Jean Jouzel, vice-président du Groupement International pour l’Etude du Climat (GIEC), sera à Doha pour la conférence des Nations Unies sur le climat. Il doit rencontrer ce vendredi 30 novembre 2012 le Président de la République pour lui faire part des préoccupations des scientifiques. Il a expliqué à Politis les enjeux, ses craintes et ses espoirs.
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Interview Claude-Marie Vadrot
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Quels seront votre rôle et celui des représentants du GIEC à la conférence de Doha ?
Le GIEC ne participe pas en tant que tel aux négociations, ce qui est normal car notre mission se limite à établir un diagnostic sur l’ensemble les aspects liés au rôle des activités humaines sur le climat et non à faire des recommandations. Pour ma part, j’y participe au titre d’expert scientifique, en tant que membre de la délégation ministérielle de Madame Batho.
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Pensez-vous livrer de nouvelles informations sur l’évolution du climat en Europe, aux Etats-Unis et dans les pays du Sud pendant la conférence?
La synthèse faite par le groupe scientifique du GIEC sera disponible en septembre prochain. Les projections réalisées, en étroite concertation, par les deux groupes français de modélisation impliqués dans cette synthèse, Météo-France et l’Institut Pierre-Simon Laplace, ont été présentées en début d’année. Elle s’inscrivent dans la continuité par rapport à celles réalisées pour le précédent rapport ,avec des réchauffements d’autant plus importants que les scénarios seront plus émetteurs : en 2100, la hausse moyenne à l’échelle planétaire serait de 3.5 à 5° C pour le scénario le plus sévère, de 2° C pour le plus optimiste ,qui ne peut être atteint que par l’application de politiques climatiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
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Au-delà de 2100, le réchauffement risque de se poursuivre, avec, dans le cas du scénario le plus émetteur, des réchauffements moyens qui, en 2300, pourraient atteindre 6 à 7° C supplémentaires et donc dépasser 10° C par rapport à aujourd’hui. Les caractéristiques régionales sont également confirmées, avec des réchauffements généralement plus importants sur les continents (Europe, Etats-Unis, Afrique) que sur l’océan et des modifications notables du cycle hydrologique, avec des sécheresses plus fréquentes dans certaines régions (pourtour méditerranéen, une partie des Etats-Unis).
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Après une période de domination des écolosceptiques, le balancier n’est-il pas en train de revenir vers les scientifiques qui, majoritairement, lancent des avertissements depuis des lustres ?
Je l’espère d’autant plus que le diagnostic de la communauté scientifique est, en dehors de celle-ci, largement relayé par des organismes qui ont grande visibilité comme la Banque Mondiale ou l’Agence Internationale de l’Energie (AIE). Mais, malgré ces messages forts et convergents, l’écoloscepticisme reste, je le crains, toujours présent.
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N’avez-vous pas l’impression que les ravages de l’ouragan Sandy ont contribué à faire réfléchir le public et les dirigeants américains sur la crise climatique ? Et dans d’autres pays ?
C’est très probable ; même si aucun lien n’est établi entre Sandy et le réchauffement climatique, cette catastrophe climatique de grande ampleur force à la réflexion dans la mesure où le GIEC, à travers un récent rapport ,envisage, à mesure que le réchauffement s’installera, des événements extrêmes plus fréquents (vagues de chaleur, sécheresses…) ou, dans le cas des cyclones, plus intenses.
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La position de la France et celle de l’Union européenne vous paraissent-elles aller dans « le bon sens » ?
Oui, avec le paquet énergie-climat, une position volontariste a été mise en place au niveau européen à travers les 3 fois 20 (émissions, efficacité énergétique et renouvelables). Je regrette néanmoins que l’Europe ne se soit pas engagée plus en avant en affichant une ambition de -30 % pour ses émissions de gaz à effet de serre. La France a réaffirmé une position ambitieuse lors de la récente conférence environnementale ; rappelons que l’objectif « facteur 4 » est inscrit dans une loi.
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- Le quartier des affaires de Doha – photo Claude-Marie Vadrot
N’est-il pas paradoxal que les Nations Unies organisent un sommet sur le climat dans un Etat qui n’est pas connu pour ses économies d’énergie ?
Cela me semble du second ordre par rapport à l’enlisement des négociations et à leur terrible manque d’ambition, comme en témoigne l’existence d’un fossé très important entre les émissions prévisibles à horizon 2020 et celles qu’il faudrait ne pas dépasser pour rester sur une trajectoire qui permette que le réchauffement moyen de la planète n’excède jamais 2° C par rapport au climat pré-industriel (il y a 200 ans). Ce fossé est très important de 20 à 30 % d’émissions en trop en 2020, d’après un récent rapport du PNUE (Programme des Nations-Unies pour l’Environnement).
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Quelle est votre appréciation sur le rapport des forces entre les pays qui ne veulent pas agir et ceux qui souhaitent limiter les émissions de gaz à effet de serre ?
A l’évidence, la lutte contre le réchauffement climatique ne se gagnera que si tous les pays de la planète s’y engagent. C’est d’ailleurs l’esprit de l’accord pour l’après 2020 qui devrait commencer à se discuter à Doha pour être finalisé en 2015, peut-être en France. Un pays comme la Chine a joué un rôle moteur dans cette plateforme de Durban, et bien sûr l’Europe, alors que les Etats-Unis étaient plutôt en retrait. Ce début de prise de conscience d’un pays émergent est intéressant à noter, mais elle est loin d’être suffisante. Et puis trop de pays développés, émergents ne se sentent pas concernés par la lutte contre le réchauffement climatique, à laquelle devront à terme participer les pays en voie en développement
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Que pensez-vous des « bricolages » du climat en projet, notamment par l’intermédiaire du Centre de Technologie Climatique, auxquels semblent se résigner de nombreux pays ?
La géo-ingénierie consiste à concevoir et réaliser une intervention délibérée et à grande échelle sur le climat, comme, par exemple, la dispersion de particules dans la haute atmosphère en vue d’en accroître le pouvoir réfléchissant. Je suis très sceptique sur le déploiement de telles méthodes aux conséquences qui, en tout état de cause, ne seront pas maîtrisées. Pour ce qui me concerne, il faut traiter le problème à la source et diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. Mais nous devons aussi rester attentifs à ces méthodes sur lesquelles des recherches sont conduites dans différents pays et être en mesure d’en évaluer les conséquences.
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Parmi les modélisations de hausse de température proposées au cours des dernières années par le GIEC, laquelle vous paraît actuellement la plus plausible ?
A l’échelle mondiale, les émissions de dioxyde de carbone, principal contributeur à l’augmentation de l’effet de serre, n’ont jamais augmenté aussi rapidement qu’au cours de la dernière décennie. Le PNUE nous rappelle que nous nous éloignons à grand pas de l’objectif 2° C. J’espère toujours que des politiques ambitieuses soient initiées à Doha de façon à ne pas trop s’en éloigner…. Sinon, des réchauffements moyens de 4, voire 6° C à horizon 2100, mis récemment en avant par l’AIE et la Banque Mondiale ne peuvent pas être exclus.
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Le GIEC a-t-il affiné son rapport sur les « événements extrêmes » ?
Non … Les conclusions de ce rapport publié l’an dernier étaient extrêmement claires et mettaient bien en exergue comment le réchauffement s’accompagne d’une modification des événements extrêmes.
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Quand sera publié votre rapport global sur l’évolution du climat, où en est sa rédaction ?
De septembre 2013 pour le rapport du groupe scientifique (groupe 1) à septembre 2014 pour le rapport de synthèse, et au printemps 2014 pour ceux des groupes 2 (impact et adaptation) et 3 (atténuation). Cet échelonnement dans le temps permettra aux spécialistes des groupes 2 et 3 de bénéficier des derniers résultats obtenus par le groupe scientifique dans le domaine des scénarios climatiques (ce qui n’était pas le cas pour les précédents rapports pour cause de publication quasi simultanée des 3 groupes). La rédaction des rapports avance de façon tout à fait normale ; pour le groupe scientifique, la seconde revue dite « gouvernementale » vient de se terminer ; nous aurons une dernière étape de rédaction en janvier prochain au cours de laquelle les commentaires seront pris en compte.
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Alors que le GIEC a été créé il y a 24 ans, ne commencez vous pas à être découragé par la force d’inertie de trop nombreux pays. Et quels résultats espérez-vous du sommet de Doha ?
Oui, bien sûr. Après un démarrage assez rapide (la convention climat mise en place en 1992 a été suivie du protocole de Kyoto en 1997), l’engagement de certains pays développés a marqué le pas ou ne s’est jamais concrétisé. Et puis, il faut maintenant entraîner pays émergents et pays en développement dans cette lutte contre le réchauffement climatique. C’est en cela que Doha est important, puisque c’est le point de départ d’un nouveau cycle de négociations qui, en 2015, devrait aboutir à un accord qui rentrerait en vigueur en 2020 et devrait alors impliquer tous les pays. Un accord ambitieux est impératif si nous voulons, qu’à terme, le réchauffement se stabilise à un niveau le plus proche possible de 2° C.
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Cette interview a été publiée pour moitié dans Politis et pour moitié dans Mediapart. Pour suivre depuis Doha l’évolution des discussions qui ont commencé lundi, voir le blog de Politis.
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