Intempéries en Algérie : l’Etat face au froid

Le climat avait annoncé la couleur (blanche comme la neige) en janvier déjà…

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par M’hamed Rebah

Neige à Bechar (Algérie), février 2012 - photo A.M.

 

A la fin janvier 2012, au ministère des Ressources en eau on faisait part d’une sérieuse inquiétude concernant la reconstitution des réserves hydriques, compromise par la faible quantité de pluies tombée en Algérie durant les mois précédents. L’automne 2011 avait pris des allures d’été et l’arrivée de l’hiver n’avait rien changé à la situation. Des précipitations ont bien été enregistrées, mais de courtes durées. Le directeur de la distribution de l’eau potable souhaitait qu’il pleuve « sur des épisodes assez longs pour combler le déficit en ruissellement et réalimenter les nappes souterraines». Son vœu a été vite exaucé. Depuis le jeudi 2 février, il a plu sur la majeure partie du pays durant plus d’une semaine quasiment sans arrêt. Le taux de remplissage des barrages affiché par le ministère dépasse même ses espoirs. Le grand barrage de Beni Haroun, à l’est du pays, est tellement plein (plus de 900 millions de mètres cubes) qu’il a fallu mettre en place un dispositif de protection face à la menace de débordement. Dans l’ouest algérien où les cultures ont failli manquer d’eau, le danger est passé, les périmètres agricoles ont été bien arrosés et les barrages se sont remplis.


En fait, le climat avait annoncé la couleur (blanche comme la neige) en janvier déjà. Le 17 janvier exactement, dans la matinée, et à Bechar (dans le sud-ouest algérien) où la neige est tombée, un événement rarissime comme l’ont souligné les connaisseurs. La même perturbation a ensuite évolué vers le Sahara central, donnant lieu à d’importantes pluies notamment à El Goléa, Ouargla…… La neige a revisité Bechar mardi 7 février après avoir recouvert presque toutes les localités du nord du pays et fait la joie des petits et des grands. Des photos circulent sur la toile montrant que les Algériens, surtout ceux qui sont peu habitués à la rigueur exceptionnelle de cette vague de froid, se sont bien amusés avec la neige. Sur les hauts plateaux, comme à El Bayadh (dans le sud-ouest), par exemple, la neige n’est pas une inconnue, elle est bénéfique surtout à la végétation steppique, notamment l’armoise (à la valeur pastorale appréciable) et l’alfa, deux très anciennes plantes. Mais quand elle est roulée et très glacée, elle colle très rapidement sur le sol en raison de sa température très basse. La neige roulée qui ne contient pas assez d’eau, par rapport aux flocons de neige, peut faire des dégâts aux cultures locales, explique M. Bousmaha, responsable de l’Office de la météo à El Bayadh, c’est pourquoi, elle est très redoutée par les agriculteurs de la région. Pour le froid, dans cette région montagneuse et élevée, les gens y sont préparés, le poêle est allumé dès la mi-octobre pour être éteint à la fin mai.


Ailleurs dans le pays, au nord et encore moins au le sud, l’hiver est généralement peu rigoureux et les vagues de froid alternent rapidement avec les remontées de températures amenées par l’apparition du soleil. Depuis le 2 février 2012, dans le nord du pays, le scénario est différent. Les températures restent longtemps très basses, les pluies n’arrêtent pratiquement pas et la neige est tombée partout.

L’actualité nationale est dominée par les informations sur les coupures de routes dues aux intempéries et leur impact sur les déplacements en véhicules et sur le transport de marchandises. L’approvisionnement des marchés s’en est ressenti avec la répercussion sur les prix. Des voyages en bateau à partir de l’Algérie vers Marseille ont subi, eux aussi, les contrecoups des intempéries et ont été reportés. La compagnie aérienne Air Algérie a annulé plusieurs vols à cause du mauvais temps.


Les pertes humaines directement liées à la vague de froid ne sont heureusement pas élevées, selon un bilan officiel non encore définitif. Mais les accidents de la circulation et les cas d’asphyxies dues aux inhalations de gaz brûlés des appareils de chauffage et chauffe-eau, ont alourdi le bilan malgré les conseils de prudence donnés par les services concernés (il faut noter que le facteur météorologique n’est pas la principale cause des accidents de la route, plus de 4000 morts en 2011, ni des accidents dus au gaz utilisé également pour cuisiner, en moyenne plus de 100 morts par an). L’Office national de la météorologie a assumé un rôle de premier plan dans la prévention en donnant l’alerte par ses bulletins spéciaux (BMS). La Protection civile a mobilisé tout son effectif (40 000 personnes) et installé des cellules de crise pour parer à toute éventualité. L’armée a mis ses troupes et ses engins à contribution pour dégager l’accès des voies bloquées par la neige qui a atteint en certains endroits 2 mètres. Sonelgaz a mobilisé toutes ses équipes d’intervention pour rétablir le courant électrique là où l’état des routes le permettait. Le mardi 8 février 2012, il y a eu un pic de consommation d’électricité de 8 305 mégawatts, en augmentation de 9 % par rapport à la même période de 2010 mais inférieur à la pointe record enregistré l’été 2011 (8 746 MW, le dimanche 7 août 2011, consommés en grande partie par le climatiseur). C’est surtout le gaz, utilisé pour le chauffage, qui a connu une demande considérablement accrue entraînant une forte tension sur la bouteille de gaz butane, le taux national de pénétration du gaz de ville étant de 47 %. L’entreprise publique Naftal a augmenté sa production de bouteilles de gaz pour répondre à cette demande exceptionnelle.


Qu’en pensent les populations ? Selon la télévision algérienne, qui donne une grande place aux intempéries, il y a ceux, satisfaits, qui remercient l’Etat, pour son intervention, et ceux, mécontents, qui le critiquent pour ses lenteurs.


Un fait incontestable : le devoir de solidarité à l’égard des sinistrés a été assumé par l’Etat, empêchant l’utilisation de leur détresse à des fins d’embrigadement politique comme cela s’est passé après le séisme de Tipaza en 1989.


La leçon à tirer de cet épisode sibérien vécu en Algérie a trait, justement, à l’action de l’Etat et du secteur public, notamment les entreprises. L’Etat n’est plus désarmé face aux situations de catastrophes contrairement à mai 2003, lors du séisme de Boumerdès. Opérée sur les « conseils » du FMI et de la Banque mondiale et sous l’effet du vent (c’est vraiment du vent) du libéralisme qui a soufflé dans les années 80 et 90, la déstructuration du secteur public (bâtiment, travaux publics, industrie, santé,..) avait privé alors les secours des moyens lourds habituellement rapidement réquisitionnés dans les situation de catastrophes.


La vague de froid de février 2012 est visiblement un test positif des capacités de l’Etat, qui avaient été mises à mal durant les décennies 80 et 90, ensuite reconstruites dans les années 2000 puis consolidées à partir de 2009.