Peur et haine de la nature, l’écocide permanent

Dans son « best seller », François Terrasson (NDLR : grande figure des JNE) nous expliquait que la peur était un des ressorts de la destruction de la nature.

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par Jean-Claude Génot

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François Terrasson a notamment montré que ce sentiment est véhiculé à travers la société par de nombreux moyens, depuis les contes et légendes jusqu’aux aménagements architecturaux en passant par la manière d’aménager la nature. D’ailleurs, qui parle encore de nature, puisque le mot a été détrôné par la biodiversité, un terme reflétant le triomphe de la technoscience, à savoir une vision réductrice de la nature impliquant une nécessaire intervention de l’homme avec une technicité identique à celle utilisée par ceux qui détruisent la nature en toute connaissance de cause.
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Terrasson nous avait prévenu dans son dernier livre : En finir avec la nature. Le pauvre n’avait pas tout vu et ce que nous vivons aujourd’hui est la parfaite illustration qu’il avait malheureusement raison.
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Le ton a été donné par l’ancien président (« l’environnement, ça suffit ! »), puis l’absence totale des questions écologiques dans la dernière campagne présidentielle a montré que les élites politiques ignorent la situation de la biosphère dont nous faisons partie. On a vu que le Grenelle de l’environnement a été capable d’instaurer une politique industrielle de la forêt, dernier refuge de nature. Cette politique va faire des dégâts dans de très nombreux massifs forestiers, alors que la forêt française est relativement jeune avec un volume moyen à l’hectare parmi les plus faibles d’Europe.

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Partout, les élus locaux s’en prennent à la nature et à ceux qui la défendent. Ainsi en Alsace, des présidents de communautés de communes ont demandé aux grandes collectivités (départements, régions) de ne pas soutenir financièrement Alsace Nature, la fédération des associations de protection de l’environnement, parce que cette dernière s’opposait à leur aménagement routier !

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L’actualité résonne des appels à la mort des loups, alors même que les chasseurs sont incapables de limiter les populations de cervidés en augmentation dans de nombreuses régions. Enfin, des élus locaux remettent en cause les missions fondamentales de certains parcs nationaux français, véritables « acquis écologiques » de la société française.

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Et personne dans la sphère publique pour rappeler l’intérêt général ni fonder une éthique de la nature que la société néo-libérale rongée par l’argent facile ne peut envisager. Nous nous éloignons de plus en plus de la réalité de la nature vivante pour fuir vers des mondes virtuels et un environnement de plus en plus artificiel où l’on fabrique de la neige en hiver, des plages à la ville et bientôt des insectes génétiquement modifiés (voir article dans l’Ecologiste n°38, 2012, pages 6-7).

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Tout cela se déroule dans le contexte d’une civilisation occidentale en pleine crise existentielle. Dans La haine de la nature, le philosophe Christophe Godin donne son point de vue sur la manière d’aborder cette crise qu’il estime être un état permanent du capitalisme : « son traitement par des moyens qui ne sont que techniques est sans issue ». L’auteur voit dans cette crise un moyen pour l’homme de libérer sa pulsion de mort par la puissance technique, et son constat place le problème de la relation entre l’homme et la nature sur un plan plus métaphysique : « La nature est vivante, et c’est peut-être cela qu’obscurément nous ne supportons plus ». Exagération d’un philosophe par ailleurs peu connaisseur des questions de nature ? Je ne le pense pas. En tant qu’écologue de terrain, combien de fois n’ai-je pas entendu prononcer des termes qui sous-tendent ce que je considère comme un écocide permanent.

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La nature est un souffre douleur constant de nombreux humains, pour qui elle n’est que « cochonnerie, vacherie et saloperie » (termes maintes fois prononcés par des agriculteurs, des forestiers, des jardiniers, des gens de tous les jours). Ces termes sont couramment utilisés par des personnes qui ne voient la nature que comme une « saleté » à éliminer de toutes les façons possibles.

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La déclinaison de cette déqualification de la nature est variée. C’est la friche qu’on accuse d’être un cancer dans le paysage, c’est la ronce ou le lierre que l’on voit comme une peste végétale, c’est le prédateur que l’on accuse d’être un nuisible. Cette diabolisation de la nature est fondée sur la peur car l’homme craint ce qu’il ne peut pas contrôler, mais aussi sur sa propre peur de la mort, alors que la nature est perçue comme éternelle.

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Cette attitude peut expliquer cet écocide permanent qui se passe sous nos yeux à l’échelle locale et mondiale. Comment croire qu’un être humain sensible aux beautés de la nature puisse drainer un marais, mettre de l’herbicide sur un coin d’herbes folles, brûler une friche, empoisonner un renard, abattre un arbre vénérable, arracher une haie, broyer du bois mort, jeter des déchets solides ou liquides en pleine nature, canaliser un ruisseau qui serpente, etc. ?

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Ce genre d’action est sous-tendu par une haine profonde et tenace à l’encontre de ce qui est sauvage, spontané, vivant en dehors de la volonté humaine et qui pourrait soudainement prendre le dessus et devenir incontrôlable. Cet écocide n’est pas une vue de l’esprit et l’homme a établi une domination totalitaire sur les autres êtres vivants. Quotidiennement, la nature est artificialisée, bétonnée, contaminée, déchiquetée, éliminée, incendiée, modifiée, polluée, souillée, supprimée, transformée, urbanisée et valorisée.

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Toute la question est de savoir comment guérir l’homme de cette peur ancestrale qui pousse à la haine anti-nature et qui pourrait le mener à sa perte puisque détruire la nature est une forme de suicide. Sans doute en changeant radicalement notre façon de vivre avec notre environnement, en se sentant lié à la nature, ce qui entraînerait nécessairement de fixer des limites à notre expansion. L’histoire du XXe siècle a montré que l’homme était capable d’entraîner la mort massive d’autres humains à condition de les déshumaniser et, par la propagande, d’en faire des sous-hommes, voire des animaux « répugnants » comme des rats ou des cancrelats. Exagération que celle d’établir un parallèle entre le sort que l’homme réserve à la nature et celui qu’il applique aux autres hommes ? La réponse vient de l’anthropologue Philippe Descola : « Ce qu’on fait de la nature est un bon indicateur de notre façon de traiter les humains ».

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