année pendant cinq ans a augmenté de 3 centimes par litre le prix des carburants; pays où l’électricité est à la fois chère et très compétitive ; pays qui a réussi à imposer une taxe poids lourds et une taxe sur les transports aériens. »
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Pour Guillaume Sainteny, une réforme fiscale en France consisterait à s’attaquer aux niches fiscales, à verdir la fiscalité existante et, en dernier recours, à créer de nouvelles taxes. « Pour l’instant, la France s’attache à faire exactement l’inverse. Il n’y a aucune avancée pour les deux premiers points. En revanche, on adore créer de nouvelles taxes écologiques lilliputiennes et très médiatisées », explique-t-il.
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Merci à la mairie du 2e arrondissement de Paris pour l’accueil de ce petit déjeuner.
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(*) En économie, les externalités ou « coûts externes » sont les coûts provoqués par un agent économique mais supportés par un autre. Il peut s’agir d’externalités positives ou négatives.
(**) Référence à la baisse temporaire des prix de l’essence mise en place par François Hollande en août 2012, deux mois après son arrivée à l’Elysée.
(***) Idée d’une tarification basse sur les premiers volume de gaz ou d’électricité consommés, et de plus en plus élevée au fur et à mesure que les volumes augmentent. «Passé un certain forfait de nécessité pour s’éclairer, pour se chauffer, plus on consomme, plus on paye», selon les explications de la ministre de l’Ecologie et de l’Energie Delphine Batho. La loi Brottes porte sur l’éolien et les énergies marines.
(****) Principale dotation de fonctionnement versée par l’Etat, véritable « pivot des relations financières entre l’État et les collectivités locales », selon la DGCL (Direction générale des collectivités locales).