Complexe sidérurgique de Thyssen Krupp : emblème d’un développement insoutenable ?

Les habitants du quartier de Santa Cruz à Rio l’appellent « la pluie d’argent ». Cette poussière de métal recouvre les maisons et les rues. Elle est présente partout, jusque dans les organismes, provoquant des maladies respiratoires, des infections oculaires, des maladies de la peau.

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par Sophie Chapelle

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Pollution du quartier Santa Cruz à Rio

« Nos yeux sont secs jour et nuit », témoigne Aurora Lins, résidente de Santa Cruz. « J’ai développé des allergies aiguës qui ont fait gonfler mon visage », renchérit Rosemari Lopes Almeida. La plupart des résidentes rencontrées évoquent l’augmentation du nombre de fausses couches et n’hésitent pas à montrer leurs taches sur la peau.

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Tous pointent l’ouverture de l’entreprise sidérurgique TKCSA (Thyssen Krupp Companhia Siderúrgica do Atlântico) en 2010, à seulement 500 mètres des habitations. Propriété de l’entreprise allemande Thyssen Krupp, ce vaste complexe produit près de 5 millions de plaques d’acier par an, destinées à l’exportation. S’étendant sur près de 9 km2, ce site était occupé auparavant par des paysans du mouvement des sans terres. « Le gouvernement a décidé de les expulser au motif qu’ils détruisaient les mangroves, dénonce Miguel Sa, membre de l’association brésilienne Pacs. Or que constate t-on aujourd’hui ? TKCSA a tout détruit ». Selon des chiffres émanant du procureur de la République de l’Etat de Rio, la population a subi une augmentation de 600 % des particules fines de fer dans l’air. Le dioxyde de carbone émis par ThyssenKrupp aurait par ailleurs conduit à une augmentation de 76 % des émissions de Rio de Janeiro.

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A cette pluie continue de particules fines s’ajoutent d’autres retombées environnementales terribles pour les populations locales. Ainsi, les frayères (zones de reproduction des poissons) tout comme les mangroves ont été détruites, et les déchets ont conduit à une pollution massive au métal lourd. La baie de Sepetiba, qui figure parmi les 25 régions les plus riches en biodiversité au monde, n’a pas été épargnée. Pour les 8070 pêcheurs et leurs familles qui vivent dans la baie, l’installation de ThyssenKrupp a entraîné la perte de leurs moyens de subsistance. Non seulement ils estiment ramener 80 % de prises en moins depuis le début des travaux de construction de l’usine en 2006, mais certaines zones deviennent en plus interdites d’accès.

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Comme ses frères, Ivo Siqueira Soares a toujours vécu de la pêche. Et comme tous les autres pêcheurs, il constate la disparition des poissons. « A partir du moment où les mangroves où se reproduisaient les poissons ont été détruites, que peut-on espérer ? » lance t-il. Même la perspective de reconversion dans le tourisme s’éloigne, à mesure que les eaux sont polluées par les rejets de métaux lourds. « Ce qui me désole le plus c’est que les générations qui viennent n’auront pas ce que j’ai eu ». Avec plus de 5700 autres pêcheurs, Ivo a porté plainte contre Thyssenkrupp. Ces derniers réclament une compensation financière, mais aussi « la fin immédiate de la pollution », « la fin de l’exonération fiscale prévue par le gouvernement brésilien pour ThyssenKrupp », et « le refus d’exploitation final à la société ».

 

En janvier 2011, une première victoire a été remportée par les pêcheurs. Thyssenkrupp a en effet été condamné par les autorités environnementales de l’Etat fédéral de Rio de Janeiro à une amende de 1,2 millions d’euros et des compensations financières à hauteur de 6,3 millions d’euros. Quelques mois plus tôt, le groupe allemand a reçu une amende de 750 000 euros. Les résultats des contrôles environnementaux devraient servir de conditions à l’attribution du permis d’exploitation qui n’a toujours pas été donné. Dans le même temps, ce projet controversé a vu le jour grâce au soutien financier de la BNDES, la Banque nationale de développement économique et social.

 

Pour les organisations brésiliennes à l’initiative de ce Toxic Tour (« tour des pollutions »), « il est essentiel de rappeler que dans cette ville où l’on promet « le futur que nous voulons », les méga-projets industriels vont dans le sens opposé du discours officiel ».

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