Loin d’être réservée à des scientifiques, l’observation des oiseaux devient grand public. A vos jumelles ! Cet article a été publié dans La Vie du 10 mai 2012.
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par Aurélien Culat et Olivier Nouaillas (JNE)
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Un circaète Jean-le-Blanc plane, majestueux, au dessus des monts d’Ardèche. On aperçoit derrière lui, en contre-jour, une dizaine de cormorans qui forment une ligne noire dans le ciel nuageux. D’ici une minute ou deux, ils seront assez près pour que l’on puisse distinguer, à l’œil nu, le sexe et l’âge de chaque oiseau du groupe. Mais déjà, Benoît, Morgan, Gaël et les autres font des pronostics. Les jeunes ornithologues, venus de toute la France, s’apostrophent, en gardant les yeux rivés à leurs jumelles, et l’air s’emplit de leurs rires.
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Ils ne manqueraient pour rien au monde la migration de printemps, d’autant que leur site d’observation est exceptionnel : le col de l’Escrinet, l’un des points de passage les moins élevés vers la vallée du Rhône, est fouetté par des rafales de Mistral qui obligent les oiseaux à voler en rase-mottes pour le franchir. Un régal pour les yeux connaisseurs, nombreux en ce dimanche matin. Le col accueille des dizaines de personnes venues fêter les 100 ans de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), la plus ancienne association naturaliste de France. Quarante-cinq longues-vues sont pointées en direction du Sud, chacun a sa paire de jumelles autour du cou. De l’impressionnant vautour fauve au petit chardonneret, en passant par le leste épervier, rien ne leur échappe. « Ce matin, nous avons eu la chance de voir passer un busard pâle, explique Morgan. C’était un grand moment d’émotion, parce qu’il n’y en a que 10 à 15 qui sont aperçus en France chaque année. »
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La nouvelle génération d’amoureux des oiseaux, à la passion si communicative, profite d’un bouillonnement ornithologique sans précédent. Outre les rendez-vous organisés par les 45 000 membres des groupes locaux de la LPO pour son centenaire, le Museum d’Histoire naturelle vient de lancer une grande campagne de recensement bénévole, l’« Observatoire des oiseaux des jardins ». Et l’édition 2012 de la Fête de la Nature, du 9 au 13 mai, consacrée aux « drôle d’oiseaux », propose des centaines de sorties dans tout le pays. Les organisateurs de l’événement se sont même fixé pour objectif la pose de 10 000 nichoirs d’ici un mois ! Un défi auquel tout le monde peut participer en fabricant son propre nichoir d’après les plans distribués gratuitement chez les marchands de journaux.
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Les associations naturalistes et les pouvoirs publics qui organisent la Fête de la Nature l’on bien compris : l’observation et la protection des oiseaux sont d’excellents moyens de sensibiliser le public aux menaces qui pèsent sur la biodiversité. « Les naturalistes passent leur temps à envoyer des signaux d’alerte, ce qui ne donne pas vraiment envie d’agir, explique François Letourneux, président de l’événement. Nous voulons au contraire favoriser les initiatives festives individuelles, comme les visites de jardins qui sont des havres pour les oiseaux. Cela permet de se rendre compte que dès que l’on arrête de taper sur la nature, les papillons et les oiseaux reviennent. Dans cet esprit, nous prenons les Français par la main et les emmenons dans la nature, pour leur montrer qu’elle est une source constante de plaisir. »
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Une rencontre privilégiée avec la nature, voici ce qu’offre en premier lieu l’ornithologie à qui s’y intéresse de près. « Mon grand plaisir est d’aller seul en forêt pour y observer des oiseaux, et prendre le temps de m’asseoir quelques minutes, explique François Morel, fondateur d’une association qui a réintroduit avec succès le vautour fauve dans le sud de la Drôme. C’est là que les animaux arrivent, que toute la vie s’offre à moi. Je ne recherche pas l’oiseau rare, mais un contact quotidien avec la vie sauvage. »
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Et de l’observation à la protection, il n’y a qu’un pas. Aussi le Museum d’Histoire naturelle a-t-il fait le pari de s’appuyer sur les observations des ornithologues amateurs pour nourrir un programme de recherche qui étudie les effets du climat, de l’urbanisation et de l’agriculture sur la biodiversité. Une étude extrêmement importante, quand on sait que le nombre d’oiseaux nicheurs communs en France a baissé de 11% ces vingt dernières années- les espèces agricoles ont même vu leur population diminuer de 27%. L’« Observatoire des oiseaux des jardins » invite ainsi les particuliers à sortir leurs jumelles et leur carnet de note pour récolter des informations sur les oiseaux qui fréquentent leur jardin ou le parc public le plus proche de chez eux. « Le but est de collecter des données intéressantes pour les scientifiques, qui nous permettent de comprendre comment les oiseaux s’adaptent à la proximité de l’homme, explique le biologiste Frédéric Jiguet, qui pilote la campagne de science participative.
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Les oiseaux granivores viennent-ils davantage se nourrir à la mangeoire quand l’agriculture environnante est intensive ? Quel type d’espace vert favorise quelle espèce d’oiseau en ville ? Pour répondre à ces questions, pas besoin de consacrer toutes ses journées à la pêche aux infos, assure Frédéric Jiguet : « L’idéal est de compter régulièrement les oiseaux, disons une fois par semaine. Cela peut seulement prendre 5 minutes, tôt le matin ou en fin de journée, quand il n’y a pas trop de bruit. Mais ça peut aussi prendre toute une journée de vacance passée sur sa pelouse ! » Sur le site web consacré à l’opération, des fiches espèces et des photos permettent de faire connaissance, progressivement, avec les 52 espèces les plus communes et simples à identifier : rougegorge, mésange charbonnière, bouvreuil pivoine, bergeronnette grise, grimpereau des jardins… Reste à apprendre, sur le tas, le chant de chacun, moyen le plus sûr -et le plus agréable- d’identifier un oiseau.
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Prochaine étape : faire de son jardin un « refuge LPO », aménagé pour accueillir la biodiversité. Pas de produits chimiques, une pelouse tondue avec parcimonie, des zones humides, des haies généreuses et des arbres morts pour nicher… l’hirondelle de fenêtre, le moineau domestique ou le hanneton dont ils se nourrissent apprécient ces attentions. Il en faut d’ailleurs peu pour faire venir les oiseaux chez soi, puisque le concept vient tout juste d’être décliné pour les balcons et terrasses des citadins ! « Le simple geste de poser un nichoir est extraordinaire, assure Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO. D’une part, parce que ça marche : en Alsace, on a sauvé la chouette chevèche grâce aux nichoirs. D’autre part, parce que c’est un geste symbolique très fort. Pour un enfant, voir un oiseau s’installer dans un nichoir qu’il a posé, c’est un moment merveilleux. Cela crée des vocations. »
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Maël Sinoir, 23 ans, ornithologue des champs
« J’ai les mains dans la terre mais la tête dans les nuages »
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« Sur toutes les photos de moi enfant, j’ai dans les mains un oisillon ou un nid trouvé dans les pommiers de mon grand-père. C’est dans la ferme familiale, à Maisdon sur Sèvre, à quelques kilomètres de Nantes, que j’ai appris à connaître les oiseaux. Comme on apprend à lire, sauf que je connais mieux les oiseaux que ma grammaire ! A la ferme, nous plaçons des nichoirs et laissons les haies et arbres morts pour les attirer : ils sont un substitut à l’utilisation de pesticides. Je ne sors jamais sans une paire de jumelles à portée de main, pour observer les rapaces, mon type d’oiseau préféré -on peut deviner leur âge rien qu’à la couleur des plumes. Ma mère me dit souvent que j’ai les mains dans la terre mais la tête dans les nuages !
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Mais ce que je préfère, c’est observer la migration avec des copains, au col de l’Escrinet ou ailleurs. On a l’impression de partager un événement naturel très important. C’’est aussi un moyen d’apprendre la vie en communauté, comme lors de mon meilleur souvenir d’ornithologie : l’année dernière, je suis parti en vélo avec un ami jusqu’en Géorgie, pour assister à la migration d’automne. Nous sommes restés en tant que bénévoles pour faire des comptages. Busards, aigles, bondrées apivores…c’était incroyable, nous avons vu passer 850 000 rapaces en deux mois ! »
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Yanti Beauducel, 45 ans, ornithologue des villes
« Même en ville, on peut attirer toutes sortes d’oiseaux »
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« Je n’ai beau avoir qu’un petit balcon terrasse de 5 M2, au rez de chaussée d’une rue piétonne du 20e arrondissement, je peux y observer toutes sortes d’oiseaux : des pigeons (mais pas trop), des moineaux et des merles bien sûr, mais aussi des mésanges charbonnières, des geais des chênes et même une fois un faucon crécerelle ! Ils viennent de partout : de l’acacia de la crèche, en face, des bouleaux de l’immeuble, des arbres du square et surtout de ceux encore plus nombreux du cimetière du Père Lachaise, tout proche. Bien sûr je les attire avec des plantes, de la nourriture (des cacahuètes toute l’année et des boules de graisse seulement en hiver) et aussi une soucoupe d’eau.
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Cet amour des oiseaux je l’ai d’abord de ma culture animiste, sur l’île de Java où j’ai grandi. De la Guadeloupe ou j’ai suivi mon mari, vulcanologue. Nous avions un jardin de 300 mètres carrés où j’ai pu photographié la vie quotidienne de plusieurs magnifiques colibris huppés. Pour moi, l’être humain n’est pas supérieur à la faune et la flore qui nous entoure. Nous devons la respecter. L’oiseau est libre, capable de migrations impressionnantes. J’ai été en parler à des petits d’une maternelle du 20e. Les enfants étaient de toutes origines : ils étaient fascinés ».
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Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO :
« Observer les oiseaux, un moment de partage »
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Président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) depuis 1986, Allain Bougrain-Dubourg revient sur l’évolution du milieu ornithologique, de plus en plus ouvert au grand public.
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La Vie : La LPO fête cette année son centenaire, en quoi son message est toujours d’actualité ?
Allain Bougrain-Dubourg : Notre association est durable. En 1912, elle a été créée pour protester contre les safaris organisée par des chasseurs à Perros-Guirec, en Bretagne, pour tuer des macareux-moines. Aujourd’hui, c’est devenue une réserve, celle des Sept Iles qui accueille des milliers de visiteurs. En 1912, nous n’étions qu’une poignée d’ ornithologues, en 1980, 3.000 membres et 15 salariés, en 2012 nous sommes 45.000 membres et 500 salariés.
Au début du siècle, les problèmes étaient à dimension humaine : les excès de la chasse, des atteintes limités aux milieux naturels. Aujourd’hui ils sont tous à dimension planétaire : les effets du dérèglement climatique, la mondialisation de l’agriculture intensive, les dangers des produits chimiques.
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Que dit l’oiseau de l’état de la planète ?
Il survole le monde avec tristesse car il constate une érosion de la biodiversité sans précédent : un batracien sur trois, un mammifère sur quatre et un oiseau sur huit sont menacés d’extinction. Or, nous ne pouvons pas nous exonérer du vivant, non seulement d’un point de vue éthique mais aussi économique. La biodiversité contribue pour 40 % à la bonne marche de l’économie, par la pollinisation, la recherche de nouvelles molécules thérapeutiques, etc…
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Tout le monde peut-il devenir ornithologue ?
Oui, à l’image des pays anglo-saxons où se pratique en famille le « bird watching » (observation des oiseaux). Nous le constatons déjà un peu en France où lors de la Nuit de la chouette, en mars, on voit des familles entières quitter leur télé à 20 H30 pour rejoindre les sorties que nous organisons. Nous sortons petit à petit de cette vision de la nature, un peu sous cloche et réservée à quelques initiés, à une vision plus large, celle du patrimoine naturel et des sciences participatives, et devenir un vrai moment de partage collectif. En quelque sorte les enfants de Buffon, Cuvier et Lamarck.
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Toutes les sorties ornithologiques prévues dans le cadre de son centenaire sont consultables sur leur site : www.lpo.fr.
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La Vie vous conseille
. Participez à la fête de la Nature.
Cette semaine jusqu’au dimanche 13 mai, la 6e édition de la fête de la Nature est placée sous le signe des oiseaux. En allant sur le site www.fetedelanature.com, vous trouverez des centaines de sorties, écolos et familiales, proche de votre domicile
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. Construisez un des 10.000 nichoirs
A l’occasion de cette fête, tous les particuliers sont invités à construire plus de 10.000 nichoirs et à les installer soit dans leur jardin, sur leur balcon, dans la cour d’école de votre enfant ou encore dans les espaces verts de votre entreprise. Les plans sont disponible sur le site de la fête de la nature. Vous pouvez également créer un refuge LPO en vous inscrivant sur leur site www.lpo.fr
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. Inscrivez-vous à l’Observatoire des oiseaux de jardins
En vous inscrivant sur le site oiseaux des jardins vous permettrez aux scientifiques du Muséum d’Histoire Naturelle d’étudier les impacts des changements climatiques celui de l’urbanisation. A lire, en complément indispensable, « 100 oiseaux des parcs et des jardins » de Frédéric Jiguet (Delachaux et Nestlé) 19,90 euros). Très pédagogique avec ses nombreuses photos et fiches pratiques.
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