Des esclaves énergétiques – Réflexions sur le changement climatique


Cet essai est une tentative métaphorique : « établir une analogie simple entre notre mode de vie actuel et l’esclavage permet d’aborder la question climatique sous un angle d’approche différent et encourage l’action individuelle. Du fait des similarités frappantes entre l’esclavage passé et l’utilisation contemporaine des énergies fossiles, les décideurs politiques peuvent trouver de nouvelles sources d’inspiration pour leurs actions contre le changement climatique. Par exemple, l’histoire de l’abolition suggère que la recherche de compromis –approche dite « gradualiste »- a été plus efficace pour faire avancer la cause anti-esclavagiste que les positions intransigeantes de certains. Cela fut vrai au moins dans certains contextes, comme au Royaume-Uni, premier pays à abolir la traite en 1807. »

L’auteur de cette vision de l’histoire rapproche deux faits quasiment concomitants : d’une part les démarches d’hommes et d’organisations engagés dans l’abolition de l’esclavage (qui ont abouti) et d’autre part l’arrivée, progressive, des révolutions industrielles qui permirent, justement, de remplacer les esclaves humains par des esclaves mécaniques, énergétiques et aussi énergivores, d’où notre situation actuelle.

Si l’énergie a un coût, recherche, extraction, transformation, production, les esclaves utilisés sur le territoire américains avaient eux aussi un coût. La valeur de cette propriété (p. 87), légale à l’époque, se montait à 3,5 milliards de dollars en 1860 et la valeur totale s’élève à une somme équivalente à 9,75 trillions de dollars d’aujourd’hui.
Quelques observateurs font remarquer que les cours haussiers du pétrole brut sont en relation direct avec les crises et les récessions en Occident (dont il est ainsi la cause et l’effet). Mais on ne dispose pas semble-t-il du cours de l’esclave au 18ème et 19ème siècle.
Notons également que l’origine de la traite des esclaves remonte à 1518 (p. 137), lorsque Bartolomé de Las Casas, un ardent défenseur des droits des Indiens d’Amérique, commit la même erreur que les partisans de la machine à vapeur trois siècles plus tard : voyant qu’il serait très difficile de préserver les Indiens de l’esclavage si l’on ne fournissait pas aux colons une autre main-d’œuvre, il appela à importer en masse des esclaves africains.

L’auteur introduit la notion de « commerce équitable » (p. 128), en 1790 lorsque beaucoup de gens s’engageaient à acheter du sucre et du coton qui n’avaient pas été produits des esclaves, mais au contraire issus d’un « travail libre ». Ce phénomène a été éphémère.
Sous une autre forme aujourd’hui, la course au zéro carbone risque de nous faire oublier que les changements individuels de nos modes de vie n’ont souvent qu’un impact mineur et ne sauraient être, par eux-mêmes, la solution unique au changement climatique.
Dans la perspective d’une résolution capable d’apporter des avancées globales l’auteur cite le climatologue James Hansen (p.132) auquel il donne raison de nous avertir qu’un compromis peu ambitieux pourrait donner au public l’impression que le problème du changement climatique a été résolu, et que, parce qu’un accord a été signé, nous pouvons continuer à vivre comme avant (tourner votre regard du côté de Durban fin 2011).

Cette idée d’un parallélisme entre l’esclavage et les modifications climatiques en cours aurait toutefois mérité d’aboutir sur quelques suggestions concrètes négociables au niveau des états et des diverses organisations chargées de suivre et de proposer de nouveaux paradigmes concrets.
D’autant que la lecture est parfois troublée par excès de zèle. L’auteur abonde en reprise d’extraits et de citations référencés qui brouillent l’attention, tout au moins dans les 70 premières pages, ensuite on se retrouve dans une lecture plus fluide avec par moment la sensation d’être dans un thriller avec « La Franceafrique » et d’autres passages très intéressants sur les divers aspects du pétrole et des énergies carbonées.
En plus des références incluses dans le texte, l’auteur est friand de notes en bas de page et sa bibliographie est imposante (d’où ce qui précède) avec 12 pages de « Références ».

Si cet essai apporte un éclairage particulier sur les questions actuelles et futures de l’énergie qui sera l’enjeu essentiel du développement de l’humanité au cours de ce XXIème siècle, personne ne saurait oublier que les esclaves énergétiques n’ont nullement supprimé les esclaves humains (notamment utilisés pour fabriquer les esclaves énergétiques) ; les publicités pour les grandes, et moins grandes.écoles, les formations diverses, le recyclage, les bilans dit de compétences, les chômeurs que les gouvernements veulent mettre au travail (alors même qu’il n’y a pas d’emploi pour tous) sont autant d’invitations, sous couvert d’une hypothétique vocation, à devenir l’esclave d’un système qui s’auto entretient (voyez la série « Made Men » par exemple).

Le travail, mot dont l’étymologie vient du latin tripalium (arme, et instrument de torture, utilisée par les gladiateurs romains pendant les combats dans l’arène), ne saurait, pour une grande partie des humains, faire l’objet d’une activité agréable, surtout par rapport au travail des enfants, au travail posté, à la chaîne, aux travaux dans des conditions insalubres, etc. Au moins les esclaves, des périodes antiques et de notre histoire récente, savaient-ils qu’elle était leur situation tandis qu’en 2012 (et depuis de nombreuses décennies) la mise en coupe réglée (crise financière « oblige ») de nombreux pays va conduire leurs habitants à des conditions de vie telles qu’ils ne pourront plus payer leurs esclaves énergétiques fussent-ils utiliser pour laver leur linge ou cuire leurs aliments.

Et ce n’est qu’une partie des questions sans réponses et des problèmes restés sans solutions.
Trois exemples : le premier concerne les fameux CFC, gaz frigorigènes destructeurs de la couche d’ozone encadrés par le traité de Montréal (1987). La société Honeywell tente de mettre sur le marché, notamment européen (plus de 500 millions de consommateurs) son HFO-1234yf, pourtant enregistré par l’ECHA –mais dans, et sous, quelles conditions ?- (l’Agence européenne des produits chimiques installée à Helsinki), et pour lequel des soupçons de toxicité ne sont pas encore levés (communiqué de la conférence de presse organisée le 17 janvier 2012 à Strasbourg par Michèle RIVASI, députée européenne EELV et porte-parole d’Eva Joly).

Deuxième exemple, de nombreuses compagnies pétrolières et gazières sont sur le pied de guerre pour débuter l’exploitation des hydrates de méthane (ou clathrate, la glace qui brûle) (Science & Vie Spécial 2012, 10 espoirs de science), ces composés issus de la décomposition de la végétation des millénaires passés participent déjà au réchauffement de la planète en relarguant, de façon naturelle (réchauffement des océans, modification de la densité de l’eau…) du méthane dans l’atmosphère. Les effets du méthane sont 25 fois plus importants (potentiel de réchauffement à l’échelle d’un siècle) que ceux du CO2 (et pourtant le CH4 est très peu présent dans les modèles du GIEC et les négociations sur le climat) et exploitation industrielle des hydrates de méthane entrainera inéluctablement la déstabilisation des gisements (installés généralement sur les plateaux continentaux) et le rejet de millions de tonnes de CH4.

Troisième exemple, de la même veine que le second (pourquoi s’arrêter en si bon chemin) : « Le pergélisol, bombe à retardement pour le climat » (in, Le Monde, 16 février 2012). Beau titre pour expliquer que le réchauffement des zones arctiques va entrainer la libération de millions de tonnes de … CO2 ou de CH4 ? Telle est la question ! Dans tous les cas une vague réchauffeuse va s’élever conduisant à une boucle itérative, réchauffement, fonte, fonte, réchauffement…

D’autres révolutions abolitionnistes sont donc encore à entreprendre pour que les droits de l’homme et la dignité humaine soient respectés sous toutes les latitudes, pour que les industriels ne soient plus seuls à dicter les programmes des réunions internationales, G20, G8, .Nations Unies, etc.
Le développement doit rester soutenable, mais pour y parvenir l’habitant-citoyen de la Terre doit recevoir éduction, information et être formé à faire des choix qui lui échappent totalement aujourd’hui.

Champ Vallon, 160 pages, 17 € – www.champ-vallon.com
Contact presse: Myriam Monteiro-Braz – myriam.monteiro@wanadoo.fr
(Richard Varrault)