par Laurent Samuel |
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Pour beaucoup de Français, même sensibilisés aux questions d’environnement, l’importance accordée par les associations écologistes au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, peut paraître excessive. Certes, comme c’est le cas pour tout grand projet, sa construction entraînerait quelques nuisances, mais n’est-ce pas un prix minime à payer compte tenu des bénéfices que cet aéroport entraînerait pour l’économie de la région et pour l’emploi ?
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Or, l’idée selon laquelle ce projet serait une manne économique a été récemment réfutée dans par deux hauts responsables de Fleury Michon, géant de l’agro-alimentaire. Pour eux, mieux vaudrait investir dans une Ligne à grande vitesse et des réalisations routières (bof…) plutôt que dans ce « projet d’un autre temps » répondant à « des modèles de pensée aujourd’hui dépassés ». « La France s’apprête (…) à investir plus de 500 millions d’euros directement dans l’aéroport – et plus de 2 milliards si l’on considère l’ensemble du projet, incluant les voies d’accès à cette nouvelle infrastructure – dans un projet qui risque, compte tenu de la hausse inéluctable du prix de l’énergie, de ne pas atteindre ces objectifs », note la Fondation pour la Nature et l’Homme dans un texte intitulé « la France n’a pas besoin d’un nouvel aéroport ». « La plate-forme de Notre-Dame-des-Landes est conçue pour accueillir 8 millions de passagers par an, soit un triplement du trafic actuel de l’aéroport de Nantes-Atlantique (c’est donc tout sauf un simple transfert, comme le prétendent certains défenseurs de la construction de cet aéroport) », ajoute la Fondation présidée par Nicolas Hulot. « Cela impliquerait donc une multiplication par 3 des émissions (de CO2 NDLR) là où il faudrait diviser par 2 ou par 4 ces mêmes émissions. »
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Contraire aux engagements gouvernementaux de lutte contre le réchauffement climatique, ce projet se trouve aussi en porte-à-faux par rapport à une autre priorité proclamée par François Hollande lors de la Conférence environnementale de septembre dernier : la défense de la biodiversité. Selon l’association Eaux et Rivières de Bretagne, « 98 % des terres concernées par le projet sont des zones humides de deux têtes de bassins-versants ». Une destruction désastreuse alors qu’à l’occasion de la Journée mondiale des zones humides du 2 février dernier, un rapport de plusieurs organisations (dont la Convention de Ramsar et le Programme des Nations-Unies pour l’environnement) révèle que la moitié de ces zones ont disparu de la planète depuis 1900… Les associations affirment aussi que le projet d’aéroport est contraire à la loi sur l’eau et ont engagé des recours en justice pour ce motif. En outre, il détruirait 2.000 hectares de terres agricoles, dont 130 hectares de bois. Or, l’urbanisation grignote déjà dans notre pays 60 000 hectares de terres arables par an (soit l’équivalent d’un département tous les dix ans). Par ailleurs, pas moins de 100 kilomètres de haies seraient éliminés. Pas malin à l’heure où, après les avoir éradiquées pendant des dizaines d’années, l’on a en effet résolu d’en replanter…
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Mais la façon dont ce projet a été porté par les pouvoirs publics met aussi en lumière le caractère obsolète et peu démocratique des enquêtes d’utilité publique. « L’enquête publique renvoie à la France rurale du XIXe siècle, une démocratie de notables, un univers consensuel. Elle ne marche pas dans une société aux enjeux complexes, avec des citoyens qui veulent s’impliquer ! », dénonce le philosophe Dominique Bourg dans le N° 3289 de Télérama. De même, le débat public, qui avait précédé l’enquête publique, était destiné à avaliser le projet et non pas à étudier des alternatives. Notre-Dame-des-Landes pointe donc l’urgence de mettre en pratique de nouvelles formes de démocratie participative, basées sur la défense des « biens communs » comme la qualité de l’eau ou de l’air, mais aussi la préservation d’un mode de vie ou le souci des générations futures. Une démocratie participative qui s’ébauche aussi dans la lutte contre le projet, proche comme l’a noté notre confrère Roger Cans sur le site des JNE, de celle des paysans du Larzac, avec le rôle central joué par les agriculteurs menacés d’expropriation.
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Le projet de Notre-Dame-des-Landes illustre ainsi à la fois les impasses de notre mode de développement économique et les insuffisances de notre démocratie. Serait-ce pour ces raisons qu’à en croire Nicolas Hulot, le président Hollande ne serait désormais plus très chaud pour ce projet ? En tout cas, la récente décision de la Cour de Cassation de repousser la demande de la société AGO (groupe Vinci) de rejeter immédiatement un pourvoi de plusieurs propriétaires menacés d’expulsion sur la zone du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes signifie que ces propriétaires ne pourront sans doute pas être expulsés avant plusieurs mois. Cela implique un report probable du début du chantier. Le temps – on peut rêver – de réexaminer l’ensemble du projet…
Cet éditorial, comme tous ceux de ce site, n’engage que son auteur.
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Retrouvez Laurent Samuel sur son Blog Planète.
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