Plaidoyer pour les écologistes de la première heure

La «minorité d’anciens combattants » écologistes dénoncée par Frédéric Denhez sur le site Reporterre n’est ni terrifiante ni terrifiée.

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par Marie-Paule Nougaret

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Il ne se passe pas de jour qu’on ne nous parle de carbone, à croire qu’il n’y aurait pas d’autres pollutions. Oubliés les rejets industriels de toxiques, les vapeurs d’essence au soleil sur les moteurs éteints qui génèrent de l’ozone et des urgences en cardiologie, les suies de diesel cancérigènes, les particules de pneus, de freins, de rails, qui nous tombent dessus…  on se concentre sur le climat, certes désastreux. En ce sens, Frédéric Denhez (JNE) a raison. Quitte à traiter de pollutions – ce à quoi rien n’oblige, défendre les arbres suffit – autant y aller vraiment : le carbone n’est pas la seule saleté du pollueur, quoi qu’en disent les publicités.

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Qu’on me pardonne cependant de différer sur la perception d’une «minorité d’anciens combattants » écologistes, qui ne me paraissent pas, ni terrifiants, ni terrifiés. Qu’ils effraient Pascal Bruckner, passe encore : on peut vaciller en effet, au miroir de sa propre impéritie. Mais les jeunes intelligents n’ont rien à redouter de ceux qui ont précisément lutté pour eux.

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Rien à craindre et peut-être un peu à hériter. Ils n’étaient pas les plus idiots, faut-il le préciser ? ni les plus insensibles. Or la terreur servait l’autre côté. Un manifestant tué par les forces de l’ordre à Malville, en 1977 :  s’ouvre en France une décennie high-tech, anti-écologiste de base, qui s‘autorise l’assassinat d’un journaliste sur le Rainbow Warrior en 84, et ne commence à se calmer que lors de Tchernobyl (86). La dissidence n’aurait pas survécu sans une bonne dose d’humour, comme toujours, note l’Histoire. La médecine l’explique par l’importance du cognitif (pour parler technophile), autrement dit du soutien du corps par l’esprit.

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On n’a pas seulement pleuré, comme on pleure ces jours-ci Josette Bénard, 82 ans, agrégée de biologie, qui a contraint l’INRA à rechercher des résistances à la graphiose de l’orme, en organisant des dizaines de milliers de semis pour trouver un arbre mutant; et aussi tenu lieu de « prof’ de métaux lourds » à Katia Kanas (JNE) de Greenpeace, la briefant sur le sujet, avant ses conférences de presse au bord de Seine, devant les tuyaux de rejets polluants autorisés, bouchés le temps d’une photo. Beaucoup a reposé sur la sagacité et la bienveillance de dames comme Josette Bénard ou Solange Fernex (1934-2006), pacifiste et la douceur même, « ces dames qui ne s’en laissaient pas conter» (Jean-Paul Thorez (JNE), fondateur des Quatre Saisons). On n’aurait pas tenu, elles non plus, si on n‘avait tant ri.

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Au reste la théorie n’était pas triste. Citons deux avancées des années 70 : Ivan Illich a révélé que certains n’opèrent pas la distinction entre qualité de vie et dépense d’énergie (on le voit tous les jours) ; mais brûler de l’énergie dans les transports enlève le choix de l’itinéraire, plus contraint en avion qu’en voiture, et sur l’autoroute qu’en vélo. Mieux, les voitures n’iraient pas plus vite que les piétons : 5 km à l’heure, si l’on compte le temps de travail, au prix du salaire moyen, pour payer le véhicule, l’assurance et son entretien. Homo sapiens aime tourner en rond, voilà. La belle revue écologiste, Le Sauvage, 1973 – 1981 (NDLR : qui revit ici sur la toile), a pu consacrer un numéro à la paresse. Ce ne peut être ce que l’auteur de La folie carbonée (NDLR Frédéric Denhez) juge effrayant.

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Autre acquis théorique crucial : Small is beautiful, « Petit c’est beau », énoncé en 1973 dans le livre éponyme  Enrst F. Schumacher (collaborateur de H.M. Keynes)  : je vous parle d’un temps, où l’on transportait le pétrole dans des super tankers qui mettaient 20 km à freiner.

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Un temps où l’on a compris que les dinosaures étaient morts de froid dans un nuage épais permanent de cendres de météores, ou de laves, parce qu’ils étaient trop gros et, faute de soleil, ne pouvaient plus se réchauffer. Seuls auront survécu ceux qui crachaient le feu, les dragons de la fable, mais non c’est une plaisanterie.

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Pourtant la leçon mérite de passer en héritage. Car les services de secours nous le disent ; si, en janvier, le paquebot Concordia avait sombré au large, au lieu de s’échouer à la côte, on aurait compté des milliers de disparus : on ne sait pas évacuer autant de passagers. Petit c’est bien plus beau.

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Alors ceci s’adresse à Marie-Hélène Aubert : puisque la gauche rêve d’industrie, épargnez-nous les mastodontes qui nous écrasent tous et meurent de leur froideur.

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Ancienne collaboratrice du Sauvage, Marie-Paule Nougaret est l’auteur de La Cité  des Plantes, éd. Actes sud. 

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Cet article a été publié  sur le site Reporterre.